Exode 11 & 12 – La dixième plaie et la sortie d’Égypte

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Pour clôturer en apothéose son entreprise de libération du peuple d’Israël, Dieu choisit de marquer durablement les esprits. L’objectif divin de la dixième et dernière plaie, consiste à faire mourir le premier-né de chaque famille égyptienne. Ce châtiment concernera également les animaux. Il n’est pas spécifiquement précisé s’il s’agit des premiers-nés mâles ou si cette mesure est mixte (nous reviendrons ultérieurement sur ce point). Concernant les bêtes des égyptiens, il faut rappeler qu’elles ont toutes été tuées lors de la cinquième plaie. Nous avions proposé qu’elles aient implicitement été ressuscitées à l’issue de cet épisode, puisqu’elles étaient ensuite atteintes de furoncles générant des ulcères à l’occasion de la sixième plaie. Définitivement maltraités par Dieu, les animaux des égyptiens qui n’avaient pas été protégés, étaient morts sous les chutes massives de grêle (ou brûlés par le feu mêlé à la grêle), lors de la septième plaie (voir le chapitre précédent).

Enfin, après le génocide des premiers-nés et pour que la mesure soit complète, (ainsi que Dieu l’avait précédemment prévu) les hébreux devront « demander » des vases d’argent et d’or à leurs voisins égyptiens. Dans le troisième chapitre de l’Exode, (voir Exode 3 à 4 ½) l’Éternel annonçait sans ambages ; « […] quand vous partirez, vous ne partirez point à vide. […] Et vous dépouillerez les Égyptiens. »

Mais avant qu’Il ne mette en œuvre son réjouissant programme, l’Éternel demande à Moïse et Aaron de transmettre au peuple d’Israël une série de rituels détaillés à observer scrupuleusement. Le dixième jour du mois en cours, il faudra que chaque famille se procure un agneau mâle, sans défaut et âgé d’un an (éventuellement un chevreau). Le soir du quatorzième jour, les hébreux devront partager en famille l’animal rôti au feu avec la tête et les jambes à l’intérieur (ce qui donne un agneau farci à l’agneau). Le sang de l’animal devra être badigeonné sur les linteaux et les montants des portes de chaque habitation où ce repas sera consommé (les maisons des hébreux donc). Le sang servira de signe distinctif afin que les habitants des maisons ainsi marquées ne soient pas frappés par la dixième plaie.

L’animal rôti sera mangé avec des pains sans levain et des herbes amères. De manière impérative, ce repas devra être ingurgité rapidement par des convives prêts à partir : « Quand vous le mangerez, vous aurez vos reins ceints, vos souliers aux pieds, et votre bâton à la main; et vous le mangerez à la hâte. » Idéalement, ce repas sera entièrement consommé. Dans le cas contraire, les restes devront être brûlés le lendemain matin. Ce rituel élaboré et édicté par Dieu, est destiné à être répété chaque année à la même période, en souvenir de la libération de son peuple. La consommation de l’agneau sera complétée par une interdiction totale de mettre du levain dans les pains entre le quatorzième et le vingt-et-unième jour du mois. La détention elle-même de levain dans la maison sur la semaine semble proscrite et quiconque mangera du pain levé sera exclu de l’assemblée d’Israël. Également, le premier et le dernier jour de cette semaine seront fériés « On ne fera aucun travail ces jours-là; vous pourrez seulement préparer la nourriture de chaque personne. » Dieu nomme l’ensemble de ce processus « la Pâque de l'Éternel. » Cette profusion de détails (il y en aura encore davantage par la suite) nous indique que Dieu apprécie les fêtes en son honneur, mais désapprouve qu’elles soient spontanées.

Ainsi que l’Éternel lui a demandé, Moïse s’empresse de transmettre les consignes divines aux hébreux. Dans l’ancien testament, il est fréquent que des éléments soient répétés plusieurs fois, sans se soucier que la narration puisse s’en trouver maladroitement alourdie. C’est le cas dans cette partie. L’auteur (ou les auteurs / traducteurs) aurait pu se contenter d’indiquer que Moïse retransmettait les paroles de l’Éternel au peuple d’Israël. Mais paradoxalement, l’auteur donne ici l’impression que Moïse communique des recommandations lacunaires et ajoute certains éléments qui n’apparaissaient pas dans les consignes originales. « Moïse appela tous les anciens d'Israël, et leur dit : Allez prendre du bétail pour vos familles, et immolez la Pâque. / Vous prendrez ensuite un bouquet d'hysope, vous le tremperez dans le sang qui sera dans le bassin, et vous toucherez le linteau et les deux poteaux de la porte avec le sang qui sera dans le bassin. Nul de vous ne sortira de sa maison jusqu'au matin. » Moïse ne précise pas qu’il faut sacrifier un agneau, n’indique pas les recommandations liées à la cuisson ou la consommation et omet de communiquer les interdits relatifs au levain. À l’inverse, il ajoute la consigne d’utiliser spécifiquement de l’hysope (une plante vivace) pour appliquer le sang de l’animal sacrifié sur le linteau ou l’interdiction de sortir durant la nuit, qui ne font pas partie des informations initiales. Aussi peu claires qu’aient été les directives de Moïse, chacun dût trouver que c’était un bon plan et ce qui fût dit fût fait ; « les enfants d'Israël s'en allèrent, et firent ce que l'Éternel avait ordonné à Moïse et à Aaron; ils firent ainsi. »

À la date annoncée, Dieu mit en œuvre son funeste projet ; « Au milieu de la nuit, l'Éternel frappa tous les premiers-nés dans le pays d'Égypte, depuis le premier-né de Pharaon assis sur son trône, jusqu'au premier-né du captif dans sa prison, et jusqu'à tous les premiers-nés des animaux. / Pharaon se leva de nuit, lui et tous ses serviteurs, et tous les Égyptiens; et il y eut de grands cris en Égypte, car il n'y avait point de maison où il n'y eût un mort.» Il faut ici comprendre que les populations hébreue et égyptienne sont chacune très homogènes. Aucun hébreu n’a donné le tuyau du sang d’agneau à ses voisins égyptiens (pas très sympas). Parallèlement, aucun égyptien n’a été interloqué de constater que les enfants d’Israël se sont tous mis en tête de repeindre leurs portes en rouge la même journée (pas très malins).

Pharaon fait alors appeler Moïse et Aaron au milieu de la nuit (Moïse avait pourtant précisé qu’il ne fallait pas sortir de chez soi avant l’aube). Il leur demande de faire quitter l’Égypte à l’ensemble des hébreux. À l’image de leur monarque, les égyptiens, choqués autant qu’effrayés, pressent le peuple d’Israël à partir « [ils] avaient hâte de le renvoyer du pays, car ils disaient: Nous périrons tous. » Les hébreux se mettent en route si rapidement, qu’ils emportent leur pâte (à pain) avant qu’elle ne soit levée (manifestement, cela faisait partie du plan de Dieu). Dans leur empressement à partir, les hébreux n’oublient cependant pas de passer chez leurs voisins égyptiens pour s’y faire remettre tous les objets de valeurs. « Les enfants d'Israël partirent de Ramsès pour Succoth au nombre d'environ six cent mille hommes de pied, sans les enfants. / Une multitude de gens de toute espèce montèrent avec eux; ils avaient aussi des troupeaux considérables de brebis et de bœufs. » L’ensemble de l’opération est un franc succès. Les hébreux quittent l’Égypte à l’issue d’un séjour de quatre cent trente ans. Des « gens de toute espèce », (dont on ne sait absolument rien) leur emboitent le pas.

Bien entendu, Dieu n’en n’a pas encore tout à fait fini avec les égyptiens, (car Pharaon aura la bonne idée de poursuivre les hébreux dans le désert) mais la fin de ce douzième chapitre de l’Exode est l’occasion de faire un point sur ce que nous apprend le long épisode des dix plaies d’Égypte.

Nous avons vu que Dieu pousse Pharaon à s’endurcir d’un côté et utilise Moïse et Aaron de l’autre pour le punir, car Dieu est manipulateur (Exode 3 à 4 ½). Innocents ou coupables, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, Dieu ne s’embarrasse pas à chercher si certains égyptiens sont plus sympas que les autres, voire même si parmi eux, il s’en trouve qui auraient adoptés les croyances hébraïques. Les étrangers au peuple choisi sont tous aussi insignifiants les uns que les autres. Je l’ai déjà relevé, pour Dieu, les Hommes ne naissent pas égaux en droits (Genèse 6). Également, comme par le passé, la végétation et les animaux, poissons, batraciens, insectes, bétails… sont exterminés. Dieu répète les mêmes erreurs. Enfin, il est évident que Dieu aurait pu faire sortir les hébreux d’Égypte, quand bon lui semblait et par n’importe quelle méthode. La violence employée nous confirme qu’en position de force, Dieu ne négocie pas (Exode 3 à 4 ½), car Dieu aime faire étalage de sa puissance de frappe.

Concernant la construction du récit, plusieurs éléments méritent d’être relevés. D’abord sur la mise en œuvre cette dixième plaie, il est intéressant de noter que le responsable direct de la mort des premiers-nés n’est pas si évident à identifier. Spontanément, d’aucuns répondraient qu’il s’agit de Dieu lui-même. L’Éternel semble d’ailleurs s’auto-désigné ; « Cette nuit-là, je passerai dans le pays d'Égypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d'Égypte, depuis les hommes jusqu'aux animaux, et j'exercerai des jugements contre tous les dieux de l'Égypte. Je suis l'Éternel. »

Deux éléments paraissent toutefois aller à l’encontre de cette hypothèse. D’abord, puisque Dieu a réussi à faire périr les bêtes des égyptiens, tout en préservant celles des hébreux, lors de la cinquième plaie, Il n’a (à priori) pas besoin que les maisons des hébreux soient identifiées pour les épargner. Qui pourrait croire que l’Éternel capable de connaitre la nationalité du propriétaire d’un animal, ne saurait distinguer celle de l’occupant d’une maison ? Un autre indice tend à indiquer que Dieu n’a pas agi seul pour accomplir son entreprise macabre. C’est Moïse qui annonce ; « Quand l'Éternel passera pour frapper l'Égypte, et verra le sang sur le linteau et sur les deux poteaux, l'Éternel passera par-dessus la porte, et il ne permettra pas au destructeur d'entrer dans vos maisons pour frapper. » Le terme « destructeur » et la construction de la phrase laissent à penser que Dieu sollicite le concours d’une force qui lui est extérieure. Il est entendu que Dieu est indubitablement à la manœuvre, c’est Lui qui passe en Égypte, qui voit le sang et qui lâche ou non une force tierce sur les premiers-nés de la maisonnée. Mais cette force brute, aveugle n’est pas définie. Peut-être s’agit-il d’un ange quelconque, ou d’une autre créature… ? Il pourrait également s’agir d’un artifice de l’auteur, une manière de présenter l’action, qui vise à dissocier (autant que possible) Dieu, d’une tuerie de masse.

Ce douzième chapitre se conclut sur un complément de recommandations divines qui devront être associées aux festivités de la Pâque Juive (sans « s »). Il s’agit d’abord de distinguer qui doit, qui peut ou ne peut pas partager le repas de fête. Tous les enfants d’Israël doivent célébrer la Pâque. À l’inverse aucun étranger ne peut partager ce repas de fête. L’esclave acquis à prix d'argent, (puisque Dieu est toujours d’accord avec la pratique de l’esclavage) devra être préalablement circoncis avant de manger avec ses maîtres. Si un étranger est invité dans une famille hébreue, il pourra partager ce repas uniquement si lui et tous les mâles de sa famille sont circoncis. Plus simplement « […] aucun incirconcis n'en mangera. » Dieu précise enfin les modalités de la consommation du repas, en indiquant qu’il ne faut jamais manger à l’extérieur de la maison et qu’il est interdit de briser les os de l’animal. En ce qui concerne la nourriture, Dieu a des goûts plutôt arrêtés.

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