La sirène et le pâtissier 2/
Tandis qu’elle me précédait, je n’avais d’yeux que pour ses fesses charnues, qui se balançaient en cadence devant moi. J’imaginais deux brioches rondes, fermes, moulées, appétissantes – foi de pâtissier ! Un sentiment de honte me piqua la peau et je me détestai pour ces pensées impudiques qui venaient me parasiter. Par chance, nous étions dans le jardin et le bruit des oiseaux de l’immense volière me fit relever la tête avant qu’elle ne se retourne pour commenter :
— Un des endroits préférés des mariés. Le mien aussi. C’est tellement romantique !
Elle me parlait, mais tout ce que je voyais c’étaient ces images de moi, saisissant ses fesses pour les pétrir avant de les dévorer durant des heures.
— Elles appartenaient au baron. On voulait s’en occuper, pensant qu’elles mourraient quelques années plus tard, mais non, elles se sont reproduites. Plusieurs générations de perruches se sont succédé ici.
D’ordinaire, ce genre de bavardages aurait tendance à m’ennuyer, mais tout en elle monopolisait mon attention. Je buvais les paroles qui sortaient de sa bouche, ces deux fruits rouges, aussi défendus que juteux dont chaque mouvement était un appel à mes envies les plus primaires. Je les réfrénai autant que possible, effaré de pouvoir ressentir cela alors que j'étais marié.
Ce n'était pas la première fois que je me trouvais en compagnie d’une belle femme mais une telle perte de contrôle était inédite.
En réalité, il m’arrivait même souvent de cotoyer de belles plantes. Vous verriez mon épouse. Un véritable mannequin. Enfin elle aurait pu, mais elle a fait encore mieux : c’est une infirmière. Le fantasme absolu, vous me suivez ?
Alors voila, me mettre dans un tel état me troubla d’autant plus. Line était la seule qui aurait dû susciter ça chez moi, elle qui avait volé mon cœur par ses innombrables qualités.
Bavarde, professionnelle et surtout fière de me parler de leur concept, Emeline me montra tout ce que je devais connaître des lieux. Comme s’il fallait me convaincre de quelque chose.
À la mise en place du partenariat avec la Forge, il y a quatre ans, j'étais en voyage de noce et ma seule signature électronique avait suffit. Renan, venu sur place, m’avait alors déjà tout détaillé. Le manoir luxueux pouvant accueillir des mariages jusqu’à trois cent personnes, dans une excellence et une exigence identiques en tous points aux nôtres. Nous fournissions les pâtisseries, les pièces montées la plupart du temps, avec une livraison par nos soins le vendredi après-midi exclusivement. Tant de détails inutiles et oubliés que son explication ravivait.
Après la visite des jardins, de la fontaine et de la roseraie, elle me présenta à Jean-Marc et Pierrette, les propriétaires des lieux, puis nous mena dans son bureau, pour déposer les factures et faire le point sur les commandes à venir.
Le court instant durant lequel elle se pencha au-dessus de la table pour me présenter un document suffit à me dévoiler le galbe de ses seins, débordant de son chemisier et m’appelant à perdre la tête. Le souffle court, il me fallut un energie intense pour ne pas laisser transparaître les émotions qui me traversèrent.
Sur la route du retour, quelque chose n’allait pas. Impossible de savoir ce qui m’arrivait. Je n’avais commis aucune faute et pourtant, je ne me sentais pas bien. Un déchirement au fond du cœur me donnait la nausée. L’image de cette femme persistait au fond de mes yeux et bien plus qu’elle ne l’aurait dû, elle me troublait.
Sensation indescriptible que celle mêlant vide et trop plein. Quelque chose avait explosé en moi et elle en avait été l’étincelle.
J’aurais dû agir autrement, j’en ai conscience, réfléchir un peu plus, peut-être même en parler à quelqu’un, mais au lieu de cela, savez-vous ce que j’ai fait ?
J'en ai voulu à cette tentatrice !
Parce que c’était sa faute.
Je lui en voulais d’exister et de dévoiler une telle faiblesse chez moi. Plus j’essayais d’oublier ces images sensuelles et moins j’y arrivais. Mes pensées me ramenaient sans cesse à cette femme que, sans Line dans ma vie, j’aurai voulu posséder jusqu’à en crever. Comment la seule vue de cette femme pouvait me mettre dans cet état ?
Qu’avait-elle de plus que les autres ?
Sa peau sous mes doigts, son souffle dans mon oreille, ses mains sur moi, je tramais toutes sortes de scènes qui augmentaient inexorablement mon désir. Dans ces scénarios que mon esprit m’assenait, il n’etait question d’aucun amour, mais de corps à corps bestiaux, de sexe effreiné et sportif. Et ces pensées ne firent qu'alimenter ma colère. Non, Karl Delmart ne perdra jamais le contrôle et surtout pas pour une petite pute dans son genre.
Oui, vous voyez, même ce genre de parole ne me ressemblait pas. Froid, dur, sans état d’âme, je ne me rendais pas compte que la vérité avait plusieurs facettes.
Ce soir-là, je fis l’amour à Line, plus fort et plus intensément que je ne l’avais jamais fait, m’enfonçant toujours plus profondément en elle, la saisissant avec fermeté. Ma raison savait que Line était mienne, mais il persistait d’autres parties de moi qu’il fallait convaincre à tout prix.
Stimulé malgré moi, je disposais d’une énergie et d’une envie que je redirigeais sur elle. L'engouement de mon épouse, émoustillée par ma fougue, ne faisait que s'ajouter à cette ardeur que je peinais à supplanter. Parfois, ma vision me jouait des tours, de façon très furtive je l’apercevais : d’un coup, ce n'était plus Line que je baisais si fort, mais l’avatar de la sirène de la Forge. J’endiguai ma sensation de perte de contrôle, ou peut-être ma culpabilité, en une force de frappe méthodique. Chaque râle de plaisir poussé par ma femme renforçait l’assurance de ma dévotion envers elle. Line, mon unique, mon tout. La faire jouir effaçait un peu l’image de cette autre qui n’était rien pour moi.
Cet épisode me força à soudoyer Renan pour qu’il me remplace dès le vendredi suivant.
J’avais encore assez de recul à ce moment. J'étais comme un spectateur extérieur et je tachais de rester l’homme que je voulais être. La saison des mariages battant son plein, la Forge affichait complet chaque semaine et les commandes allaient se succéder.
Et qui disait commandes, disait aussi livraison.
En attendant de recruter un chauffeur de confiance, c'était LA chose à faire. Un comportement sain. Adulte. Je me le devais autant que je le devais à mon mariage.
Malgré moi, le vendredi suivant quand Renan revint de sa livraison, je m’enquis auprès de lui en quête de détails, cherchant dans la moindre mimique de son visage quelque chose qui trahirait chez lui un trouble en tout point égal au mien. Avoir enfin quelqu’un avec qui parler de cette femme à l’aura dévastatrice.
Peut-être même aura-t-il succombé et j’aurai pu vivre cette expérience par procuration ?
Et peut-être que nous ne serions pas dans cette pièce aujourd’hui… ou peut-être bien que si, mais pas pour la même raison.
— Tu as rencontré Madame Martinelli ? lui ai-je demandé, dans un air faussement détaché.
— Emeline ? Non, pas depuis la signature, et là, elle est en congé. En Italie avec son mari, m’a-t-on dit.
Renan passa devant moi pour ranger les factures, me laissant figé par cette information qui m’avait échappée. Cette petite salope était mariée. À fixer son corps en quelques endroits, j’en avais oublié ce qui se voyait le plus, ses sages mains, moins sexys sans doute, mais tellement importantes.
D’un coup, cet anneau que j’avais ignoré devenait une frontière supplémentaire. Un mur érigé entre nous, ramenant mon esprit à une sensation de sécurité.
La salope redevenait une simple femme et elle devoilait au passage mon veritable visage, celui du connard. Celui qui perdait son sang froid et si fier qu’il en etait incapable de voir la réalité : elle n’etait en aucun cas responsable de l’attirance que je ressentais pour elle. Esclave de mon sexe, apeuré par l’idée d’être faillible, j’avais transferé la faute pour ne pas en porter la marque, mais le constat était sans appel, le fautif, c’était moi.
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