Exode 5 et 6 – Moïse et Aaron rencontrent Pharaon pour la première fois
Après avoir informé et convaincu le peuple hébreu qu’ils sont en mission pour Dieu, Moïse et Aaron se rendent auprès de Pharaon. Pour cette première confrontation, ainsi que Dieu leur a indiqué, les deux frères lui demandent de laisser les hébreux sortir d’Égypte, afin qu’ils aillent dans le désert pour célébrer leur Dieu. Comme attendu, le roi d'Égypte leur fait part de son refus ; « Qui est l'Éternel, pour que j'obéisse à sa voix, en laissant aller Israël ? Je ne connais point l'Éternel, et je ne laisserai point aller Israël. »
Le plan de Dieu est bien de faire sortir définitivement les hébreux d’Égypte. Dans le chapitre 4, Dieu explique qu’Il endurcira Lui-même le cœur de Pharaon pour qu’il refuse la demande. L’Éternel est donc bien placé pour connaitre d’avance ce refus. Cependant il n’est pas précisé pourquoi, dans un premier temps, Dieu minimise la demande en prétextant un simple pèlerinage de trois jours. Peut-être s’agit-il ici d’une astuce scénaristique pour souligner la vilenie de Pharaon (qui refuse même une demande raisonnable) et légitimer le courroux ultérieur de Dieu à son égard. Toujours est-il que Dieu ment et manipule son monde (par la bouche de Moïse) en toute connaissance de cause. La réponse des frères est aussi révélatrice sur la nature de la relation entre l’Éternel et son peuple ; « Ils dirent: Le Dieu des Hébreux nous est apparu. Permets-nous de faire trois journées de marche dans le désert, pour offrir des sacrifices à l'Éternel, afin qu'il ne nous frappe pas de la peste ou de l'épée. » Autrement dit, si nous n’obéissons pas à Dieu, Il nous frappera…
Pharaon justifie donc son refus, arguant qu’il ne connait pas l’Éternel. De plus, il a besoin de la présence des hébreux qui représentent une force de travail bon marché dans le secteur du bâtiment. Pour punir le peuple d’Israël d’avoir formulé une requête si saugrenue, Pharaon décide de rendre ses travaux plus difficiles encore, en ne fournissant plus la paille pour la confection des briques.
Les hébreux doivent dorénavant maintenir leur cadence de production de briques tout en ayant en sus, la charge de ramasser le volume de paille nécessaire à leur confection. Pour les hébreux, la rencontre entre Moïse, Aaron et Pharaon, ressemble à une négociation syndicale désastreuse. Logiquement, les deux frères, sont pris à parti par leurs compatriotes.
Moïse retourne voir Dieu, sans qu’il ne soit expliqué où se situe la rencontre. Nous noterons que les interactions entre Dieu et Moïse/Aaron se réalisent systématiquement sans témoin. Le rôle d’Aaron est souvent très similaire à celui de son frère, mais sa présence ou non n’est pas toujours précisée. Moïse fait à l’Éternel un compte rendu de la situation « Seigneur, pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple ? Pourquoi m'as-tu envoyé ? Depuis que je suis allé vers Pharaon pour parler en ton nom, il fait du mal à ce peuple, et tu n'as point délivré ton peuple. »
Dans sa réponse, Dieu est globalement rassurant. Il est également un peu redondant et énigmatique. D’abord, Il réexplique (pour la énième fois) son plan à Moïse vis-à-vis de Pharaon. Ensuite, Dieu relate à nouveau l’alliance qu’Il a forgée depuis Abraham.
Au premier abord, ce passage ne semble être qu’une redite des chapitres précédents et ne sert pas à faire avancer l’histoire. Toutefois, il apporte deux précisions déroutantes. En effet Dieu dit : « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob, comme le Dieu tout puissant; mais je n'ai pas été connu d'eux sous mon nom, l'Éternel. » Dieu omet que le premier (de la famille de Moïse) avec qui Il a conclu une alliance est Noé (dès le chapitre 9 de la Genèse). Ensuite, pourquoi dit-Il que les autres patriarches ne le connaissent pas sous le nom de l’Éternel ? Le terme est régulièrement employé depuis le début de la Genèse et dans le chapitre 14 de ce premier livre, Abram/Abraham utilise cette appellation pour désigner Dieu : « Je lève la main vers l'Éternel, le Dieu Très Haut, maître du ciel et de la terre. » Une autre version propose « Autrefois, je me suis montré à Abraham, à Isaac et à Jacob comme le Dieu tout-puissant. Mais je ne leur ai pas fait connaître mon nom 'Le Seigneur'. J'ai fait alliance avec eux. » Mais cela ne tient pas davantage, car dans cette même version, au chapitre 13 de la Genèse, il est écrit : « C'est là qu'Abram prie Dieu en l'appelant Seigneur. »
Toujours dans la Genèse, au chapitre 27, au cours d’un dialogue avec Isaac, son fils Jacob dit ; « C'est que l'Éternel, ton Dieu, l'a fait venir devant moi. » Les trois patriarches connaissent donc les différentes dénominations de Dieu ainsi que son caractère d’éternité…
Bien sûr, nous pourrions estimer qu’il s’agit ici d’un problème de traduction, ou que le Pentateuque est un assemblage de textes rédigés par différents auteurs, qui ont été réunis sans un travail suffisant d’homogénéisation. Cependant, la version officielle étant que Moïse est le rédacteur unique de ces cinq livres, la conclusion qui s’impose est que Dieu a des problèmes de mémoire.
Dans la suite du chapitre, Dieu demande à Moïse d’annoncer l’avenir au peuple d’Israël. Voici en substance le message qu’il est chargé de transmettre : « Je suis l'Éternel, je vous affranchirai des travaux dont vous chargent les Égyptiens, je vous délivrerai de leur servitude, et je vous sauverai à bras étendu et par de grands jugements. / Je vous prendrai pour mon peuple, je serai votre Dieu, et vous saurez que c'est moi, l'Éternel, votre Dieu, qui vous affranchis des travaux dont vous chargent les Égyptiens. / Je vous ferai entrer dans le pays que j'ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob; je vous le donnerai en possession, moi l'Éternel. » Moïse s’exécute, mais les hébreux sont incrédules.
Moïse revient voir Dieu qui lui demande de retourner vers Pharaon pour renouveler sa demande. Comme précédemment, Moïse objecte qu’il n’a pas la parole facile, que les hébreux ne le croient plus et que Pharaon refusera de céder.
La suite est un peu confuse. Tandis que nous suivions un dialogue entre Dieu et son porte-parole, sans transition le texte présente une énumération des noms des chefs de familles et de leurs descendances respectives. Après ces détails, le dialogue reprend par le même échange que précédemment. « L'Éternel dit à Moïse: Je suis l'Éternel. Dis à Pharaon, roi d'Égypte, tout ce que je te dis. Et Moïse répondit en présence de l'Éternel: Voici, je n'ai pas la parole facile; comment Pharaon m'écouterait-il ? » Finalement, Moïse et Dieu donnent tous deux l’impression d’avoir quelques soucis mnésiques…
Dès le chapitre 4 de la Genèse, lorsque Caïn est chassé pour avoir tué Abel, nous apprenons qu’il existe des hommes (nommés « fils des hommes ») qui sont considérés différemment de la descendance d’Adam et Ève (qualifiés de « fils de Dieu »). Toujours dans ce premier livre, nous avions relevé au chapitre 21 que Dieu n’était pas pour tous les hommes. Ici, dans les propos qu’Il demande à Moïse de transmettre, il est patent que seul le peuple d’Israël est le peuple de Dieu. L’Éternel ne se soucie pas d’imposer son culte aux égyptiens, ni même de se faire connaitre d’eux (ou reconnaitre par eux).
Nous pouvons donc comprendre que la relation bilatérale entre Dieu et le peuple d’Israël est exclusive. L’Éternel est le Dieu des hébreux, c’est-à-dire leur Dieu unique. Les hébreux sont le peuple de Dieu… autrement dit, Israël est son seul peuple. Ceci laisse donc place à deux options distinctes, que naturellement le texte ne permet pas de choisir. Soit les égyptiens (et tous les non-hébreux) sont des hommes sans dieu, soit les autres hommes ont d’autres dieux.
Annotations