Chapitre 3 (1 sur 3)
Lorsque tu sors de la boutique avec tes nouveaux – et premiers – amis, tu constates que la rue a retrouvé sa sécurité ; le néon des enseignes éclabousse à nouveau le bitume de mille éclats. Les badauds sont revenus. La vie reprend son cours.
La tête tranchée du vampire tangue dans un sac en bandoulière rose déniché dans la réserve, tandis que tu marches vers la « supérette » du coin. Ces magasins n’ont rien à voir avec les supermarchés d’avant l’Effondrement. On y échange la plupart du temps de la nourriture, souvent volée, contre des reliques du passé. Parfois, les objets du présent font aussi l’affaire.
Le commerce en question se cantonne à une paire de caddies remplis de boites de conserves sur un trottoir, avec un gros bras à l’air patibulaire en guise de vendeur. Deux autres gros tas, aussi gracieux que des portes de prison, encadrent le premier gus. Sûrement les mecs du service après-vente.
Après le salut d’usage, tu commences à négocier :
— Tu me donnes quoi contre ça ?
Tu soulèves ton sac et le poses sur le caddie le plus proche.
Gueule d’amour hausse un sourcil amusé.
— Ça dépend, y a quoi dans ton joli sac rose ?
— Une tête de vampire, réponds-tu.
— Ouais, c’est ça ! Et moi, je me fais des lycans au p’tit-déj !
— Heureux pour toi. Et sinon, tes conserves, elles sont à vendre ou pas ? Mes amis et moi, on aimerait casser la croûte.
Aimable perd patience. Sa tronche de parpaing vous jette un regard assassin.
— Dégagez de ma vue, les guignols. J’ai pas de temps à perdre avec des petits malins dans votre genre.
Cette fois, c’est toi qui perds ton calme. Tu reprends ton sac, en sors le crâne défoncé et le jettes dans les bras du type. D’instinct, le mec le choppe comme si c’était un ballon. Son visage chafouin blêmit et ses deux potes du S.A.V, surpris, manquent de tomber à la renverse. Gerry éclate de rire, Tina et la gosse se marrent sous cape, et toi, tu restes stoïque. Pourtant la gueule du vendeur vaut son pesant d’or. Sûr.
— Ça te dérange si on embarque un de tes beaux caddies ? demandes-tu au type.
Question de pure rhétorique, Tina est déjà en train de piloter l’engin dans la rue.
Le vendeur bégaie un « non », la tête du vampire dégoulinante de sang dans ses paluches grassouillettes.
— Merci. Au plaisir de refaire affaire avec toi !
Les passants vous regardent partir, interloqués par la scène. Il faut les comprendre, ce n’est pas tous les jours qu’une tête de vampire sert de monnaie d’échange.
Indifférent au regard des autres, tu rejoins Tina, toujours aux commandes du chariot. La môme est là aussi ; la tuerie dans la boutique les a rapprochées, semble-t-il. Survivre à un buveur de sang est un bon moyen de resserrer les liens.
— On va s’arrêter au coin de la rue, loin des regards, annonces-tu à la blonde. Pour causer un peu.
Tina hoche distraitement la tête, peu émue par ton ordre. La montagne de bouffe dans son caddie capte davantage son attention.
Tu n’en reviens pas : tu proposes à des pékins qui t’étaient encore inconnus il y a une heure de papoter. C’est contraire à tes habitudes de vie, mais dès l’instant où la petite est venue te zieuter à l’échoppe de boissons, tes habitudes de vie ont été jetées aux chiottes. Jusqu’ici les autres ne t’intéressaient pas, maintenant tu as plein d’interrogations : où cet hurluberlu de Gerry a pu dégoter deux flingues et des munitions, des denrées plus que rares à l’heure actuelle ? Pourquoi le vampire semblait hypnotisé par la gamine ? Pourquoi lui a-t-il tendu la main, comme s’il attendait qu’elle lui donne quelque chose ? Et puis surtout, pourquoi la mioche s’est entichée de toi ? Ces questions méritaient des réponses claires et immédiates.
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