Chapitre 9, partie 2 :
Will Marx :
Son regard balaie mon visage, ses traits se tirent davantage lorsqu'il fronce les sourcils. Ses dents mordent brusquement sa lèvre alors qu'il tend la main vers moi.
— Je t'ai fait du mal ?
— T'as une sacrée puissance dans ton pied gauche. T'es certain de préférer le journalisme au foot ? Tu ferais de beaux lancers.
Il secoue la tête et sa main s'approche encore, jusqu'à effleurer ma joue abîmée. Je réprime le frisson qui tente de me parcourir. Mes paupières se ferment brièvement alors qu'il appuie doucement sur ma peau meurtrie. La pulpe de ses doigts caresse ma mâchoire et remonte jusqu'à ma tempe. Le regard rivé au mien, il mâchouille sa lèvre toujours barrée par l'imposante entaille.
— Je suis désolé, souffle-t-il.
J'attrape ses doigts afin de les éloigner de mon visage. La pression qu'ils exerçaient était douloureuse, mais je ne suis pas certain que ce soit la raison pour laquelle mon cœur s'emballe. Je garde sa main dans la mienne alors qu'on ne cesse de se fixer. Sa peau est chaude, ses yeux brillent de larmes et lui donnent un air fragile qui lui sied bien finalement.
— C'était quoi ? Sérieux, si on doit survivre ensemble, il faut que je sache à quoi m'attendre parce que ça fait beaucoup de choses en peu de temps.
Ma voix est douce mais ferme. Je suis épuisé, complètement lessivé.
— Les crises d'angoisse surviennent assez souvent, mais ça, c'est plus rare, dit-il a toute vitesse.
Il baisse la tête, examine sa main dans la mienne durant un instant avant de la retirer rapidement pour gratter distraitement son pantalon. Il finit par fouiller dans la poche de sa veste et en sort son flacon de médicaments.
— C'est quoi comme médocs ?
Il hésite à répondre, mord l'intérieur de ses joues puis soupire.
— Des psychorégulateurs, murmure-t-il en fuyant mon regard.
Des quoi ? Je n'ai jamais entendu parler de ce genre de cachets.
— C'est quoi ?
— Je ne répondrais pas à cette question, cingle-t-il brusquement.
— Quelles sont les contre-indications pour les prendre ?
— J'en sais rien...
— Tu prends des médicaments et tu ne lis pas les effets secondaires ?
— J'en sais rien, Will. Je les prends depuis que je suis gosse. Avant c'était ma mère qui me les donnait et j'étais trop petit pour faire attention à ça. Après j'étais tellement habitué que je les ai toujours pris sans prendre la peine de lire la notice.
Je soupire en affaissant les épaules.
— On ne doit pas mélanger l'alcool et les médicaments. C'est ma faute, soufflé-je.
— Pourquoi ce serait ta faute ?
— Je t'ai vu prendre tes pilules, et tu m'as dit que tu n'avais jamais bu, je n'aurais pas dû insister, ça aurait pu être pire. Comment tu te sens maintenant ?
— Tu ne m'as pas mis le couteau sous la gorge. Je suis un peu en vrac mais ça va, je suis fatigué.
Je me sens coupable. Son traitement est probablement la raison pour laquelle il n'avait jamais touché à l'alcool. Le mélange des deux aurait pu lui provoquer un arrêt cardiaque ou je ne sais pas quelle autre chose horrible. C'était idiot, complètement inconscient. J'aurais dû me focaliser sur les pilules qu'il passe son temps à avaler plutôt que sur cette bouteille de rhum.
Psychorégulateurs. Bien que je ne sache pas ce que c'est, cela semble être sérieux. J'aimerais lui poser des questions, lui demander de quelle maladie il souffre pour être sous traitement depuis l'enfance mais m'abstiens par peur qu'il déraille à nouveau.
— Je t'ai vraiment fait mal ? demande-t-il d'une voix faiblarde.
— Je pense que je vais être marqué pendant plusieurs jours.
— Je suis désolé.
— Arrête de t'excuser, tu l'as déjà dit. Je n'aurais pas dû te faire boire, c'est tout.
Il hoche la tête et soupire longuement alors que Fraise se balade entre nous. Il finit par s'installer entre les jambes d'Angelo qui le regarde d'un mauvais œil tout en caressant son poil épais.
— Ton nouveau meilleur ami, constaté-je.
— Il commence à prendre trop d'aise, grimace-t-il.
Je ricane bruyamment. Ses yeux s'ancrent aux miens, pétillants, joueurs, un peu perturbants. La lumière de mon téléphone nous éclaire suffisamment pour que je puisse distinguer chaque recoin de son visage même en étant éloigné. Ses pommettes saillantes, ses épais sourcils clairs, ses grands yeux bruns, ses mèches blondes et ondulées qui lui tombent sur le front et ses lèvres abîmées. J'examine chacun de ses traits, observe les taches de rousseurs qui parsèment sa peau, jusqu'à apercevoir la petite cicatrice sur sa joue droite. Elle creuse davantage sa fossette lorsqu'il sourit, une petite marque en forme d'étoile.
— Tu veux bien me masser encore ? demande-t-il subitement.
Je me racle la gorge, gêné, comme pris en flagrant délit de contemplation.
— Euh... ouais, bafouillé-je. Tu as encore mal ?
Il hoche la tête et tend la jambe dans ma direction. Je l'attrape et exerce les mêmes mouvements que plus tôt. J'appuie sur l'arrière de son mollet, remonte lentement vers le creux de son genou et je redescends jusqu'à sa cheville.
Je sens son regard peser sur moi alors que je me focalise uniquement sur ma paume qui s'écrase contre sa jambe. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de le masser. Il souffrait et comme c'est une habitude de le faire avec les Lions, je n'ai pas hésité. Je pensais qu'il allait simplement me repousser et j'aurais dû me douter que ça n'allait pas être le cas finalement, puisqu'il n'a eu aucune réticence à laisser ses doigts se balader sur moi l'autre nuit.
Il soupire de temps en temps lorsque j'appuie un peu plus sur sa peau et détend ses muscles. J'attrape sa seconde cheville et recommence. Ses soupirs sont plus snores, cette jambe est plus crispée, donc sûrement plus douloureuse. Un creux se forme dans le bas de mon ventre lorsque je trouve enfin le courage de relever la tête. Il me scrute intensément, ses lèvres entrouvertes d'où s'échappent quelques gémissements.
— Ok, on devrait retourner dormir maintenant, lâché-je précipitamment en retirant ma main comme si le tissu de son pantalon m'avait brûlé.
Il fronce les sourcils, un peu surpris, mais acquiesce en se redressant. Je le suis du regard alors qu'il s'installe sur les sièges que nous avons délaissés. Il s'allonge, le visage contre l'assise, je me demande s'il parvient à respirer. Je retourne chercher mon téléphone en soupirant d'épuisement, éteins le flash et m'approche lentement de DeNil. Je le scrute dans la pénombre, sans savoir quoi faire. Ses cheveux clairs brillent doucement sous l'éclat de la lune. Il ne dort pas, sa respiration ricoche contre le siège.
— Tu envisages de rester debout jusqu'au lever du jour ? demande-t-il presque imperceptiblement.
— Euh... non.
— Allez, viens Marx, souffle-t-il.
Mon corps se tend, je ne sais pas où me mettre. Après un court instant d'hésitation je m'étends près de lui. Je fixe le plafond, perturbé par ses cheveux qui chatouillent ma joue.
J'ai froid, les courants d'air s'infiltre partout à l'intérieur du van. Mon sang est glacé, mon corp frissonne. Si j'avais su, j'aurais emporté un plaid dans mon sac. Je tourne lentement la tête vers Angelo, recroquevillé contre les dossiers.
Et merde...
Je bloque ma respiration dans ma cage thoracique alors que je pivote lentement. J'ai toujours très froid lorsque je suis épuisé, et la chaleur qui émane du corps d'Angelo m'appelle depuis que j'ai posé mes fesses sur les sièges. J'ignore si ce que je suis en train de faire est une bonne idée, l'appréhension qu'il me repousse brutalement me tort l'estomac. Si tel est le cas, je ne suis pas certain de réussir à le regarder à nouveau dans les yeux sans mourir d'embarras. Mon torse se presse doucement contre son dos, alors que j'inspire par saccades.
J'ai besoin de me réchauffer, son corps contre le mien est ce qu'il me faut dans l'immédiat. Je reste immobile, n'osant plus bouger, pourtant il ne se tend pas, ne me repousse pas non plus. N'observant aucune réaction de sa part, je finis par penser qu'il s'est endormi. Je me remets à respirer convenablement après un long moment, son odeur s'infiltre dans mes narines, ses mèches effleurent mes lèvres. Mes genoux se plient derrière les siens. Bien que je sois plus grand, son corps épouse parfaitement le mien.
Ce qu'il se passe est insensé, je l'ai envoyé promener pour un geste qui me paraît finalement moins déplacé que celui-ci. Je me sens honteux de profiter de sa chaleur et de sa proximité alors qu'il dort. Je suis incohérent dans ma façon d'agir. Il me met hors de moi, me pousse à bout mais lorsqu'il me montre ses points faibles, met de côté toute cette haine, il m'attire d'une étrange façon. Ses sautes d'humeur, bien qu'elles me donnent le mal de mer, me font m'interroger davantage quant à qui il est réellement. Trois jours, et mon esprit s'égare déjà.
Je me mords la langue lorsqu'il remue doucement. Il y a décidément trop peu de place sur ces sièges. Je regrette un peu d'avoir pris l'initiative de coller mon corps au sien, je ne m'attendais pas à être si perturbé par cette proximité. J'ai trouvé la chaleur que je quémandais, mais pas de la façon dont je l'espérais. Non, elle s'étend sur mes joues, se propage dans mon ventre, me coupe le souffle.
Alors que je commence à mettre de coté mes pensées vagabondes, Angelo se remet à gigoter. Je reste immobile, les bras le long du corps avec l'appréhension qu'il me rejette. Pourtant, je suis surpris lorsque sa main passe dans son dos pour récupérer la mienne et les déposer sur son ventre. Un long frisson me parcourt alors que je clos les paupières. Ses doigts s'entremêlent aux miens, les serrent avec force.
— Bonne nuit, Will, murmure-t-il d'une voix ensommeillée qui se répercute dans mon estomac comme s'il venait de m'assener un coup brutal.
— Bonne nuit, Angelo.
Mon cœur a pris une cadence étrange, il bat trop puissamment. J'étais persuadé qu'il dormait, mais ce n'était visiblement pas le cas, et maintenant je me sens idiot. Il ne m'a pas repoussé, a accepté que je me colle à lui et m'a incité à le prendre dans mes bras en emprisonnant ma main dans la sienne. Je peine à comprendre ce qu'il se passe, comment en suis-je arrivé là ? J'ai désormais trop chaud, sa paume est brûlante contre la mienne. Le nez dans ses cheveux, je respire son odeur. C'est agréable, pas comme Marianna qui met toujours trop de produits telles que des brumes et des crèmes qui me tournent sur le cœur. Il sent la nature et un parfum qui n'appartient qu'à lui, légèrement fruité.
Je crois que la fatigue et le stress ne font pas bon ménage chez moi. Ils me font faire des choix douteux. C'est en soupirant de frustration que je réalise que je me sens bien dans cette bulle qui nous entoure. C'est probablement le froid et la recherche de chaleur qui m'ont poussé à agir ainsi, mais ça m'apaise suffisamment pour que je parvienne à m'endormir, le corps pressé contre celui d'Angelo DeNil.
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