Chapitre 8, partie 1 :

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Angelo DeNil :

Je laisse la sensation brûlante de l'alcool s'imprégner de moi, la chaleur se répandre le long de mon œsophage. Je n'aime pas ça, c'est désagréable et le goût est mauvais. Marx m'observe sous ses longs cils sombres, attendant ma réaction avec impatience. Je grimace et recrache la seconde gorgée sur le sol du van.

— Putain c'est à chier ton truc, vraiment dégueu, grogné-je en frottant ma langue sur le dos de ma main.

Il éclate d'un rire rauque en attrapant la bouteille pour l'apposer à ses lèvres et avale une longue gorgée tout en fronçant le nez.

— En général on dilue le rhum avec du coca ou un jus de fruits. Ça va être compliqué dans ce cas de figure, se marre-t-il. Ça se laisse boire.

Il appuie ses dires en buvant encore. Une goutte s'échappe du goulot et coule le long de son menton. J'observe la gouttelette avec attention jusqu'à ce qu'elle s'échoue sur sa cuisse.

— Tu retentes ta chance ? demande-t-il en avançant le recipient dans ma direction.

Sa langue dépasse d'entre ses dents et vient lécher sa lèvre inférieure pour recueillir l'humidité qu'a laissé l'alcool. J'attrape la bouteille mais ne bois pas pour autant.

— À quoi ça sert de se mettre minable en consommant cette merde au goût de vomi ? m'informé-je en attendant une réelle explication.

Je ne comprends pas le plaisir que l'on peut ressentir à être dans un état second avec l'alcool ou d'autres diverses drogues. J'ai bien tenté de demander à ma mère mais elle est toujours tellement loin de la réalité qu'elle se contente de grommeler des propos inintelligibles.

— Ça fait du bien, en général on oublie, répond-il en s'appuyant contre les fenêtres du véhicule.

Ses jambes s'étendent près des miennes, ses pieds au niveau de mes hanches. Nous sommes face à face, son regard océan plongé dans l'obscurité du mien.

— Oublier quoi ?

— Je ne sais pas, le fait d'être avec un idiot comme toi.

Je ne ressens aucune animosité dans ses paroles, juste un amusement provocateur.

— C'est ma réplique ça, pas la tienne. Plus sérieusement, quand tu es chez toi tu bois pour oublier quoi ?

— Je ne bois jamais chez moi. Je rentre ivre assez souvent, surtout quand les Lions gagnent un match, mais il n'y a pas une seule goutte d'alcool qui rentre chez mes parents.

Mon pied tape sa jambe, il porte sa main à sa bouche, faisant mine d'être choqué.

Crétin !

S'il veut réellement l'être, je peux laisser glisser ma main sur lui une seconde fois mais avec plus d'entrain, et peut-être légèrement plus au centre de son corps.

Sérieusement, à quoi tu penses ? marmonne l'Ombre. Tu me donnes envie de gerber.

— Quand tu es avec tes potes alors ? Ne sois pas si tatillon, c'est relou.

— Tatillon et relou dans la même phrase ? Sérieux, DeNil, tu as dix-sept ans ou soixante-dix ?

— Tu me gaves. Contente-toi de répondre à ma question, soufflé-je agacé.

— Bien monsieur, donc...

— Monsieur ? le coupé-je. Ouais, ça me plaît bien.

— Mais ferme-la, il faut savoir si tu veux une réponse ou pas.

Il roule des yeux en secouant la tête. Son exaspération m'amuse. Mon passe temps favori ? Soûler les gens que je méprise. Bien que l'on fasse semblant de jouer aux copains de classe, il reste du même acabit que ceux que je n'apprécie pas. Je déteste que l'on m'approche de trop près, être désagréable a toujours été une façon de me protéger, de faire en sorte que l'on reste loin de moi. Visiblement, avec Marx, ça fonctionne mal.

— Accouche dans ce cas, dis-je d'un ton légèrement tranchant.

Il souffle bruyamment, me jette un mauvais œil avant d'ouvrir la bouche pour me donner la réponse que j'attends :

— Déjà, il y a ce que je t'ai dit tout à l'heure avec les responsabilités de capitaine...

— Blablabla, ouais, ça j'ai pigé. Mais encore ?

Il me fusille encore des yeux et soupire en se grattant la tête.

— C'est vraiment un enfer d'avoir une conversation avec toi.

— Oublie les détails, va direct à l'essentiel.

— Putain, mais pourquoi ? grogne-t-il. Ce n'est pas comme si nous n'avions pas le temps de parler.

— J'aime pas discuter.

— C'est toi qui m'a posé une question, Angelo. Arrête de te comporter comme un con.

Je hausse les épaules avec désinvolture. Ma nouvelle passion ? Faire enrager William Marx. Je dois admettre que ses épais sourcils noirs font bouillir le sang dans mes veines lorsqu'il les fronce d'agacement.

— Donne-moi cette bouteille si tu ne comptes pas boire, crache-t-il en se penchant pour la récupérer.

Je lui cède sans résistance, un sourire provocateur figé sur mes lèvres coupées.

— Tu vas me laisser finir ma phrase maintenant ? Ou je me tais et te laisse seul avec la petite voix dans ta tête ?

Je lève un sourcil, perturbé par ses mots. Était-ce une simple remarque pour m'agacer ou a-t-il deviné que je suis malade mental et qu'une passagère indésirable rôde dans mon esprit ? Je m'apprête à le rembarrer sur le même ton condescendant mais me stoppe dans ma lancée en sursautant vivement. L'animal se dresse sur ses pattes arrière, dépose les deux de devant sur mes jambes et celles de Will. Je porte ma main sur ma poitrine comme pour calmer les battements de mon cœur qui viennent de s'accélérer brusquement. Le louveteau est si calme que j'avais presque oublié sa présence.

— Seigneur, putain de Fraise de mes couilles, grogné-je à moitié mort de trouille.

Will ricane en passant ses doigts sur la tête du loup qui semble bien apprécier les caresses.

— N'associe pas le Seigneur avec tes couilles, c'est un peu comme blasphémer.

— Ta gueule, bougonné-je en serrant ma veste dans mon poing.

— Vraiment pas très courageux cet Angelo.

— Je t'ai dit de fermer ta gueule.

Il se marre davantage et avale une gorgée de rhum sans me lâcher de son regard azur. Je lui arrache la bouteille des mains, descends une lampée monstrueusement longue. Quand je n'arrive plus à avaler je m'étouffe en crachant quelques postillons d'alcool.

— C'est très chic ça, grand monsieur DeNil.

— Ma main me démange de t'en coller une.

— Tu peux toujours essayer.

Ses yeux pétillent d'amusement, sa voix laisse entendre sa provocation et il m'emmerde au plus haut point. Il fait sombre dans le van, la nuit est tombée mais je peux distinguer sans mal la pâleur de ses iris et la blancheur de ses dents lorsqu'elles viennent se refermer par-dessus sa lèvre inférieure. Pour toute réponse je lui lève mon majeur orné de l'imposante chevalière de mon père et bois encore. J'ai beau avaler plusieurs gorgées, le goût reste atrocement mauvais.

— Bon revenons à nos moutons, ou nos loups, au choix, dis-je en fixant la bête toujours à moitié allongée sur nous. Tu oublies quoi quand tu picoles ?

— Nous y revoilà, lâche-t-il en se redressant un peu plus. Bon, peut-être que finalement t'avais raison vis-à-vis de Marianna.

Je le savais ! Sérieusement, qui pense à dire que sa copine est gentille en premier lieu si ce n'est parce qu'on n'a pas d'autres compliments à faire ?

— Sois plus clair.

— Je l'adore, mais elle est devenue trop exigeante.

— C'est à dire ?

— Elle se comporte comme si nous étions un couple marié pourtant je ne lui ai jamais fait de vraies promesses. Au début c'était cool, on riait, on sortait. Maintenant, elle veut tout diriger et contrôler pour moi.

Une petite dictatrice bien foutue.

— Tu l'aimes ?

— Bien sûr, mais je ne suis pas amoureux d'elle. Tout le monde nous voit comme le couple parfait et même mes parents sont persuadés qu'après le lycée on va emménager ensemble et tout le reste.

— C'est comment quand vous couchez ensemble ?

Je sens son regard lourd peser sur moi. Il ne répond pas immédiatement et continue d'administrer des caresses à Fraise.

— Au lit c'est super, en fait c'est peut-être le seul moment où elle ne m'énerve pas, avoue-t-il honteux.

— Et tu vas continuer de faire semblant avec tout le monde juste pour une meuf qui te fait jouir mais que tu ne peux plus voir en couleur ?

Il se racle la gorge et récupère la bouteille qui traîne sur les sièges. Il joue avec un moment puis l'ouvre et boit.

— Pourquoi tu essaies de me dire quoi faire alors que tu n'as jamais eu de copine ?

— Ce n'est pas parce que je n'ai jamais été en couple que je n'ai pas eu de meufs dans mon lit et je pense que le jeu n'en vaut pas la chandelle.

— Ah, parce que tu as déjà couché avec une fille ?

Sa tête s'incline, il me scrute de ses grands yeux bleus, réellement impatient d'avoir ma réponse.

— En fait... non, marmonné-je en frottant mes mains pour les réchauffer.

— Crétin ! Et avec un homme ? tente-t-il.

— Non, grogné-je. T'es bouché ou quoi ? Je ne suis pas gay.

— Ouais, pardon. Tu attends quoi pour te lancer ? Genre, la bonne personne ou un truc comme ça ?

— Pas du tout. Je n'ai pas le temps pour ça, je te l'ai déjà dis.

— Je sais, mais tu devrais peut-être penser à toi des fois plutôt que de te focaliser sur ta mère malade et ta petite sœur.

Je vais le cogner, il m'énerve. Pour qui se prend-il ?

— C'est toi qui te permets de dire ça alors que tu restes avec Marianna Grant juste parce que c'est ce que ton entourage attend de toi ? Tu ne me connais pas. Qui te dis que c'est ce que je veux ? Je vis très bien comme ça alors arrête de vouloir changer les choses avec ta psychologie à la con et ton sourire de crétin heureux. De toute façon on va crever ici alors ne me fais pas chier.

J'ignore qui j'essaie de convaincre. Moi, en me persuadant que ma vie n'est pas si horrible ? Ou Will en lui disant que rien ne me dérange dans ma façon de vivre alors que je suis pourtant certain qu'il n'en croit pas un mot ? Puis, sérieux, il n'y a pas que les relations et le sexe qui comptent pour passer de bons moments. C'est typique des cons de sportifs, une bite à la place du cerveau et un ballon de foot en guise de caboche.

Marx reste silencieux après mon avalanche de paroles crachées de façon très peu aimable. Il ne me regarde plus, se contente de s'occuper de Fraise et se tasse contre le siège qu'il occupe. Je sirote lentement le rhum en essayant encore d'apprécier le goût mais rien ne change.

— Tu le penses vraiment ? demande-t-il après un moment qui me semble avoir duré des heures.

— Quoi ? craché-je.

— Qu'on va mourir ici.

Ses yeux s'ancrent aux miens, il a le visage tiré et les traits fatigués.

— Dors, Will, ordonné-je.

Nos regards ne se lâchent pas. Le mien est froid et impénétrable, le sien est perturbé. C'est étrange, il semble si sûr de lui depuis qu'on est dans cette forêt, pourtant là, il m'offre la vision d'une personne qui commence à douter de sa force mentale. S'il baisse déjà les bras, lui, le grand et talentueux William Marx, alors je ne donne pas cher de ma peau.

— Réponds-moi, Angelo...

Je soupire, agacé de ressentir de la compassion face à la tristesse qui inonde ses iris cristallins.

— Tu ne veux pas rentrer chez toi, de toute façon.

— Mais ça ne veut pas dire que j'ai envie de mourir, souffle-t-il un peu perdu.

J'ai l'impression que l'effet de l'alcool commence à agir sur lui, pourtant ce n'est pas le cas pour moi.

— Tu penses qu'on va mourir, DeNil ?

J'expire lentement, mes mains frottent mon visage pour faire disparaître toute trace d'épuisement.

— Oui. Non. Peut-être. En fait, j'en sais rien, Will, et toi non plus alors repose-toi pour qu'on puisse avancer demain.

Il hoche la tête puis ses yeux se baissent jusqu'à mes cuisses, mes genoux et arrivent à mes chevilles.

— Tu as encore mal ? demande-t-il en un souffle.

— Ouais, réponds-je sur le même ton. C'est comme si j'avais couru un marathon sans aucun entraînement préalable. Ça passera quand j'aurais dormi.

— Ça arrive souvent ?

— Régulièrement, ouais.

Il attrape une de mes chevilles pour faire basculer ma jambe sur les siennes. Je manque de tomber face à l'étonnement de son geste et me rattrape aux sièges qui sont sur ma droite.

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