Chapitre 24, partie 1 :

9 minutes de lecture

Angelo DeNil :

J'observe la liste de questions rédigée par mes soins et ceux de Rose, relis chaque phrase pour la énième fois. Je les connais pourtant par cœur, elles tournent en boucle dans mon esprit malade, celles sur la fiche avec pour intitulé " Will Marx ".

J'ai envie de sortir de cette salle, la quitter le plus rapidement possible pour ne pas avoir à subir son regard océan posé sur moi. Nous ne nous sommes pas parlé depuis lundi lorsque Marianna est venue nous interrompre. Pourtant, chaque fois que nous nous croisons dans le lycée, ses yeux me balaient de tendres caresses et mon cœur semble vouloir exploser. Il est d'une intensité à couper le souffle, tout en lui est trop intense. La pâleur de ses iris, la douceur de ses lèvres, la beauté de son sourire, la perfection de son visage, la splendeur de son corps, la chaleur de sa peau, la tendresse de ses gestes. Tout ! Et ça me rend plus fou que je ne le suis déjà.

Cette situation est trop pesante, trop lourde à supporter et j'en viens à me haïr de persister à maintenir cette distance entre nous. Chaque fois que j'aperçois Marianna trop proche de lui, mon esprit vacille, mon cerveau vrille et Ombre ricane à l'intérieur de mon crâne. Je visualise parfois cette pimbêche se noyer en faisant ses longueurs à la con dans l'immense piscine de ce lycée, ces images soulagent mon âme solitaire.

— Ça c'est super bien passé avec Maël ! dit fièrement Rose attablée avec moi.

— Tu as raison, c'était pas mal.

L'interview de Tobias a été rapide, ses réponses claires et concises. C'est un réel plaisir lorsque les séances se déroulent ainsi, la rédaction est facile et se boucle en très peu de temps.

Roselyne s'occupera de monter l'article le concernant, je l'envie car cela sera d'une simplicité enfantine. Quant à moi, je vais me coltiner les réponses de Marx et tenter de ne pas me perdre pour terminer ce devoir en l'imaginant m'effleurer à chaque touche du clavier que je presserai. Si je suis incapable de me servir d'un téléphone, quand il s'agit de retranscrire mes notes, monter et mettre en page mes articles, je suis un as. J'ai bien conscience de la stupidité de la situation, en soi, un ordinateur est sûrement plus complexe qu'un portable.

J'apréhende le moment où je vais écouter l'enregistrement de notre entretien pour former mon compte-rendu. Je crois que mon réel problème est de devoir le faire sur l'un des postes informatiques de la bibliothèque. Je ne suis pas certain de parvenir à garder un air impassible alors que le casque qui reposera sur mes oreilles me fera entendre sa voix rauque et pourtant douce. Je dois cependant assumer, Rose a pioché Tobias, moi Marx.

— Tu commences ou je le fais ? demandé-je après avoir réalisé m'être égaré dans mes pensées.

— J'ai débuté avec Maël, fait le avec Will.

— Ouais. Ok, grogné-je avec l'enthousiasme perdu au fond des chaussettes.

J'ouvre la pochette de mon sac à dos, récupère mes médocs et comme à mon habitude en avale deux sans prendre la peine de boire. Rose me voit agir ainsi depuis des années mais ne m'a jamais posé de questions sur le sujet, respectant mon intimité. Peut-être qu'un jour je lui révélerai la folie qui dort en moi. Oui, sûrement un de ces jours.

Dépité, je lance un regard à mon amie, j'aimerais que le temps s'accélère. Je fronce les sourcils en remarquant que Roselyne a perdu ses couleurs. Ses pommettes habituellement rosées sont blêmes et ses yeux semblent soudainement fatigués.

— Tu vas bien, ma Rose ? demandé-je en m'inclinant vers elle. Tu es pâle.

— Oui, ça va. J'ai un peu mal au ventre, je crois que je digère mal le repas de la cantine.

— Tu es certaine que...

Je m'interromps lorsque la porte s'ouvre. Mon cœur s'emballe brusquement. Je clos brièvement les paupières, tente d'encaisser l'électrochoc que me fait ressentir l'odeur de Marx en s'infiltrant dans mes narines. Il nous sourit, tire la chaise face à moi et y dépose ses fesses.

— Vous allez bien ? s'informe-t-il. J'ignorais que c'était toi qui allais m'interviewer.

Je hausse les épaules, l'air désinvolte, pourtant, c'est l'effusion dans ma tête. J'ai envie de le frapper de ne pas être venu me parler depuis tout ce temps.

Plus contradictoire, c'est tout bonnement impossible. Je lui répète sans cesser de s'éloigner, mais lorsqu'il ne m'approche pas, je lui en veux.

— Il faudrait déjà que l'on se parle et là, j'aurais pu te prévenir.

Will lève la main et passe ses longs doigts dans ses cheveux pour ôter les mèches brunes qui barrent son front. Je me retiens de lui dire de ne plus jamais faire ça quand il est face à moi. C'est ainsi que je le trouve magnifique, avec ses yeux clairs flouttés par ses mèches obscures.

— Désolé, souffle-t-il, elle ne me lâche jamais.

Ma mâchoire se contracte. Je vais faire un carnage si les images de cette gourde ne s'estompent pas.

Je savais que le mieux était de garder mes distances, ce qu'on a vécu à l'autre bout du pays aurait dû être enterré dès notre retour.

Malgré ma colère et cette inopportune jalousie, je suis tout de même étonné par la façon dont Marx parle en toute transparence devant mon amie. Il n'a pas l'air gêné le moins du monde.

— Bref, commençons, qu'on en finisse vite, craché-je plein de rancoeur.

Je jette un dernier coup d'œil à Roselyne qui est toujours si pâle et attrape le dictaphone sur la table. Je l'allume pour enregistrer la totalité de notre échange, priant pour que ce calvaire prenne fin le plus rapidement possible.

Cet appareil est un réel cadeau, il nous évite d'écouter qu'à moitié les réponses afin de prendre des notes et surtout, de ne rien oublier.

J'intercepte le regard de Marx lorsque je relève la tête. Il est visiblement heurté par mon envie de décamper. Je me racle la gorge, m'installe convenablement contre le dossier de ma chaise et me lance :

— Débutons par la question la moins originale mais qui a sûrement le plus d'importance pour les supporters des Lions. Pourquoi le football ?

Will ne semble absolument pas réfléchir quand il répond :

— Ça a toujours été comme une évidence pour moi. J'ai baigné là-dedans avant même de savoir marcher. Mon père a joué dans ce même établissement, puis en équipe universitaire et je crois que l'admiration que j'avais pour lui m'a poussé à l'imiter. Au début, je me contentais de frapper dans un ballon quand le soleil brillait, jusqu'à ce que le besoin de jouer même dans les pires situations m'a étreint. Ce ne n'est pas un hobby, c'est un but, un souhait de carrière. On a tous un rêve quand on est gosse, le mien a toujours été de devenir footballeur et je compte me démener pour y parvenir. Ce rêve, je le partage avec mon père et mon meilleur ami depuis plus de quinze ans et cela me donne envie de me surpasser en y songeant.

Il est beau.

Son visage est lumineux, ses yeux pétillants et putain, je crois que ça va être affreusement long de lui poser ces dix questions et d'attendre qu'il y réponde sans que mon cœur pleure pour être relié au sien.

— Question suivante, continue Rose. Comment devient-on capitaine et comment le vit-on ?

Le regard puissant de Marx me quitte pour observer mon amie.

Je connais déjà une partie de cette réponse, maintenant reste à voir s'il va se montrer sincère comme il l'a été avec moi lorsque nous étions perdus, excentrés du monde mais forts parce que nous étions à deux.

— Choisir le capitaine des Lions n'a pas été très compliqué. On a participé à un vote à main levée et le coach Murray a donné son aval. C'est tombé sur moi, mais cela aurait pu être n'importe qui. Ce ne sont pas mes capacités sur un terrain qui ont fait que je devienne le capitaine mais ma facilité à communiquer avec mes coéquipiers. Je ne sais pas si ça se passe ainsi pour toutes les équipes et j'ose espérer que non, parce que ce n'était pas très sérieux, s'amuse-t-il.

Il me jette un regard rieur et je ne peux m'empêcher de lui sourire.

— Ensuite, reprend-il, pour être parfaitement honnête, être à la tête d'une équipe s'avère parfois compliqué. Ça demande du temps, de la patience et de l'énergie dont je manque par moments. Je dois faire en sorte qu'aucun problème ne vienne atteindre notre symbiose et notre jeu pendant un match. Il m'arrive d'être dur, quitte à me mettre certains de mes coéquipiers à dos, mais c'est aussi ça qui fait que notre équipe est douée et qu'on avance.

Je hoche la tête, fier qu'il se montre lui-même. J'aime sa capacité à être transparent. Il a évité certains détails dont il m'a fait part mais le fond est identique.

— Troisième question, déclaré-je. Quelle est la chose qui te motive le plus durant un match ?

— Beaucoup de mes coéquipiers auraient répondu la gagne, le fait de remporter la victoire, mais je ne suis pas à classer dans cette catégorie. Ce qui m'enivre, c'est de donner le meilleur de moi-même pendant que je suis sur le terrain. En définitive, ce n'est pas la victoire que je cherche mais le fait de me dépasser. Si on termine un match et que le score n'est pas en notre faveur, je ne suis pas déçu si je sais que je me suis acharné jusqu'au bout.

Ce type est réellement parfait, chaque réponse qu'il donne est d'une douceur qui me bouleverse. Il ne joue pas un rôle, la spontanéité avec laquelle il parle me prouve qu'il nous partage une partie de lui sans essayer de se mettre en avant ou de montrer qu'il est le meilleur.

— La question qui suit est plus personnelle, es-tu prêt ? s'enquiert gentiment Rose.

Will acquiesce et je retiens mon souffle. Je sais exactement ce qu'elle s'apprête à demander et ça ne me plaît guère.

— Comment as-tu vécu les douze jours que tu as passé perdu en forêt ? Quels sentiments as-tu ressenti ? Et comment t'en remets-tu désormais ? Développe en quelques phrases si ça ne t'ennuie pas.

— Ce n'est pas moi qui l'ai rédigée celle-ci, précisé-je en râlant.

Je ne voulais pas qu'on lui pose une telle question, mais Rose s'est montrée très insistante. Après tout, nous sommes journalistes et c'est notre job d'entrer dans l'intimité des personnes que l'on interroge. Si notre article est sélectionné pour le journal du lycée, c'est probablement ce que les autres désireraient lire. William Marx est le capitaine des Lions et l'un des sportifs les plus populaires de l'établissement ; ce que nous avons vécu est un sujet inédit pour notre école et les réponses qu'il donnera intéresseront un grand nombre de gens. Abreuver la curiosité, parfois malsaine, des lecteurs, voilà quel est le but premier d'un bon reporter.

Le regard de Will s'ancre au mien, le bleu de ses yeux plus brillant que jamais.

— En un mot : éprouvant.

La façon dont il m'observe fait battre mon coeur par saccades. Mes doigts se resserrent sur le bord de la table, comme si j'avais peur de chuter alors que j'ai le cul poser sur une chaise.

— J'imagine que tu t'attends à ce que je te certifie que c'était affreux, continue-t-il en regardant enfin Rose, mais en réalité ça n'a pas été le cas. Certes, c'était oppressant par moments. Ne pas savoir où dormir, ni comment se nourrir étaient angoissants. Ignorer où se trouvaient les autres usagers du car et ne pas savoir s'ils allaient bien, étaient effrayants. Pourtant, cette expérience, si je puis dire, m'a permis de me remettre en question. J'ai pu découvrir une nouvelle facette de moi-même, trouver de nouveaux buts à atteindre et de désirer de nouvelles choses.

Il fait une courte pause durant laquelle il inspire profondément. Je ne le quitte pas des yeux alors que mon cœur s'acharne entre mes côtes.

— La personne qui m'accompagnait n'était pas toujours très loquace, mais ses silences, pourtant souvent suggestifs, m'ont permis de réfléchir à énormément de choses qui me semblaient peu importantes à première vue. Avant l'accident, je pensais être ouvert d'esprit et c'est en restant coincé dans cette forêt que j'ai compris que ce n'était pas tout à fait le cas. Malgré le froid, la faim, la fatigue et cette attente des fois étouffantes, la conclusion ne me déplaît pas.

Will trouve mon regard pour la énième fois depuis qu'il est entré dans cette salle. Je ne peux m'empêcher de fixer ses lèvres alors qu'il conclut en un souffle :

— Même si j'avais le pouvoir de modifier le court des évènements pour que cet accident n'ait pas lieu, personnellement et probablement égoïstement, je ne changerais rien de ce que j'ai vécu. Il n'y a pas eu de blessé grave, et même le conducteur qu'on pensait mort est en réalité en parfaite santé, alors, je suis tout simplement satisfait des leçons que j'en ai tirées.

— Ok ! On fait une pause, déclaré-je brusquement.

Je me relève d'un bond, au bord de la rupture, sous les regards étonnés de mes vis-à-vis.

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