Chapitre 19 (deuxième partie)
En quelques jours, je pris la mesure du clan MacLeod de Dunvegan. Non seulement, de ses membres principaux, mais aussi de sa demeure. Le château, imposant de l'extérieur, était vaste à l'intérieur. J'aurais pu m'y perdre s'il n'y avait eu ces nombreuses fenêtres donnant soit sur la baie, soit sur le bois au-delà du pont que l'on traversait avant d'arriver au château. Je parvins ainsi assez facilement à m'y repérer.
Jennie m'avait prise sous son aile, me faisant visiter les lieux, presque de la cave au grenier. Je fus étonnée de la voir participer à la cuisine. Elle m'expliqua alors que le rôle d'une femme dans un clan, même si elle était de la famille du laird, était aussi d'aider à toutes les tâches quotidiennes. Il en allait de même pour les hommes, comme Kyrian me l'avait une fois expliqué : si nécessaire, ils n'hésitaient pas à retrousser leurs manches pour rentrer du foin à l'écurie, couper du bois, ramener de la tourbe pour les feux, ou dépecer de grandes pièces de viande, trop lourdes ou trop dures à découper pour les femmes. Seule l'épouse du laird pouvait s'abstenir de ces tâches, mais je remarquai cependant que Lady Elisabeth passait au moins deux fois par jour à la cuisine, pour surveiller la préparation des repas et qu'il lui arrivait aussi de mettre les mains dans la pâte, notamment pour réaliser de délicieuses tourtes aux champignons et à la viande.
Jennie et les deux épouses des cousins de Kyrian ne me laissèrent pas de côté pour autant. Elles se montrèrent attentives en me parlant en gaëlique, et, bien vite, nous parvînmes aisément à nous comprendre. Je fis ainsi beaucoup de progrès grâce à elles. Petit à petit, donc, j'eus le sentiment de trouver ma place au sein de cette famille.
Le seul qui se montra un peu distant fut Craig. Un jour que j'en fis la remarque à Jennie, cette dernière hésita un peu avant de me répondre. Je me demandais si c'était lié au fait qu'il soit laird, ou à son caractère. En fait, l'explication était un peu différente :
- Je pense que mon oncle réserve son jugement sur toi, Héloïse. N'y vois pas de mal ! Il est ainsi. Il sait bien jauger les gens, en général. A vrai dire... Je pense qu'il aurait préféré que mon frère lui demande son avis avant de se marier, afin que mon oncle puisse contracter une alliance avec un autre clan. Son souci est de renforcer la branche "Inverie" du clan, la rendre solide. Or en épousant une Française, même si elle a tout ce qui convient pour faire une bonne épouse, cela est impossible. Et cela n'a rien à voir avec la dot que tu apportes avec toi et qui est loin d'être négligeable, si j'ai bien compris...
Cette dernière remarque me surprit un peu : mais j'en conclus que Kyrian avait fait quelques confidences à Jennie, voire à Craig aussi, peut-être pour le rassurer quant à notre union.
- Je comprends, répondis-je à Jennie. Il y a beaucoup d'enjeux...
- Oui. D'autant que la situation de Caleb n'est pas simple... Iona et lui sont très amoureux. Elle fait partie du clan. Craig a accepté ce mariage car Caleb ne lui a pas laissé le choix et l'a imposée à son père. Mais... Mais ils n'ont pas encore d'enfants et cela devient problématique.
- Parce que Caleb deviendra laird après Craig ?
- Pas forcément, même si c'est cela qui semble le plus... naturel. Il a pour lui la force, la capacité à mener des hommes. Mais Manfred le peut aussi, bien qu'il ne soit pas capable de se battre.
- Je pensais que l'aîné des garçons était forcément laird après son père ?
- Non... Notre père était l'aîné, et pourtant, le clan a choisi Craig pour devenir laird de Dunvegan.
- Oh ! dis-je, Kyrian ne m'a pas expliqué cela...
Jennie me regarda avec bonté.
- Il le fera certainement, en temps voulu. Mais allons, je vais t'emmener voir Madame Troac'h, la couturière. Il va vraiment te falloir quelques robes plus chaudes.
Nous nous dirigeâmes alors vers une partie du château située à l'opposé du donjon. Dans une grande pièce se trouvaient trois femmes, Madame Troac'h et sa fille, Isobail, qui aidaient Abigail Gordon à se vêtir d'une belle robe de couleur prune. Cela lui donnait un air de grande dame, avec ses cheveux très blonds, sans le moindre reflet auburn. Elle nous sourit lorsque nous entrâmes.
- Jennie ! Héloïse ! Quel plaisir de vous voir !
- Hi, Abigail. Comment va ?
- Bien. Vous aussi avez besoin des services de Madame Troac'h ?
- Oui.
Puis Jennie se tourna vers la couturière et dit :
- Madame Troac'h, bonjour. Je vous amène Héloïse, la femme de mon frère. Elle va avoir besoin de quelques robes pour cet hiver. Je crains que celles qu'elle a apportées ne soient pas suffisamment chaudes.
- Oh, bien. Bonjour, Madame, me dit-elle en me tendant une main très fine et très douce, ce qui était assez surprenant, même pour une femme, car la plupart étaient habituées à des travaux assez rudes et elles ne gardaient pas longtemps de belles mains.
- Bonjour, Madame Troac'h, répondis-je, j'espère ne pas vous occasionner trop d'ouvrage. La robe que je porte aujourd'hui est une des plus chaudes que je possède.
Elle me regarda avec circonspection, alors que sa fille s'occupait d'Abigail.
- Hum... En effet. Pour l'automne, cela ira encore, mais quand il y aura beaucoup de neige... Surtout si vous repartez pour Inverie d'ici peu... Bien, je vais prendre vos mesures.
Elle commença à s'activer autour de moi, me posant quelques questions. Puis elle m'aida alors à ôter ma robe. Je demeurai stoïque, en jupons, non loin d'un feu bien fourni. A un moment, je vis la brave femme sourire doucement. Puis elle dit :
- Il va falloir prévoir un peu large... N'est-ce pas ? demanda-t-elle en relevant la tête vers moi, alors qu'elle mesurait mon tour de taille.
Je déglutis. Ainsi donc, une autre personne que Clarisse commençait à avoir de sérieux doutes quant à une grossesse !
- Hé bien, répondis-je. Je... Je pense que... oui.
Jennie, qui regardait pendant ce temps des morceaux de tissu posés sur une grande table, se retourna et s'approcha. Son regard brillait tout en me fixant.
- Kyrian le sait ? Tu lui as dit ?
- C'est que... Non, pas encore. Je n'étais pas certaine et... et puis, j'aurais voulu le lui annoncer à Inverie, dis-je prise par une inspiration soudaine pour trouver une explication plausible.
- Il va falloir lui dire avant ! Il va finir par le remarquer tout seul, sinon..., dit-elle en riant légèrement. Mais c'est une excellente nouvelle !
Et, sans s'occuper de Madame Troac'h, toujours agenouillée devant moi, elle me prit dans ses bras et me serra très fort contre elle.
- C'est une si bonne nouvelle, oh oui !
Puis elle me lâcha et même si elle détourna rapidement son visage, je ne pus ignorer la larme qui perla à sa paupière. Pour ne pas montrer ma propre émotion, je baissai les yeux et me concentrai sur ce que faisait Madame Troac'h.
Quand elle eut terminé, je me rhabillai, avec son aide et celle d'Isobail. Puis, Jennie, Abigail et moi-même quittâmes l'atelier de couture et nous nous rendîmes chacune dans nos chambres, pour nous préparer pour le dîner.
**
J'avais bien compris la nécessité de mettre désormais Kyrian au courant de sa future paternité. Je craignais que la nouvelle ne se répande comme traînée de poudre, puisque plusieurs personnes étaient maintenant dans la confidence. J'ignorais si je pouvais compter sur une certaine discrétion de la part d'Abigail, comme de celle de Madame Troac'h et de sa fille. Jennie, je le savais, ne dirait rien. Aussi le dîner me sembla-t-il bien long, alors qu'il n'avait pas dû se prolonger plus que d'habitude.
Prétextant un peu de fatigue, je quittai nos hôtes dès que cela me sembla possible. Clarisse m'attendait dans la chambre et me dit :
- Il y a une jeune dame qui est passée tout à l'heure. Elle a apporté des jupons pour vous. Ils sont plus chauds que les vôtres, m'a-t-elle dit. C'est vrai.
- Oh, ce doit être Isobail, la fille de Madame Troac'h, la couturière.
- Ah oui, c'était un nom comme vous dites, Madame. Vous avez pu la voir, alors ?
- Oui, tantôt. Elle va me faire d'autres robes.
Je marquai un petit temps de silence, puis j'ajoutai, sur un ton de confidence :
- Et elle les fera un peu larges.
Clarisse sourit, termina de me préparer, mais sans dire un mot. Quand elle me quitta, je n'attendis pas Kyrian et me couchai rapidement. Même si un bon feu brûlait nuit et jour dans la cheminée, les nuits étaient déjà bien fraîches et je trouvai avec plaisir le lit sous lequel Clarisse veillait à mettre des briques chaudes. L'édredon me parut bien accueillant et je plongeai bien vite dans une torpeur proche du sommeil.
Ce fut Kyrian qui me réveilla en venant se coucher. Il était déjà tard, il avait encore longuement parlé avec ses cousins. Je mesurai bien, au fil des jours, sa joie à les retrouver et à discuter de bien des choses concernant les terres, le clan. Si je ne l'avais pas entendu entrer dans la chambre, j'avais senti le lit craquer sous son poids et alors que je venais me blottir contre lui, il m'enserra de ses bras puissants.
- Tu ne dormais pas ?
- Je somnolais. Je t'attendais.
- Ah oui ?
A la faible lueur des bougies, je pus deviner son sourire. Ses mains se glissèrent sous ma chemise de coton, cherchant mes seins qui se dardèrent à peine il les effleura. Il me murmura à l'oreille :
- Ce que tu es sensible... Hum... Et de plus en plus, j'ai l'impression...
Ses lèvres embrassaient mon cou et je commençai à m'abandonner, d'autant que mon jupon de nuit ne tarda pas à se retrouver par terre et que ma chemise prenait le même chemin. Je parvins cependant à me redresser dans le lit, déjà un peu essoufflée.
- Kyrian...
- Oui ?
Je voulus parler, mais ce fut une plainte qui sortit de ma gorge : il venait d'empaumer mes fesses et sa main se glissait déjà entre mes cuisses. Je décidai alors de prendre une initiative qui, je le savais, ne lui déplaisait pas :
- Laisse-moi... venir sur toi...
Le lit craqua à nouveau car il s'était installé confortablement, sur le dos, calé contre les oreillers. Tirant les draps avec moi pour nous recouvrir, je m'étendis sur lui, couvrant son visage, puis son torse de petits baisers piquants. Ses plaintes étaient la manifestation sonore de son désir, mais il en était une autre, bien évidente, contre mon ventre. Je me redressai, entrouvris mes cuisses et je m'assis sur lui.
- Héloïse... Hum... Oh, ma belle, ma toute belle...
- Dou... doucement..., dis-je.
Mais déjà il m'emportait et je ne pus résister. Le plaisir nous foudroya et nous laissa le cœur battant et le souffle court. Je demeurai cependant couchée sur lui, puis, relevant mon visage vers le sien, je cherchai son regard. Il avait les yeux fermés, un sourire d'ange éclairait ses traits.
- Kyrian ?
- Mon aimée ?
- Regarde-moi...
Il rouvrit les yeux et je pus enfin plonger au cœur de ses prunelles d'émeraude. Mon visage était le plus proche possible du sien, mes lèvres effleurèrent les siennes en un souffle léger. Je saisis sa main et la serrai fort dans la mienne, enlaçant ses doigts aux miens.
- Kyrian... Il faut que je te dise... J'attends un enfant. Notre enfant.
Il demeura immobile un long moment, me fixant sans dire un mot, tel une statue.
- Tu es sûre ? finit-il par articuler.
- Oui.
Il se redressa alors, me prit dans ses bras et me serra fort contre lui.
- Oh, ma douce... Déjà... Quel merveilleux cadeau ! Mais... Il va falloir que je fasse attention à toi, maintenant... A être plus... moins... impétueux !
Je ris dans son cou.
- Pour l'heure, je crois qu'il n'y a pas à s'inquiéter !
Il rit avec moi, puis s'empara de mes lèvres. Quand nous rompîmes notre baiser, je lui dis :
- J'aurais voulu te l'annoncer seulement à Inverie, mais... je ne sais pas quand nous y serons et... je pense que cela va bientôt se voir.
- Peu importe où tu me le dis. Il naîtra à Inverie, cela est certain. Et je suis si heureux ! Laisse-moi te regarder un peu !
Il se releva vivement, prit le chandelier, ralluma une des bougies qui s'était éteinte, puis revint vers le lit. Je m'y tenais toujours assise, les draps autour des jambes, le torse dénudé, mais frissonnante déjà dans la fraîcheur de la nuit. La lumière pâle jeta des reflets d'ambre clair sur ma peau. Kyrian me regardait avec attention, presque comme s'il avait voulu fixer chaque parcelle de mon ventre, dans sa mémoire.
- Hum... Je ne l'aurais pas encore deviné... Mais... j'ai hâte que tu prennes des formes !
Son rire résonna une fois encore sur les murs de la chambre et, après avoir reposé le chandelier sur la table, il se glissa à nouveau sous l'édredon et m'enlaça.
- Je t'aime, mon Héloïse.
- Je t'aime, Kyrian. Et je suis si heureuse...
Et nous nous endormîmes bien vite à ces mots, enlacés et blottis l'un contre l'autre.
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