Exode – 1 et 2
Ce deuxième livre débute le long cycle consacré à Moïse. Figure centrale pour les trois grandes religions monothéistes, Moïse est considéré comme l’auteur des cinq premiers livres de la Bible (avec l’aide de Dieu en co-auteur bien entendu vu que Moïse n’était pas là dès le début…). Pour les musulmans, Moïse (Moussa dans le Coran) annonce l’arrivée de Mahomet et leurs histoires personnelles présentent d’ailleurs certaines similarités (mais là n’est pas le propos).
Petit rappel des faits ; Jacob, également appelé Israël par Dieu est le fils d’Isaac (et donc un des petits-fils d’Abraham). Il a enfanté douze fils qui seront à l’origine des douze tribus d’Israël. À la fin du livre de la genèse, une grande famine de sept années consécutives a frappé tous les pays alentours. Seule l’Égypte disposait de réserves conséquentes pour surmonter cet épisode et Pharaon accueille dans la région de Gosen (partie orientale de la Basse-Égypte) les soixante-dix membres de la famille de Jacob/Israël.
Le premier chapitre de l’Exode plante le décor. Selon le livre précédent, les hébreux sont en Égypte depuis près de quatre cents ans. À l’époque, l’espérance de vie (qui a tout de même drastiquement diminué depuis Adam et Ève) est d’environ une centaine d’années. La génération des douze fils d’Israël est éteinte, mais au fil des années, les tribus hébreues se sont abondamment reproduites dans le pays de Gosen. Le Pharaon qui les avait accueillies est mort également et son successeur n’est plus aussi sympa avec eux. Il estime que les hébreux sont trop nombreux et représentent désormais une menace pour son peuple et son territoire. Alors Pharaon leur fait réaliser des travaux pénibles, espérant qu’ils soient trop fatigués pour continuer à se multiplier. Son plan initial ne fonctionnant pas, Pharaon augmente la charge des travaux jusqu’à ce que ceux-ci deviennent de l’esclavage. Parallèlement, il demande aux sages-femmes des hébreux de faire mourir les enfants mâles, lors des accouchements. Celles-ci refusent de lui obéir et en retour pour les remercier « Dieu fit du bien aux sages-femmes.» (Je vous vois venir avec votre esprit mal tourné, ce n’est pas ce que vous pensez, le texte précise que Dieu fit prospérer leur maison).
Pharaon, qui a de la suite dans les idées, décide de prendre le taureau par les cornes. Au sujet des hébreux, Pharaon commande à son peuple ; « Vous jetterez dans le fleuve tout garçon qui naîtra, et vous laisserez vivre toutes les filles. ».
C’est dans ce contexte que naît un garçon d’un couple formé par Jokébed (la mère) et Amran (le père). Si vous avez quelques notions d’histoire biblique, vous savez déjà que cet enfant s’appellera Moïse, mais pour le moment, il n’a pas encore de nom.
La famille est issue de la tribu de Lévi, le troisième fils de Jacob/Israël. L’ascendance de Jokébed n’est pas détaillée, puisqu’elle est juste désignée comme une « fille de Lévi » pour préciser qu’elle fait partie de la tribu du même nom. Par la lignée paternelle, Moïse est l’arrière-petit-fils de Lévi (et donc l’arrière-arrière-petit-fils de Jacob/Israël, Lévi étant lui-même un arrière-petit-fils d’Abraham… vous suivez ?).
Préalablement à l’arrivée en Égypte, les hébreux avaient déjà tendance à favoriser les unions au sein des mêmes lignées généalogiques. Lévi étant arrivé sur place avec ses fils déjà nés, pour cet enfant il s’agit de la deuxième génération qui voit le jour au sein d’une population limitée et coupée du reste du monde.
Lorsque nait l’enfant, Jokébed « vit qu'il était beau, et elle le cacha pendant trois mois ». Cette précision nous indique que si l’enfant avait été laid, il aurait probablement fini au fond d’un puits, ou en invité spécial pour un holocauste… On peut constater que toute cette histoire tient à peu de choses finalement. Un enfant moche et le bouquin était terminé. Pas de Moïse, pas de Jésus, pas de Mahomet… pas de religions telles que nous les connaissons (pas de croisades, pas de conflit israélo-palestinien, pas de Daech et tout un tas d’autres joyeusetés…). Bon, il ne faut pas se leurrer non plus, nous aurions fait preuve d’imagination pour dénicher d’autres sujets de disputes et inventer d’autres croyances toutes aussi sympathiques.
Mais l’enfant est beau et afin qu’il échappe à une mort certaine, sa mère choisit de le placer dans une petite embarcation (un berceau moïse enduit de poix et de bitume) et de déposer l’ensemble parmi les roseaux du Nil. La sœur de Moïse suit discrètement l’embarcation à distance.
La fille de Pharaon qui passait dans le coin, repère l’enfant et trouve qu’il est bien mignon (voilà pourquoi il nous est précisé préalablement que l’enfant est beau… en complément d’une explication à ce que sa mère décide de le garder, sa beauté est aussi un argument pour justifier qu’il soit adopté par la fille de Pharaon). Elle sait immédiatement qu’il est hébreu, mais en dépit des ordres de son père, elle décide de le garder pour elle, comme tout à chacun le ferait. Seul problème, l’enfant n’est pas sevré et elle ne peut pas l’allaiter. La sœur de Moïse intervient alors et propose une nourrice de sa connaissance qui pourrait s’occuper de l’enfant. Comme dans une bonne pièce de Shakespeare, la nourrice proposée n’est autre que la mère du chérubin sauvé des eaux. Jokébed s’occupe finalement de son propre enfant et lorsqu’il a suffisamment grandi, elle le confie à la fille de pharaon. Le garçon devient alors pour elle comme son fils. En fait, c’est elle qui le prénommera Moïse.
Aucun détail n’est donné sur la jeunesse de l’enfant, ni sur comment la fille de Pharaon a justifié cette maternité soudaine auprès de son père. Dans la scène suivante, Moïse est déjà devenu un homme. Au cours d’une ballade en ville, il assiste à une scène où un égyptien maltraite un hébreu. Moïse n’hésite pas à prendre la défense de ce dernier. Moïse vérifie bien qu’il n’y ait pas de témoin, tue l’agresseur et le cache dans le sable. Bon, il aurait pu demander à sa mère adoptive de punir l’égyptien, mais s’il veut se faire bien voir de Dieu, il faut savoir adopter la politique de la maison.
Comme sa ballade s’était bien passée la veille, Moïse ressort en ville le lendemain. Il croise à nouveau des gens qui se querellent. Cette fois-ci, il s’agit de deux hébreux. Moïse doit être ennuyé de ne pas pouvoir régler simplement la situation en tuant l’un des deux protagonistes. De fait, il leur demande d’arrêter de se disputer. L’un d’eux lui dit : « Qui t'a établi chef et juge sur nous ? Penses-tu me tuer, comme tu as tué l'Égyptien ? » Moïse comprend que si ces gens ont eu vent de son acte, la police locale doit également le savoir. Plutôt que de se rendre au commissariat le plus proche, il décide de fuir hors d’Égypte, dans le pays de Madian (sans un mot d’explication pour sa mère adoptive, dont nous n’entendrons d’ailleurs plus jamais parler à l’avenir).
Arrivé sur place, Moïse trouve un puits. Sept filles y abreuvent le troupeau de leur père. Mais d’autres bergers arrivent et les chassent. Le sang de Moïse ne fait qu’un tour, il prend la défense des femmes et fait boire leur troupeau. Les filles racontent toute l’histoire à leur père, Jéthro (ou Réuel selon les chapitres). Celui-ci, invite Moïse à rester avec eux et lui donne une de ses filles, Séphora.
Le temps passe, Moïse et Séphora ont un premier fils, nommé Guerschom. Pharaon meurt et les hébreux sont toujours en esclavage en Égypte. Mais de son côté, que fait Dieu depuis tout ce temps ? L’histoire ne le dit pas précisément, mais je crois que Dieu a d’autres centres d’intérêt… En tout cas, Il doit finir par se dire qu’Il lui semblait bien qu’Il avait créé un truc dans ce coin de l’univers et que parmi les gens sur place, il y en a avec qui Il avait passé quelques accords. Toujours est-il que les dernières lignes du chapitre réintroduisent le personnage principal avec ces phrases au sujet des hébreux : « Dieu entendit leurs gémissements, et se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu regarda les enfants d'Israël, et il en eut compassion. »
Arrêtons-nous un instant pour faire le point sur ces deux premiers chapitres. Si vous avez vu le film de Cecil B. DeMille (Les dix commandements – celui de 1956 avec Charlton Heston), vous constaterez qu’il contient bien plus de détails sur ces passages que la Bible elle-même. En un mot, le film est plutôt cohérent, là où la Bible n’explique rien.
Comment se fait-il que la fille Pharaon traine dans le pays de Gosen où se situe l’action, puisque le secteur est dédié aux esclaves et qu’il doit être un peu dangereux pour une personne issue de la noblesse ? Pourquoi désobéit-elle à son père en décidant d’adopter un enfant hébreu plutôt que de le faire tuer ? D’ailleurs, comment sait-elle qu’il est hébreu ?
La scène du meurtre de l’égyptien pose également un certain nombre de questions, tant elle est déconcertante. Non par ce qui s’y passe (on cache tous les cadavres de nos victimes dans le sable), mais par la façon dont elle est racontée ; « En ce temps-là, Moïse, devenu grand, se rendit vers ses frères, et fut témoin de leurs pénibles travaux. Il vit un Égyptien qui frappait un Hébreu d'entre ses frères. ». Si Moïse considère les hébreux comme ses frères, il sait manifestement (contre toute attente) qu’il est hébreu lui-même, alors qu’il a été élevé comme le petit-fils du Pharaon. Est-ce que la fille de Pharaon lui a révélé la vérité ? C’est peu probable, car il aurait risqué logiquement d’être banni de la cour ou placé en esclavage (ou tué c’est au choix). D’un autre côté, qui d’autre aurait ou informer Moïse de sa véritable ascendance ? Sa sœur ainée ou sa mère avec qui il a peut-être maintenu des liens ? Là pour le coup, je ne vois pas pour quelles raisons Moïse les aurait crues. Si je suis le petit-fils de Pharaon et qu’une servante m’annonce qu’en fait, je suis fils d’esclave mais que c’est un secret… je pense en toute honnêteté que j’ai du mal à la croire et que je la fais taire définitivement (et j’ai manifestement davantage de retenue que Moïse…).
Une option qui peut éventuellement expliquer le raisonnement de Moïse, consiste à estimer qu’il est circoncis. D’une part ce serait logique, puisque cette opération doit intervenir au huitième jour de l’enfant et cela pourrait aussi expliquer comment la fille de Pharaon sait immédiatement que l’enfant est hébreu (il en manque un morceau). Si cette explication est la bonne, alors d’une part parmi les nombreux serviteurs de Pharaon qui ont pu s’en apercevoir, personne n’a jugé bon de lui rapporter ce fait, tandis qu’ils avaient l’ordre explicite de tuer tous les enfants mâles des hébreux. D’autre part, cela signifie que Moïse dispose d’un bon esprit de déduction. Élevé en dignitaire égyptien au sein de la cour de Pharaon, il comprend que les hébreux sont ses frères en regardant dans son slip…
On peut cependant noter que Moïse ne semble avoir aucune affinité avec Dieu, ni même aucun intérêt pour la chose religieuse. Malgré qu’il ait connaissance de son origine hébreue (il ne peut toutefois pas deviner qu’il est un descendant direct d’Abraham), il ne semble pas s’être renseigné sur leur culte. Aussi, Moïse ne fait aucune mention de Dieu et ne prie manifestement pas. N’ayez pas d’inquiétudes, ces handicaps apparents n’empêcheront pas le cabinet de recrutement divin de s’intéresser à son profil dès le prochain épisode.
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