Chapitre 31, partie 3 :

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Angelo DeNil :

Lorsque je termine de ranger le bordel fait par Bérénice, j'enfile mes converses élimés pour affronter le monde et peut-être la retrouver. Morte ou vivante, sûrement morte...

J'avance dans les rues, le cœur lourd et les jambes en souffrance. Je détaille chaque recoin de cette ville que je connais sur le bout des doigts. Ce quartier de merde, cet enfer. Mes yeux voyagent, observent chaque impasse, chaque cul-de-sac, chaque ruelle. Cela fait des heures que je déambule, tel un pantin tiré par des fils, j'erre telle une âme sans domicile. Je ne suis qu'un esprit égaré, un corps tourmenté, un cœur putréfié.

C'est sous un pont que je l'aperçois. Son corps étendu à même le sol, les pieds nus et la peau trop peu couverte pour cette température de saison. Je devrais probablement souffrir de la voir ainsi, les cheveux emmêlés et les lèvres bleuies par le froid, mais ce n'est pas le cas. Je ne ressens plus rien face à pareille situation, c'est elle qui le cherche, qui s'enterre un peu plus chaque jour. La seule chose qui me fait réellement du mal depuis des semaines, c'est de ne pas être à la hauteur de Will. Lui qui a tout chamboulé, qui m'a retourné le cerveau en un sourire, qui m'a fait l'adorer en une caresse, qui m'a rendu dingue de lui en un baiser et à qui je dois dire au revoir pour ne pas éteindre sa belle lueur.

Je m'approche de Bérénice, caresse son front glacé pour la réveiller. Elle m'apparaît dans un si mauvais état, dans une si mauvaise posture. Ses yeux s'ouvrent lentement, puis un sourire se dessine sur ses lèvres gercées.

— Je savais que tu viendrais me chercher, mon Lolo.

Sa voix n'est plus celle que j'ai connue étant gosse, celle qui me chantait des berceuses pour dormir le soir, qui m'apaisait lors de mes crises. Maintenant elle est rocailleuse, désincarnée, presque morte.

— Comme chaque fois que tu t'enfuis, soupiré-je en l'aidant à se relever.

— Je suis tellement désolée, souffle-t-elle en peinant à tenir sur ses jambes.

J'ignore ses mots, elle les a trop souvent répétés. Ils me semblent plus faux à chaque fois. Malgré les apparences, je ne lui en veux pas, elle s'est faite avoir. Elle s'est laissée entraîner par la douleur lorsque mon père est parti.

— J'étais en manque, m'avoue-t-elle, j'en avais besoin.

— Ouais, je le sais maman. Comme toujours.

— Je ne l'ai pas dépensé, murmure-t-elle honteuse. L'argent est dans ma poche, j'en ai juste pris un peu.

Je ne réponds pas, à quoi bon le faire ? Elle recommencera, encore et encore. Je n'ai plus la force de me battre contre ses démons, j'ai déjà trop de soucis avec les miens.

Elle dort presque lorsque je déverrouille la porte de la maison pour l'aider à entrer. Tout son poids repose sur moi, je la guide vers le canapé pour libérer mon dos de son supplice.

Est-ce vraiment à moi de faire ça, de récupérer ma mère endormie sous un pont quand le manque de drogue la fait devenir folle ? Je n'en sais rien, sûrement que oui. Je suis son fils, c'est mon rôle. Mais, en tant que mère, elle devrait m'épauler, m'aider et me dire quoi faire lorsque je suis perdu. Comme je le suis maintenant. Lorsque j'ai mal, comme dans l'immédiat, elle devrait panser mes blessures et me convaincre de rattraper Will mais personne ne le fera parce que personne n'est assez responsable, assez adulte, pour ça. Si je ne le suis pas, elle l'est encore moins.

Installé sur une chaise, je regarde ma mère dormir et attends que le temps passe, que la douleur soit moins forte. Pourtant, c'est pire à mesure que les minutes défilent.

Loli rentre enfin, sa présence comble légèrement le vide qui est en moi. Elle a l'air fatiguée quand elle vient embrasser ma joue.

— Où était-elle ?

Je hausse les épaules. Répondre à cette question ne servirait à rien hormis la rendre encore plus mal qu'elle ne l'est déjà. J'aimerais pouvoir lui offrir une autre vie, une nouvelle existence dans laquelle je lui offrirais toutes les merveilles qu'elle mérite.

Le téléphone vibre sur la table, je sais que c'est Will, c'est le troisième appel que j'ignore.

— Tu devrais lui répondre, me conseille-t-elle. Je crois qu'il t'aime vraiment.

Je ferme les yeux pour encaisser la pointe qui me transperce le cœur.

— Je suis mauvais pour lui.

— Mais lui est bon pour toi.

— Je refuse de lui faire du mal, soufflé-je, brisé.

L'écran du téléphone s'allume à nouveau pour laisser apparaître la photo de Will.

— Réponds, Angelo, m'ordonne presque ma sœur.

Je récupère l'engin en soupirant et me dirige vers ma chambre. J'accepte l'appel en me laissant tomber sur le lit.

— Allô...

— Bon sang, Angelo... j'étais inquiet.

Je ne réponds pas, je n'ai rien à dire.

— Tu as retrouvé ta mère ?

— Ouais.

— Elle va bien ?

— Ouais, elle était en manque.

Un silence s'installe, je n'entends plus que sa lourde respiration, sûrement parfaite copie de la mienne.

— Je suis désolé, soufflé-je finalement.

— Il n'y a pas de mal...

— Évidemment qu'il y en a, Will. Arrête de te voiler la face. C'est la deuxième fois que je te blesse.

— Tu ne le fais pas volontairement.

— Ouais, mais ça ne change rien. Ce sera ainsi à chaque fois et je ne veux pas de ça.

Une boule obstrue ma gorge, j'ai encore envie de pleurer.

— Je peux le gérer, murmure-t-il d'un ton brisé.

— Moi pas...

— Angelo, je t'a...

— Ne le dis pas, m'écrié-je. Tais-toi, je t'interdis de le dire.

— Mais je le pense, si fort...

— Je ne veux pas l'entendre. Ce serait beaucoup trop dur, s'il te plaît.

Je laisse échapper les larmes qui me brûlent les yeux, tente d'être discret pour ne pas qu'il entende ma souffrance et mon désarroi.

— C'est toi qui complique les choses, Angelo.

Sa voix est éteinte, j'ai l'impression de l'avoir cassé.

— On ne peut pas continuer comme ça, je ne le supporterais pas.

— Est-ce que tu es en train de me quitter ? murmure-t-il, un sanglot dans la voix.

— Je te fais du mal, Will, ce serait égoïste de ma part de m'accrocher à toi.

— Tu dis n'importe quoi, gronde-t-il, tu ne peux pas choisir pour moi. Ne me laisse pas encore une fois, s'il te plaît... Angelo.

— Je ne peux pas, chuchoté-je. Je ne veux pas te faire souffrir, tu mérites tellement mieux que moi.

— Ce n'est pas à toi de choisir pour moi !

— Non, je le fais pour moi. Je refuse de te détruire.

— Je préfère avoir mal en étant avec toi, plutôt que de souffrir sans toi.

Je ferme les yeux, bien trop perturbé.

Je l'adore... à en crever et je crèverai de lui faire du mal, encore. Je laisse les larmes me noyer et reste silencieux. Je ne trouve rien à dire.

— Penses à la nuit dernière, nous étions si bien. Ne nous prive pas de ça...

Il n'a pas le droit de jouer là-dessus, ça me brûle le cœur.

— Justement, tellement que je n'ai même pas entendu ma mère péter un plombs.

— Ce n'est pas ta faute, chuchote-t-il. Je n'ai rien entendu moi non plus.

— T'as raison, ce n'est pas notre faute, mais ta lèvre ouverte c'est la mienne et je ne veux plus jamais être responsable de ça.

— Angelo, soupire-t-il, je t'en prie, ne fait pas ça.

— Passe à la maison pour récupérer ton portable si tu veux, Loli te le rendra...

— Angelo, putain, je m'en moque du téléphone, garde-le !

— Excuse-moi, Will.

— Non ! Je ne veux pas de ça, reste avec moi, c'est tout. Ne me quitte pas !

Ça me brise le cœur. Putain ! J'entends sa souffrance, identique à la mienne. J'entends les larmes dans sa voix, la tristesse dans ses mots.

— Je suis désolé, soufflé-je avant de raccrocher.

Je laisse tomber le téléphone contre le matelas, l'âme en peine et le cœur en miettes.

Je n'aurais jamais dû le laisser prendre une place si importante dans ma vie. Je n'aurais pas dû le laisser briser ma carapace. Je lui ai fait du mal, je l'ai autorisé à m'en faire. Je ne suis pas bon pour lui.

Je continue de pleurer, jusqu'à ce que mes yeux me brûlent, jusqu'à ce que mon corps se fatigue. J'ignore les vibrations du téléphone, ignore les appels de Will. Je veux simplement dormir pour ne plus souffrir.

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