Trou Noir

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Brusquement, les choses avaient changé. Impossible de clairement discerner en quoi, à la limite il n’y avait aucun signe extérieur pour pouvoir affirmer un truc pareil, tout autour de lui paraissait parfaitement normal, en tout point pareil à hier, une chaise restait une chaise, un meuble, un meuble. A une exception près, et c’est justement cette exception qu’il cherchait maintenant à saisir. Or elle lui échappait inexorablement. Il scruta une nouvelle fois les alentours, sans trouver rien de surprenant, mais sans pouvoir pour autant se défaire de cette impression d’étrangeté, virant en une espèce d’angoisse contre laquelle il se sentait incapable de lutter. Il se disait : si toutes ces choses autour de moi sont effectivement identiques à ce qu’elles étaient hier, c’est donc moi qui ai changé. Il s’agissait d’un raisonnement de pure logique. C’était simplement lui qui, pour une raison qui restait à déterminer, ne prenait plus les choses comme avant. D’accord. Jusque-là, rien de bien alarmant. Mais… Au fait… Avant quoi ?

Entre temps il avait dû se passer quelque chose. Entre un moment appartenant au passé et maintenant, une poussière s’était glissée dans le mécanisme. Ce fut la première idée qui lui traversa la tête. Un événement particulier avait changé le cours des choses. C’était cette piste qu’il devait explorer. Il passa alors au crible l’emploi du temps de sa journée. Il s’était levé à huit heures, comme à son habitude, après une nuit un peu agitée. Petit déjeuner, douche, jusque-là ça allait, tout paraissait très clair dans sa tête. Ensuite… Ensuite il avait pris le temps de se préparer, il avait prévu de sortir faire quelques courses. Entre autres, il devait acheter la viande pour la blanquette de veau qu’il avait prévu de cuisiner pour ce soir. Hélène devait passer vers dix-neuf heures, il savait qu’il s’agissait de son plat préféré, et il avait eu envie de lui faire plaisir. Peut-être nourrissait-il l’idée de la séduire un peu… Bref : il avait décidé d’aller chez Blancaster, la viande y était excellente et c’était à peine à cinq minutes de route. Il se souvenait avoir salué son boucher puis être remonté dans sa voiture, avec son paquet à bout de bras. Ensuite… Ensuite… Là, quelque chose lui échappait. Il cherchait à accrocher les images les unes aux autres mais tout se défilait. Tout devenait flou. Il ne restait plus qu’un grand trou noir, telle une énorme interférence dans son espace temporel impossible à contourner.

Voilà pourquoi il avait trouvé du changement dans l’ordre des choses. C’était dans ce trou noir qu’elles avaient changé. Ou que lui avait changé… Quelque chose s’était perdu dedans, c’était la seule évidence. Bon. Une fois qu’il s’était dit ça, ça ne réglait pas du tout son problème. Ça le repoussait tout au plus. Il était bien avancé. Il fut tenté de tout recommencer depuis le début, regarder à nouveau autour de lui, questionner les objets qui l’entouraient mais il savait déjà que ça ne servirait à rien. Il avait effectué cette inspection mille fois peut-être… Non : il devait se limiter à questionner les événements jusqu’à passer ce fichu gouffre angoissant. Gagner du terrain sur lui, grignoter ses entrailles, millimètre par millimètre. Alors reprenons: qu’avait-il donc fait de son paquet ? Avait-il au moins cuisiné sa blanquette ? Voilà des questions auxquelles il devrait pouvoir répondre… Or il chercha, creusa sa mémoire et se rendit vite compte qu’aucune image ne lui venait. Son angoisse monta d’un cran. Il devait absolument se sortir de là, et retrouver enfin une vie normale. Bon. Il ne fallait pas se laisser distraire, les choses étaient assez compliquées comme ça… Il se revoyait donc monter dans sa voiture avec ses paquets. Ensuite… Ensuite il avait démarré, s’était engagé sur la petite route qui passait par derrière... Et puis… Oui… les choses revenaient enfin, doucement… Il… Il se souvint soudain de… deux phares… deux putains de phares, là, juste devant lui, il s’agissait d’un type, un chauffard venant en face et qui doublait, il avait cherché à l’éviter, il avait fait tout ce qu’il avait pu, freiné de toutes ses forces, tourné le volant, ses pneus avaient crissé sur le bitume, il avait senti la voiture perdre son adhérence…

Et ensuite… Ensuite, il s’était retrouvé dans ce maudit trou noir. Et c’est au moment où il en était sorti que, brusquement, les choses avaient changé. Impossible de clairement discerner en quoi…

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