Chapitre 22, partie 2 :
Will Marx :
Je continue d'avancer, Nirvana dans les oreilles. Je zieute parfois mon téléphone pour être certain de ne pas me perdre. Je ne connais pas ce coin de la ville et dois admettre qu'aux premiers abords il ne m'inspire guère confiance. J'ai le cœur au bord des lèvres lorsque je m'immobilise devant la maison qui est supposée abriter les DeNil. Je pose un pied sur les marches du perron, priant pour que le bois abîmé ne cède pas sous mon poids.
J'inspire profondément et cogne doucement contre la porte. Dans l'appréhension, je ne peux contrôler les tremblements de mes membres. Je patiente deux minutes avant que la poignée se baisse et que mon palpitant cesse de battre.
— On ne veut pas de publici...
La phrase d'Angelo reste en suspens quand il croise mon regard. Il se fige, les muscles bandés.
Mes yeux s'écarquillent lorsque je remarque les nombreux hématomes jaunis sur sa peau. On ne les aperçoit que très légèrement, mais ils sont là. Presque disparus mais assez présents pour que je les vois.
— Putain, mais qu'est-ce que tu fous là, Marx ? crache-t-il en claquant la porte une fois complètement à l'extérieur.
— Tu n'as pas voulu me parler par téléphone.
— Et ça ne t'ait pas venu à l'esprit que je voulais de ce fait encore moins te voir ?
Il est en colère, vraiment en colère. Ses yeux ne sont plus bruns, ils sont aussi sombres qu'une nuit sans lune.
— Tu n'es pas revenu au lycée, me justifié-je.
— Je suis malade.
— Plein de bleus, tu veux dire, articulé-je d'une voix éteinte.
Il me fusille du regard et fait un pas vers moi. Bien qu'assez loin, son odeur infiltre mes narines et réveille mon cœur qui s'emballe brusquement.
— Dégage, Marx, siffle-t-il.
Je secoue la tête en avançant également. Bien qu'il soit agressif, le voir me fait du bien.
— Casse-toi.
— Non.
— Pourquoi tu es là ?
— Pour toi.
Il ferme les yeux, les rouvre presque aussitôt et son expression a changé. Il me paraît légèrement moins tendu.
— Tu ne peux pas venir ici.
— Il fallait que je te vois. J'étais inquiet, murmuré-je en détaillant chaque recoin de son visage.
— Je t'ai demandé de ne plus m'approcher, se plaint-il fermement.
— Non, tu ne m'en as pas laissé le choix. Mais ce n'est pas ce que je veux.
— On n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie.
— Ouais, ça j'avais remarqué, dis-je amèrement.
Il fronce les sourcils, creusant ainsi son front d'une petite marque. Un long soupir s'élève d'entre ses lèvres. Cette bouche que je fixe sans réussir à détourner le regard. La tension est palpable autour de nous, un mélange de colère et de reproches, puis cette envie qui me réchauffe le bas-ventre. Cette sensation de brasier qui m'emporte complètement quand il est là, cette étincelle que je n'avais pas ressenti depuis des jours et qui fait sa réapparition alors qu'Angelo est debout devant moi.
Je me demande s'il le sent aussi, ce feu incandescent.
— Pourquoi ton visage est abîmé ? demandé-je en levant l'index dans sa direction pour briser ce silence étouffant.
— Je ne te dirais rien, bougonne-t-il en reculant jusqu'à ce que son dos s'appuie contre la façade de la maison.
J'en profite alors pour m'approcher. Un pas, puis deux, jusqu'à ce que nos pieds se touchent et qu'il soit dans l'obligation de lever la tête pour me regarder.
— Je n'arrive pas à comprendre. J'ai beau retourner le truc dans ma tête de toutes les façons possibles, je ne comprends toujours pas, murmuré-je, perdu.
— Il n'y a rien à...
Mon doigt se presse contre ses lèvres et l'empêche de parler. Je refuse d'entendre ce qu'il passe son temps à répéter. Il frissonne et louche sur mon index. Le contact de sa bouche sur ma peau me fait tourner la tête.
— Tu m'embrasses, puis me dégages comme un mal propre pour ensuite m'embrasser à nouveau et au final m'ordonner de rester loin de toi. Tu dois te mettre d'accord sur ce que tu souhaites réellement.
— Tu m'as embrassé le premier, se défend-il.
— Angelo...
— Je n'ai aucune idée de ce que je veux, finit-il par murmurer contre mon doigt, et toi non plus d'ailleurs.
— Tu ne peux pas le savoir.
— Bien sûr que si, chuchote-t-il. Tu penses me vouloir parce que tu as ressenti des émotions que tu n'avais pas éprouvé depuis longtemps. Mais c'est seulement la situation merdique dans laquelle nous étions qui te persuade de ça. Tu as une copine, Will.
— Je t'ai dit ce que je pensais d'elle avant même que l'on se rapproche.
— Arrête, William.
Son corps s'enfonce davantage contre le mur. Je continue de m'approcher pour sentir sa chaleur irradier vers moi.
— Je ne veux plus que tu me repousses, c'est la seule chose que je sais.
— Et après ? Tu attends quoi de moi au juste ?
— Tout ce que tu voudras, Angelo. Tout peut me convenir si tu me laisses faire partie de ta vie.
— Tu n'as aucune idée de ce que ça va engendrer si je t'autorise à faire une stupidité pareille. Ta réputation va en pâtir. Le gens te pointeront du doigt et murmureront des horreurs sur toi quand tu passeras dans les couloirs.
Je lève le bras pour combler l'espace qui demeure entre nous. Ma main se referme sur sa joue alors qu'il appuie davantage son visage dans ma paume, les yeux fermés.
— Rien de tout cela n'a d'importance. Je suis prêt à supporter bien plus si tu es avec moi.
Il plisse les paupières alors que son front retombe mollement contre ma poitrine. Ma main glisse vers sa nuque puis mes doigts passent à travers ses ondulations blondes.
J'ai le cœur qui s'emballe, la tête en vrac et les sens en éveil, parce qu'il est là, tout près de moi.
— Tu veux qu'on soit ami ? murmure-t-il, le visage toujours dissimulé.
— Je ne sais pas. Non, je ne crois pas, confessé-je.
— Alors quoi ? Un couple ? ironise-t-il, une légère pointe d'amertume dans la voix.
— Je crois... enfin, je l'ignore, je...
Je ferme les yeux et inspire doucement, à la recherche de mes mots.
— Je veux avoir l'opportunité de t'embrasser lorsque nous le désirerons, que tu viennes trouver du soutien auprès de moi quand tu te sentiras surmené. Angelo, je veux que tu t'autorises le droit de te perdre dans mes bras quand tu en ressens l'envie. Tu comprends ?
— Tu as Marianna, me rappelle-t-il encore.
— Tu n'as qu'un seul mot à dire pour qu'elle et moi ce soit terminé.
Il relève la tête pour croiser mon regard, son souffle chatouille ma peau. Il semble perturbé, presque triste mais je ne décèle plus de colère dans ses yeux.
— Si tu y tiens alors fais le pour toi avant de le faire pour moi, murmure-t-il.
— Je veux t'embrasser, avoué-je avec spontanéité.
J'admire ses lèvres roses et l'envie irrépressible de les posséder à nouveau grandit en moi.
— Will, souffle-t-il perturbé, arrête.
— Laisse-moi t'embrasser...
Ses joues rougissent, ses iris pétillent irrésistiblement et je comprends qu'il en a envie autant que moi. Ce constat ravive davantage la brûlure dans le creux de mes reins. Sa main se pose sur mon torse, il exerce une légère pression pour me faire reculer mais je résiste. Je le surplombe, le dévore des yeux.
— Angelo, susurré-je en m'inclinant vers son visage.
— William...
— Laisse-moi faire, s'il te plaît.
Il me sourit tendrement et me pousse au bord d'un précipice dans lequel j'aimerais plonger tête baissée. Il se dresse sur la pointe des pieds, ses lèvres se posent doucement sur la commissure des miennes.
— Je ne me suis jamais senti aussi vivant que lorsque tu es dans les parages, Marx.
Son aveu me réchauffe le cœur, en réalité je pense que c'est identique de mon coté.
— Je n'arrive plus à penser quand tu es là, continue-t-il contre ma bouche, c'est pour cette raison que tu dois t'en aller, Will.
Je ferme les yeux, tente d'encaisser la douce violence de ses paroles et ravale la plainte qui était sur le point s'échapper.
— Pourquoi t'infliges-tu cela si toi aussi tu te sens bien avec moi ? demandé-je, les paupières toujours closes.
— Je ne veux pas être contraint de subir la fin.
— Tu ne nous laisses pas l'occasion de commencer mais tu envisages déjà que ça se termine. Aucun de nous deux ne peut savoir comment cela évoluera .
— Rien ne se finit jamais comme je le souhaite. Pars maintenant, je t'en supplie William, ne reste pas là.
Il semble brisé, tiraillé entre plusieurs sentiments contradictoires. L'envie et la peur. La tristesse et la douleur. Un mélange semblable à mes propres ressentiments.
J'embrasse sa joue, laisse traîner mes lèvres sur sa peau plus longtemps que nécessaire. Je suis satisfait de ce contact mais affreusement déçu qu'il me demande une fois de plus de partir.
— Tu sais que je ne vais pas lâcher l'affaire si facilement ? l'interrogé-je en croisant son regard.
— J'en ai bien peur, me sourit-il tristement.
— Les rôles se sont inversés.
— Comment ça ?
— Il y a peu, tu me cherchais et je te repoussais. Désormais, je te cours après alors que tu me rejettes sans cesse.
— C'est différent.
— Pourquoi ?
— Tu n'as plus la même valeur depuis.
Ses mains se plaquent contre ma poitrine et me repoussent avec force, alors que je tente de digérer les paroles qu'il a prononcé. Que dois-je comprendre ?
— À plus tard, Marx.
Je lui souris et commence à m'éloigner sans un regard en arrière. Si je me retourne, je ne suis pas certain de parvenir à contrôler mes pulsions. Son corps finirait contre le mien, mes lèvres sur les siennes.
Il n'est pas prêt pour le moment, j'ai pu le lire dans son regard rempli de tourments. Même si c'est douloureux, je préfère patienter le temps qu'il faudra plutôt que de subir un non catégorique.
Un nouvel espoir naît lentement en moi, mais une crainte persiste. Me laissera-t-il devenir son pilier lorsqu'il perdra pied ?
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