Chapitre 19, partie 2 :
Will Marx :
Le trajet est silencieux. Mike a mis un léger fond de musique, quelque chose de doux qui calme un peu mes nerfs en pelotes. Je jette parfois un coup d'œil à DeNil qui a pris place à l'arrière. Il semble tendu, un peu ailleurs et ne bouge pas, sa tête contre le carreau de la voiture. J'aimerais avoir la capacité d'entendre ce qu'il se passe dans sa tête. De deviner à quoi il pense et de pouvoir lui partager ce qui se bat en duel dans ma boite crânienne. Ma raison me dit de laisser de côté toute cette histoire lorsque je serai chez moi. Puis mon envie irrationnelle me hurle de le retenir, de ne pas le laisser me glisser entre les doigts parce que même s'il est dangereux pour moi, je ne me suis jamais senti aussi moi-même qu'en étant coincé avec lui.
Mike gare son Pick-up entre deux voitures, sur le parking de la gare routière. Il n'y a pas énormément de monde pour le nombre de véhicules de voyages en stationnements. J'ai une boule au ventre et je n'ai pas forcément envie de sortir de l'habitacle. J'entends DeNil soupirer, résigné tout autant que moi.
Je ne sais même pas où nous sommes, ni à combien d'heures de route de notre ville nous nous trouvons, mais je ne le demanderai pas à Mike. Je ne souhaite pas savoir combien de temps il me reste avec Angelo.
— Je vais à la billetterie, nous informe notre chauffeur en ouvrant sa portière. Je reviens avec vos tickets de bus.
J'acquiesce en le regardant s'éloigner, puis je ne peux m'empêcher de me tourner vers Angelo qui gratte ses ongles sur le denim de son pantalon.
— Tu vas bien, DeNil ? demandé-je sur mes gardes.
— Ouais, je crois.
— Tu crois ?
— Ouais, ça va comme d'habitude.
— Donc ça ne va pas, conclus-je en soupirant.
Il m'accorde un petit sourire contrit avant de s'extraire de la voiture sans un mot. Je le suis en retenant mon exaspération.
Mike nous rejoint rapidement, me tend deux billets qui ont pour numéro de bus le 1312. Je jette un œil aux véhicules déjà sur le parking et remarque que le nôtre est déjà là.
— Merci, dis-je en fouillant dans ma poche pour en sortir mon téléphone. Enregistre ton numéro, je te rembourserai une fois rentré.
— Ce n'est pas la peine, me contredit-il en tapant tout de même sur le clavier.
Je récupère mon bien, Mike me gratifie d'un clin d'œil avant d'épier discrètement Angelo qui patiente, appuyé contre la carrosserie du pick-up.
— Garde ton argent, c'est cadeau. Par contre, dis-moi comment ça évolue entre vous deux, chuchote-t-il sur le ton de la confidence.
Je fronce les sourcils en baissant la tête. Je ne me sens pas très bien, comme heurté par un coup en plein estomac.
Il n'y aura pas d'évolution. DeNil m'a bien fait comprendre qu'à partir du moment où nous serons loin d'ici, je devrai garder mes distances. C'est ce qui au départ me semblait le plus raisonnable à moi aussi, mais bien que ça le soit, ça ne veut pas pour autant dire que c'est ce que je souhaite.
— Je n'aurais pas grand-chose à te dire sur ce sujet, déglutis-je en essayant de faire disparaître la boule qui obstrue ma gorge.
— Nous ne sommes pas du même avis.
Mike me serre la main en tapotant mon dos et s'approche de DeNil pour faire de même. D'où je suis j'entends brièvement leur conversation.
— Encore désolé pour l'incident, marmonne-t-il en fuyant le regard sombre de Mike.
— Il n'y a pas mort d'homme, ricane amèrement notre chauffeur. Mais s'il te vient l'idée de nous rendre visite dans le futur, reste loin de ma petite sœur.
— Je ferai ça, murmure Angelo, si bas que je ne l'entends pas mais mes yeux suivent le mouvement de ses lèvres.
— Bon, lâche Mike un peu plus fort, prenez soin de vous les gars, à bientôt !
Une seconde plus tard il est dans son véhicule. Le carreau se baisse et il m'interpelle en mettant le moteur en marche.
— J'allais oublier ! Tiens, pour un taxi, dit-il en me tendant un peu de liquide.
Je secoue la tête, une fois à la gare de notre ville nous pouvons finir en marchant. Il insiste en me disant que mon pied n'est pas guéri alors je finis par capituler en le remerciant encore. Après un bref signe de la main il s'éloigne en faisant vrombir le moteur de son pick-up orange et trop tape-à-l'œil.
Je fais quelques pas vers DeNil qui regarde dans la direction que vient d'emprunter Mike.
— On y va ? l'invité-je. Le bus part dans un quart d'heure.
Il acquiesce, nous avançons dans le car en suivant les indications sur les billets de transport. Je m'arrête devant la rangée de sièges qui nous est attribuée.
— Tu préfères t'installer près de la vitre ou du couloir ?
Il hausse les épaules, me disant silencieusement que ça l'indiffère. Je le laisse passer le premier et sa tête repose presque immédiatement contre le fenêtre.
— Tu es d'attaque à rentrer ? m'enquiers-je une fois que le bus prend la route.
— Sûrement autant que toi.
— Pas très enthousiaste alors.
— Probablement.
Je soupire, un peu agacé par ses réponses trop évasives. Le temps passe, les kilomètres défilent et je ne peux m'empêcher de tourner la tête vers mon voisin qui regarde le paysage dérouler. Après une heure d'hésitation j'attrape finalement mon téléphone pour envoyer un texto à ma mère. Je pourrais inclure Pietro et Marianna dans la discution mais m'abstiens. Je sais qu'elle les préviendra dans la seconde qui suit.
Sms de Willy à Maman :
Je suis sur le retour, je serai en ville dans quelques heures.
Sms de Maman à Willy :
Je suis si contente mon coeur ! Tu vas bien ? Tu es seul ?
Sms de Willy à Maman :
Oui, ça va, maman. Non, toujours avec Angelo.
Je lève les yeux au ciel, c'est évident que DeNil est rentré avec moi. Comme s'il allait rester là-bas.
Sms de Maman à Willy :
Veux-tu que je prévienne sa famille ? Papa viendra te chercher devant le lycée, et ton ami aussi s'il le souhaite.
Elle s'est souvenue que mon voisin de siège n'a pas de téléphone, ma mère oublie rarement les choses.
Sms de Willy à Maman :
Non ne t'inquiète pas, il le fera avec mon portable. Ça marche, je t'envoie un sms quand on est en ville. Je vous aime.
Lorsque je relève la tête, je remarque que DeNil a les yeux rivés à l'écran. Il ne détourne pas le regard quand je le fixe avec insistance.
— Je vais rentrer par mes propres moyens, m'informe-t-il sans se soucier du fait qu'il ait lu mes messages.
— On peut te ramener, ce n'est pas un souci pour mon père.
Il hausse les épaules et s'appuie de nouveau contre la vitre.
— Tu veux que je prévienne ta voisine ?
— Non, je passerai chez elle plus tard.
Je ne dis plus rien, me contente de sortir mes écouteurs et d'en enfoncer un dans mon oreille. J'agite le second sous les yeux d'Angelo et après avoir hésité un instant il l'attrape à son tour. Je mets la musique en route et laisse aller ma tête contre son épaule. Il ne bouge pas, ne se tend pas, je comprends ainsi que notre proximité ne le dérange pas.
Les kilomètres passent à la vitesse des chansons qui défilent dans nos oreilles. Angelo glisse ses doigts entre les miens afin de les entrelacer, puis dépose nos mains unies sur sa cuisse. J'apprécie sa chaleur contre ma paume. Mon pouce caresse sa peau, je me laisse emporter par l'odeur de son shampoing, ses cheveux chatouillent mon visage alors que ma tête est toujours contre son épaule.
J'ai du mal à accepter le fait que dans quelques heures il ne fera plus partie de ma vie. Ça me blesse de me dire qu'il ne me laisse pas le choix. J'aimerais donner mon avis et le convaincre de ne pas me tourner le dos mais s'il y a bien une chose que j'ai appris ces derniers temps en sa compagnie, c'est qu'il est bien trop buté pour que je me batte contre ce qu'il a décidé.
Je ne suis pas sûr de réussir à passer près de lui dans les couloirs du lycée sans entendre sa voix me provoquer. Pas certain de réussir à oublier la douceur de ses lèvres, la chaleur de sa peau, son regard brun qui me nargue et me toise. Non, je ne suis vraiment pas sûr de ça. Pourtant je vais devoir m'y faire jusqu'à ce que, peut-être, il change d'avis et qu'il accepte ma présence. Je ne réclame pas ce que l'on avait là-bas, nos baisers volés, ce tourbillon de sentiments, cette proximité. Non, je n'en demande pas tant. Je sais que c'est impossible. Ce que je souhaite c'est juste pouvoir lui parler, le voir, m'assurer qu'il aille bien, comme deux... amis.
Pourtant, je n'aurai droit qu'au retour à la réalité, cette brutale éternité. Comme auparavant, lorsque je n'avais aucune idée de qui il est et de ce qu'il me fait ressentir.
Annotations