Chapitre 6, partie 2 :
Angelo DeNil :
Je vois Will faire les cents pas. Il semble réfléchir et ne se soucie pas de moi. Le louveteau se couche à mes côtés et instinctivement mes doigts trouvent sa fourrure. Quand je me rends compte de mon geste, je laisse ma main en suspens, zieutant la boule de poils de travers.
— Il ne reste aucune de leurs affaires, et même le chauffeur de bus n'est plus là, c'est vraiment louche, fait remarquer Marx.
— Sans blague ? dis-je ironiquement. Ils sont partis, tu crois ? Brandon et Murray savaient à peine marcher !
— J'en sais rien Angelo, dit-il en s'asseyant à côté de moi. Mais ce qui est certain c'est que maintenant on a un sérieux problème.
Je regarde l'animal qui pousse sa tête contre mon bras pour que je le caresse encore.
— Putain, tu crois qu'il les a bouffé ? m'exclamé-je en me relevant rapidement.
Je pointe du doigt la bête alors que l'autre con secoue vivement la tête.
— Sois un peu réaliste, DeNil. Tu vois du sang quelque part autour de toi ?
Je fais un tour sur moi-même, observe méticuleusement chaque recoin. En effet, pas une seule trace.
— Mais je ne comprends pas, s'ils seraient partis de leur côté ils ne se seraient pas emmerdés à prendre le mort avec eux.
— Ça c'est certain, approuve-t-il. Peut-être qu'ils l'ont enterré.
— Avec quoi ils auraient creusé ? Leurs mains ?
— Ouais, c'est vrai.
Je soupire et reprends place à coté de lui, complètement découragé.
— On va faire quoi ? On est tous séparés et on ne sait même pas s'ils vont bien, soupiré-je.
— Ça te pose réellement un problème de savoir comment ils vont ?
— C'est quoi cette question débile ? Ce n'est pas parce que je ne les aime pas que ça ne me pose aucun problème de penser qu'ils sont peut-être tous morts.
Il me zieute de son regard bleu qui pourrait presque pénétrer mon esprit, puis baisse la tête en soufflant bruyamment.
— T'as raison, pardon.
Il se frotte le visage, passe ses doigts dans ses cheveux sombres pour les tirer légèrement.
— Quelqu'un les a peut-être trouvé, dis-je après un court silence.
— Je ne sais pas, on devrait attendre ici. Ils risquent sûrement de revenir, et s'ils ont été secourus ils vont nous chercher aussi.
— Et s'ils ne reviennent jamais ?
Mes doigts tremblent, je commence à avoir du mal à respirer. Les médicaments mettent environs trente minutes à agir et là, clairement ils n'ont encore rien fait. Ma vision se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je sais exactement ce qu'il se passe et ne peux rien y faire. Le moment est mal choisi. Will se tourne dans ma direction et attrape mes mains qui s'agitent.
— Oh, DeNil ! Tu me fais quoi là ? demande-t-il brusquement.
Je ne peux pas parler, ma gorge est nouée et aucun son ne sort de ma bouche. J'essaie de me concentrer sur ses iris bleus qui me fixent avec une inquiétude non feinte. Mes jambes tremblent fortement, à tel point que mon corps est pris de soubresauts.
— Angelo ! Calme-toi.
Il plaque mes mains contre son torse et soutient ma tête qui part dans tous les sens. Je suis incapable de gérer mon corps quand une crise me prend et j'aurais préféré que ça n'arrive pas devant lui. Mes jambes se tendent douloureusement, provoquent d'affreuses douleurs. Ma respiration se dégrade encore, à tel point que je ne parviens plus à inspirer. J'y suis habitué mais je sais que ça peut être impressionnant. Cela me fait souffrir et ce n'est pas cool ni pour moi ni pour les personnes présentent mais en général ça ne dure pas longtemps. Il faut simplement que je me calme. En temps normal j'y parviens plus ou moins facilement parce que Loli sait quoi faire mais ici, dans cette situation je n'arrive pas à trouver un truc sur lequel me raccrocher.
— Putain, grogne Will.
Il peste davantage lorsqu'il comprend que mon corps est si tendu qu'il est impossible de me faire bouger pour me placer contre le van.
Il se redresse rapidement, place un pied de chaque côté de mes jambes et s'assoit sur mes cuisses. Sa poitrine est sous mes yeux et se gonfle frénétiquement. Il attrape ma tête avant qu'elle ne retombe violemment en arrière. Ses doigts pressent ma nuque, retiennent mon visage près du sien. Sa deuxième paume se pose où mon cœur bat à tout rompre.
— Ok, souffle-t-il quand il m'a stabilisé. Angelo, regarde-moi.
Je relève mes yeux emplis de larmes vers les siens qui sont voilés par ce qui semble être de la peur. Est-ce moi qui l'effraie ? Je ne sais pas, la douleur me tiraille et m'empêche de réfléchir. J'ai mal partout. Les crampes n'épargnent aucun de mes membres, ma tête va éclater et mes poumons brûlent. Je tente de me concentrer sur la voix de Will, sur son souffle chaud et haché qui effleure ma peau mais les poils du loup me frôlent et accentuent mon angoisse.
— Je ne sais pas quoi faire alors essaie de te reprendre.
Sa main remonte sur ma joue qu'il tapote, puis y efface les perles salées. Lentement, ma respiration se régule et la boule dans ma gorge se fait moins envahissante. Je n'ai pas quitté une seule fois ses yeux depuis qu'il me l'a demandé. J'ai l'impression d'être perdu sous un ciel d'été ou dans un océan d'eau cristalline. Je n'ai jamais vu d'iris si clairs que les siens. C'est presque perturbant, intimidant mais ça m'apaise également.
Il est si grand, si près de moi que j'ai la sensation que rien ne peut m'atteindre, ça me calme. Mon corps se détend doucement mes larmes se tarissent. Son pouce caresse ma peau et ses doigts contre ma nuque tirent mes cheveux. Je suis désormais mal à l'aise, mitigé entre l'envie de le remercier d'avoir fait cesser ma crise et tiraillé par celle de le gifler d'y être parvenu si facilement alors que seule Loli en est capable normalement.
— Dégage, Marx, craché-je lorsque j'arrive à récupérer le contrôle de mon corps.
J'ai conscience de mal me comporter, il m'a aidé à me sentir mieux et je le dégage sans même un remerciement. Ce n'est pas juste, mais c'est ainsi. J'ai besoin de garder le contrôle sur ma colère à défaut de ne pas gérer les pulsations de mon cœur alors que son souffle s'échoue encore sur ma peau.
Il me regarde déconcerté quelques instants, puis baisse la tête et semble enfin réaliser qu'il est assis sur mes cuisses. Il se relève rapidement, manque de tomber en s'emmêlant les pieds dans les miens. Ses sourcils sont froncés, il ne sait plus quoi faire. Son dépaysement ne dure qu'un court instant avant que son visage se crispe.
— Va te faire voir, DeNil. La prochaine fois je te laisse te débrouiller, crache-t-il avant de s'asseoir à deux mètres de moi.
— Je n'ai pas besoin de toi, je ne t'ai rien demandé.
— C'est normal, tu ne pouvais pas parler, cingle-t-il.
Il me fusille du regard et l'animal qui se met près de lui attire toute son attention. Je suis perdu. Les autres ne sont plus là, je suis bloqué avec lui et me sens minable d'avoir flanché sous ses yeux.
Je veux rentrer chez moi, ou tout au moins pouvoir contacter ma sœur, lui demander comment elle va et comment se comporte notre mère. Elle doit être morte d'inquiétude de ne pas avoir de mes nouvelles.
— On va dormir dans le van. On aura moins froid cette nuit, lâche Marx après un long silence.
— Il est tôt, on pourrait marcher encore, dis-je sans le regarder.
— Non. Je n'ai pas dormi, je suis mort et toi tu n'es pas dans ton assiette. On reste là.
— Ouais, bonne idée.
Je me relève en l'ignorant et pars à l'intérieur du véhicule pour me laisser tomber sur un siège, la tête contre la vitre. J'espère que quelqu'un va nous retrouver rapidement, que les autres ne sont pas morts, en morceaux quelque part au milieu de cette forêt.
J'ignore combien de temps s'écoule avant que Will me rejoigne. Je ne le regarde pas quand il prend place sur le duo de siège à coté de moi. Je l'entends soupirer puis un instant après ce sont les pattes de notre mascotte qui approchent.
— Je vais aller faire un tour pour trouver quelque chose à manger, m'informe-t-il finalement.
Précipitamment, je me tourne dans sa direction alors qu'il fixe un point face à lui.
— Quoi ? Je viens avec toi !
— Non, tu restes là. T'es plus blanc qu'un cachet d'aspirine et je t'ai vu monter ici, tu sais à peine marcher.
— C'est à cause des crampes, c'est tout. Ça va passer.
Il tourne enfin le visage vers moi, son regard est froid et sa mâchoire serrée.
— J'y vais seul. Je ne vais pas aller loin. Je ne suis même pas certain de trouver quelque chose.
Il se relève, mes doigts s'enroulent autour de son poignet et le tirent vers moi pour attirer son attention. Il vacille, surpris par mon geste, puis se retient contre le siège pour ne pas tomber.
— Et si tu te perds ? Ne me laisse pas seul, Will, supplié-je.
Son visage s'adoucit une seconde puis il baisse la tête. Quand il me regarde à nouveau son air fermé a fait son grand retour.
— Je croyais que tu n'avais pas besoin de moi ? lâche-t-il froidement.
Mes yeux l'implorent de ne pas me laisser seul. Je ne veux pas qu'il parte, mais il a raison, je ne peux pas le suivre. Après chacune de mes crises, c'est toujours un enfer de marcher.
— Je n'en ai pas pour longtemps, Angelo, souffle-t-il. Je vais aller là où j'ai le van en visuel.
Je soupire et défais mon emprise sur son poignet. Il part sans se retourner alors que je remonte mes genoux contre ma poitrine pour calmer mes nerfs. S'il ne revient pas, je vais me laisser crever ici. Je n'arriverai pas à errer dans cette immense forêt si je n'ai personne avec qui avancer. C'est hypocrite de ma part de penser ainsi alors que je l'ai envoyé chier quand il m'a aidé, que je passe mon temps à mal lui parler. Dans le fond, j'ai besoin de sa présence bien plus que lui a besoin de moi.
Le temps s'écoule et je m'imagine le pire. Je me dis que Murray, Bloom et Brandon sont peut-être morts ou qu'ils se sont barrés sans nous. J'essaie de comprendre où le corps du chauffeur est passé mais des images morbides se dessinent sous mes paupières closes. Je le vois se faire grignoter par une tribu de cannibales. Puis je songe à Marx qui ne revient pas, me dis qu'il en a eu marre de moi et qu'il a préféré partir sans moi. Je pense à Lolita, Bérénice, puis ma Rose. L'envie de chialer me submerge, je suis pathétique.
Je suis seul au milieu de la forêt, dans un van accidenté avec comme seule compagnie, le louveteau qui dort à mes pieds.
C'est là qu'est ta place, fanfaronne l'Ombre tapie dans mon esprit. Tu es seul et perdu, tu l'as toujours été et ça ne changera pas.
Les doigts tremblants, le cœur souffrant, je récupère mon carnet à la couverte en cuir. J'ai besoin de souffler le temps d'un instant.
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