Chapitre 25

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Château d’Inverie, avril 1736

J'étais père depuis un peu plus d'un mois. Je ne me lassais pas de ce bonheur tout neuf, aussi beau que ce printemps qui s'épanouissait, jour après jour. Je ne me lassais pas de contempler mon fils, chaque matin, chaque soir, à toute heure de la journée où je pouvais aller le regarder, où je pouvais le voir dans les bras de sa mère ou couché dans son berceau.

Roy.

Héloïse avait suggéré de le prénommer comme mon père et j'en ressentais joie, fierté, amour. Pour elle, pour lui. Et comme un souvenir bien vivace de cet homme dont les traits du visage, pourtant, s'effaçaient lentement de ma mémoire. Je l'avais à peine connu. Et, parfois, en y songeant, une sorte de vertige me prenait. Et si mon propre fils devait affronter semblable destin ? Et si je venais, moi aussi, à disparaître alors qu'il était encore un tout jeune enfant ?

Cette peur, cependant, s'effaçait à chaque fois que je le voyais. Et Héloïse affichait tant de bonheur que je me laissais moi aussi prendre à ce sentiment nouveau.

Kyle et Hugues s'étaient moqués de moi quand, quelques jours après le baptême, j'avais réalisé de mes propres mains et installé une balançoire à l'une des branches basses du grand chêne. Mais Jennie avait souri doucement, traversé la cour et m'avait pris dans ses bras en me serrant fort un instant. Nous n'avions pas échangé un mot, mais une larme avait coulé de ses yeux, faisant taire subitement le rire narquois de Kyle qui venait de suggérer que mon fils était bien jeune pour s'y tenir déjà.

Quand j'avais relâché Jennie, je lui avais dit :

- Je m'en étais fait la promesse.

Elle hocha la tête, compréhensive. Un léger sourire chassa l'émotion de ses yeux et elle me répondit :

- C'était une très belle promesse et je suis heureuse que tu puisses l'honorer. Je suis certaine qu'Alec en est heureux aussi, de là où il est.

Puis elle lâcha un soupir :

- Je crois... que j'aimerais aller prier sur sa tombe. Viendras-tu avec moi ?

J'avais acquiescé volontiers. Nous avions quitté la cour et cheminé tous les deux jusqu'au petit cimetière familial. Là, silencieux, nous étions restés un moment devant les tombes de ceux qui nous avaient été si chers et dont nous avions été privés si tôt.

Quand j'avais redressé la tête, après être resté un moment devant la tombe de mon père, j'avais vu que Jennie regardait vers le loch, le regard un peu rêveur. Elle s'était tournée alors vers moi, s'était approchée et posant ses mains sur mes bras, elle m'avait dit :

- Tu verras Roy grandir. L'Histoire ne se répète jamais.

- Mais, parfois, elle balbutie, avais-je dit avec gravité.

- Héloïse t'empêchera de mourir trop jeune. Et moi aussi, avait-elle ajouté avec finesse.

Nous nous étions souri, puis, sans dire un mot de plus, nous avions regagné le château. Au cours de la soirée qui s'en suivit, Alex, Hugues, Kyle et moi-même discutâmes longtemps d'un projet qui allait nous occuper durant de longs mois : l'agrandissement du manoir pour en faire un vrai château et une demeure pouvant abriter désormais deux familles. Je voulais que ma sœur comme mon beau-frère se sentent aussi chez eux et, pour cela, j'envisageais l'ajout d'une aile à la demeure existante. Alex me dit que nous avions l'argent pour le faire, à condition cependant de prendre sur nos propres réserves pour nourrir et héberger les ouvriers durant tout le temps du chantier. Sans plus attendre et dès que nous eûmes bien réfléchi aux plans, nous entamâmes les travaux.

**

Ce ne fut pas la fraîcheur toute printanière de ce matin d'avril qui tira Héloïse du sommeil, mais mes propres mains se glissant sous le tissu de sa chemise de nuit. Je ne quittai pas des yeux son visage encore endormi, alors qu'elle remuait imperceptiblement, se tournant vers moi. Je posai mes lèvres sur les siennes, avec douceur, puis, lentement, veillant à la réveiller sans heurt, je glissai ma langue entre elles, cherchant la sienne pour un baiser plus profond. Je la sentis vibrer intérieurement, puis son souffle effleura ma joue et je lui murmurai tendrement :

- Bon anniversaire, mon aimée… Voici un beau jour pour tes vingt ans !

Je m'écartai légèrement, la tenant contre moi, et savourant son réveil, son premier et beau sourire. Le jour était maintenant levé, un franc soleil entrait par la fenêtre. Nous échangeâmes un long regard avant de nous embrasser à nouveau. Mais alors que je resserrai mon étreinte autour de sa taille, ce fut elle qui, la première, vint chercher une caresse en glissant sa main sur mon torse, puis en la remontant sur mes bras et mes épaules. Je prolongeai notre baiser, déjà soupirant d'aise de la retrouver. Du fait de l'accouchement et de ses suites, nous n'avions pas encore refait l'amour depuis la naissance de Roy et il me tardait de la retrouver totalement. Mais je ne voulais rien brusquer, rien précipiter, la devinant sensible. Même si elle ne m'avait pas vraiment repoussé, j'avais compris qu'elle n'était pas encore remise - et c'était sans compter Jennie qui m'avait fait savoir que je devrais être patient.

Mais, ce matin-là, mon aimée semblait toute disposée et je la laissai faire. Ses mains étaient si douces sur ma peau, notre baiser si profond, son corps si chaud contre le mien que je ne pouvais souhaiter plus beau moment et plus tendres échanges pour marquer son anniversaire. J'avais aussi une surprise pour elle et je m'étais dit que, très certainement, ce serait ce que j'aurais de mieux à lui offrir en ce jour particulier. Même si c'était elle qui me surprenait encore, avec notre étreinte.

Ce fut elle qui rompit notre baiser la première, et à la folle lueur que je vis danser dans ses yeux, je fus alors certain que nous n'allions pas en rester à de chastes caresses. Son sourire éclaira son visage aussi joliment que les rayons du soleil éclairaient la montagne et le loch.

- Mon aimé... me dit-elle d'une voix joyeuse, je voudrais te faire un cadeau pour ce jour... qu'il n'y ait pas que toi à m'offrir quelque chose...

- Et bien donc ? Que veux-tu m'offrir ? lui répondis-je en souriant un peu malicieusement.

- Moi... Je ne saigne plus... Nous pouvons nous retrouver à nouveau. Nous aimer à nouveau.

Et sans me laisser le temps d'ajouter le moindre mot, elle m'embrassa et, appuyant plus fermement ses mains sur mes épaules, elle me fit basculer sur le côté. Je compris sans peine ce qu'elle voulait et je me laissai aller sur les oreillers. Un souffle léger sur ma peau et je rouvris les yeux. Agenouillée près de moi, elle venait d'ôter sa chemise de nuit, m'offrant la vision de son corps encore arrondi par la grossesse. Ses seins étaient lourds de lait, leur peau presque translucide laissait voir les veines bleutées et gonflées. J'eus l'impression qu'ils étaient devenus très fragiles et j'en pris un avec beaucoup de précaution dans ma paume. Son téton durcit aussitôt et Héloïse ferma les yeux, une première plainte s'échappant entre ses lèvres. Puis elle glissa sur moi et m'enveloppa de sa chaleur.

**

Nous fîmes une fête joyeuse pour cet anniversaire. Jennie et Madame Lawry n'avaient pas quitté la cuisine depuis le matin et, déjà, la veille, elles avaient réalisé plusieurs préparations. Ce fut un repas au moins aussi plantureux que pour le baptême de Roy. Comme il faisait beau, nous avions installé les tables dans la cour et les ouvriers participèrent au repas. Ce jour-là, j'avais décidé qu'ils feraient relâche. Je voulais que ma femme puisse profiter de sa journée d'anniversaire dans la tranquillité.

Après le repas, et alors que Roy, bien nourri, s'était endormi pour sa sieste de l'après-midi, je proposai à Héloïse de descendre jusque sur les rives du loch, pour une petite promenade. Je sellai rapidement nos deux chevaux et nous partîmes, laissant la maisonnée profiter de quelques heures de tranquillité. J'ignorais qu'à cette occasion, un des jeunes hommes venus travailler sur le chantier allait conter fleurette à Clarisse qu'il ne laissait pas indifférente et que les cloches de l'église appelleraient bientôt à de nouvelles réjouissances, en plein cœur de l'été.

Mais, pour l'heure, je ne voulais que savourer ces quelques moments où nous étions tous les deux, Héloïse et moi, à chevaucher côte à côte tout en admirant la beauté du paysage qui s'étalait devant nos yeux. Les eaux du loch étaient très calmes, le ciel s'y mirait, les rendant d'un bleu profond, dont les éclats étaient très proches de ceux de mon aimée. Le soleil de ce bel après-midi apportait une douce chaleur printanière, et je sentis bien vite ses rayons réchauffer ma peau à travers mon tartan et ma chemise. Il n'y avait pas un souffle de vent et seul le lent mouvement de nos montures faisait un peu bouger les cheveux d'Héloïse, sur ses épaules. Elle les portait désormais toujours longs et libres dans son dos, à peine retenus par un ruban contenant les mèches qui auraient pu lui tomber devant les yeux. Je percevais en elle une beauté et une maturité nouvelle, apportée par sa grossesse et surtout, son nouvel état de mère. C'était pour elle une satisfaction profonde, un épanouissement et une joie qui éclairait ses journées, nos journées.

Je la menai jusqu'à la grève et nous longeâmes la plage. Les sabots de nos chevaux foulaient le sable blanc et fin, le soulevant en fine poussière. D'où nous étions, nous pouvions embrasser toutes nos terres ou presque, si on exceptait celles situées derrière la montagne. Mais on avait une vue splendide sur le loch, depuis son embouchure sur la mer, jusqu'à sa naissance, sur notre gauche, tout au loin, vers le levant. Nous étions chez nous et j'étais heureux de pouvoir offrir un tel lieu de vie à ma femme et à mon enfant.

Arrivés au bout de la plage, nous descendîmes de cheval et fîmes quelques pas vers des rochers. Nous restâmes debout à regarder le soleil descendre lentement vers la mer. Le soir était encore loin, mais il avait entamé sa course vers le ponant. Me tenant dans le dos d'Héloïse, je l'enlaçai et appuyai ma tête sur son épaule. Ses cheveux me caressaient doucement la joue. Mes mains reposaient sur son ventre encore rond, mais j'aimais les formes qu'elle avait prises durant sa grossesse. J'aimais aussi ses seins plus lourds et plus sensibles, même si j'avais pu constater, au petit matin, que la moindre caresse faisait suinter leur lait.

Après un petit moment à rester ainsi silencieux, je me redressai et lui dis :

- Mon amour, j'ai quelque chose à t'offrir, aujourd'hui.

- Quelque chose d'autre que cette promenade et cette vue magnifique ? me demanda-t-elle un peu surprise.

- Oui.

Je défis mon étreinte et, fouillant dans un repli de mon kilt, je pris mon sporran, l'ouvris et en sortis la bague de ma mère, celle que mon père lui avait offerte bien avant leur mariage. Elle aurait dû revenir à la femme d'Alec, s'il s'était marié, ou à Jennie. Mais cette dernière l'avait refusée. Elle voulait que ce soit Héloïse qui la portât au prétexte qu'elle devait revenir à la dame d'Inverie.

Je pris la main de mon aimée et glissai la bague à son doigt. Elle la regarda, étonnée et émue. Elle la porta devant ses yeux. C'était une bague d'argent, ouvragée, un bijou ancien, symbolisant l'union de la terre et de la mer, du feu et de l'air, symboles d'un temps disparu, celui des druides.

- Elle est très originale, me dit Héloïse. Elle me semble ancienne...

- Elle l'est. Elle a appartenu à ma grand-mère, la mère de mon père et de Craig. Elle l'avait donnée à mon père pour qu'il l'offre à Soa, ma mère, avant même leurs noces. Elle a été créée il y a fort longtemps, mais je ne saurais dire quel est son âge. Elle représente les symboles anciens des quatre éléments.

- Je distingue... en effet...

Héloïse regardait la bague avec attention. On pouvait nettement, sur l'un des entrelacs, deviner comme une vague, sur un autre, une flamme. Les autres symboles étaient moins visibles, patinés par le temps. Je poursuivis :

- Ma grand-mère a tenu à ce que cette bague appartienne à ma mère, car elle devait être la première lady d'Inverie. Ma grand-mère était originaire des terres d'Inverie, qu'elle avait apportées en dot. Elle n'avait pas de frère et ces terres étaient donc très convoitées. Ma grand-mère aurait pu épouser un Campbell, par exemple. Mais elle a préféré un MacLeod. Et, ainsi, les terres de mon clan se sont étendues au-delà de Skye.

- La protection du clan sur Inverie est donc récente ? me demanda encore Héloïse, soudain passionnée par cette histoire.

- Oui. Cela ne remonte qu'à deux générations avant nous.

- Est-ce pour cela que ton père est devenu laird d'Inverie et ton oncle celui de Skye ?

- Hum... d'une certaine manière, oui. Mon grand-père avait donc deux fils. Mon père était l'aîné. Il avait du courage, toujours prêt à l'aventure. Il savait mener les hommes, aussi. C'est pourquoi mon grand-père lui confia d'administrer les terres d'Inverie. Mon oncle Craig resta à Dunvegan. La santé de mon grand-père déclina vite et mon oncle devint presque logiquement l'interlocuteur privilégié de tous. Quand l'heure fut venue de désigner le laird, ce fut lui que le clan choisit.

- Ton père ne s'est pas opposé à ce choix ? Alors qu'il était l'aîné ?

- Non. Car il respectait le choix du clan, de tous les hommes du clan, et que ce choix était juste. Mais mon oncle ne voulait pas que son frère, qu'il aimait et admirait aussi beaucoup, soit perdant et comme il connaissait bien désormais les nouvelles terres du clan, qu'il avait bataillé contre les Campbell pour assurer à tous la protection des MacLeod, ils décidèrent ensemble de créer une nouvelle branche : celle des MacLeod d'Inverie. Et mon père fut désigné comme étant le premier laird MacLeod d'Inverie par tous les hommes d'ici.

- Hum, je comprends. C'était une sage décision.

- Elle assurait un revenu à mon père et à sa famille, mais pas seulement. En créant une deuxième branche au clan, cela lui confère aussi autorité sur ces territoires continentaux. Les gens d'ici, ceux qui vivaient du temps de mon père - et certains vivent encore -, n'étaient pas mécontents d'échapper à la mainmise des Campbell. De ce que m'en a dit mon oncle, mais aussi Alex, mon père avait un sens profond de la justice, de l'honneur. Il avait su faire face à des années de disette, évitant la famine ici alors qu'elle sévissait là-bas. Il a également mené quelques combats contre des brigands. Et a obtenu ainsi l'admiration des hommes et des femmes du nouveau clan. Je me dois de poursuivre son œuvre en assurant et assumant la protection des MacLeod sur Inverie.

Héloïse regarda à nouveau la bague. Je pouvais percevoir à ses sourcils légèrement froncés qu'elle réfléchissait à tout ce que je venais de lui apprendre, qu'elle remettait les choses en perspective.

- Je comprends un peu mieux l'animosité qu'il peut y avoir avec les Campbell.

- Oui. Ils lorgnaient sur ces terres depuis longtemps, avaient déjà tenté de s'en emparer par la force. Enfin, ils avaient espéré pouvoir, grâce au mariage de ma grand-mère avec l'un d'entre eux, les gagner par une alliance et non, pour une fois, par la guerre. Mais elle en a décidé autrement... Je crois qu'épouser un des grands-oncles de Logan Campbell n'avait rien de réjouissant...

- Alors que ton grand-père était un homme plus respectable ?

- Je ne l'ai pas connu. Et ma grand-mère est décédée quand j'avais deux ans. Je ne l'ai jamais vue. Mais de ce que l'on m'a rapporté, mon grand-père était un homme très séduisant et il avait su conquérir le cœur de ma grand-mère tout en convainquant les siens d'étendre le clan. Il craignait que Skye ne soit un jour trop petite pour nous tous, et il pensait qu'avoir des terres sur le continent pourrait être, un jour, un atout. Pour l'heure, je ne saurais dire s'il avait raison ou pas.

- Est-ce de lui que tu tiens tes yeux verts ?

J'éclatai de rire et je vis Héloïse sourire : mes pupilles devaient pétiller.

- Oui. Comment l'as-tu deviné ?

- S'il était aussi séduisant que toi, je comprends que ta grand-mère n'ait pas fait la difficile...

Je la pris alors dans mes bras, riant encore, et vins enfouir mon visage dans sa longue chevelure.

- Je pense que tu es une épouse digne d'elle, d'assurer sa filiation... Je suis certain que tu lui aurais beaucoup plu ! ajoutai-je en la serrant contre moi.

Puis je m'écartai bien vite pour plonger mon regard dans ses beaux yeux bleus et l'embrasser profondément.

**

J'aurais bien prolongé notre escapade un peu plus, mais je savais que Roy n'attendrait pas pour son repas et qu'il fallait qu'Héloïse soit de retour au château. Il pleurait en effet, réclamant son dû avec force cris à hauteur de sa faim, alors que Jennie le berçait, tentant de le calmer et de le faire patienter. Héloïse avait pâli en l'entendant et s'était précipitée vers ma sœur. Celle-ci la rassura :

- Cela fait à peine deux minutes qu'il est réveillé. Tout va bien. Il peut bien patienter un peu ! Si on lui cède trop facilement, il deviendra un bougre d'homme autoritaire et colérique.

- Mais il a faim ! Et il est encore si petit... Je ne crois pas qu'il devienne ainsi, dit Héloïse avec force.

Jennie rit en réponse, alors qu'Héloïse s'éloignait vers notre chambre, emportant Roy contre son sein. A peine la porte fut-elle refermée que les pleurs cessèrent, signe que le petit vorace avait trouvé à se sustenter.

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