35 – THE WHO : Trick of the Light

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Durant ces quatre jours, je ne fais rien d’autre que de profiter de la salle de fitness, de nager, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur dans la piscine chauffée, à profiter tous les après-midis de soins du corps et du visage. De toute ma vie, je n’ai bénéficié d’autant de bienfaits et de douceurs, bien qu’il ait fallu que je trouve une explication au fait de montrer un corps couvert d’ecchymose et de bleus.

C’est vrai que je peux ressembler à une femme battue, aussi, bien que ce ne soit pas très glorieux, je leur ai dit la première chose qui m’est passée par la tête, la vérité. Que notre peau porte ces marques quand on fait ça dans une voiture, sur un véhicule, contre un mur ou à même le sol. En prononçant ces mots, j’ai aussi pris conscience que, ça aussi, je ne le voyais plus. Ce ne sont pas des stigmates guerriers, mais ceux des profondeurs de l’oubli dans lequel je me suis perdue. Je ne les ai pas dégoûtés, bien au contraire, ce qui m’a aussi fait beaucoup de bien.

Nous savons tous à quoi sert l’argent, seulement, je n’avais jamais réfléchi depuis que j’ai commencé à me prostituer de ce que je pourrais faire de cet argent. Si je l’ai fait tout d’abord par « nécessité », bien qu’initialement pour les besoins du service comme on le dit, je ne me suis plus jamais posée cette question.

Je pense que beaucoup me jetterait des phrases comme « bien mal acquis ne profite jamais », mais qui sont ceux qui pourraient me juger ? Tout le monde en fait, ces messieurs qui s’érigent en censeurs alors que la bosse de leur pantalon dit tout autre chose. Mais aussi ces dames dont beaucoup brillent par leur hypocrisie plutôt que par leur sincérité.

Elles devraient plutôt se demander pourquoi leurs hommes, pourquoi leurs maris viennent nous voir, mais c’est tellement plus facile de reprocher aux autres plutôt que de faire sa propre introspection. Si vous vous demandez pourquoi ces messieurs vont chercher ailleurs ce que leurs épouses ou compagnes ne veulent pas leur donner, c’est à ces femmes et ces hommes qu’il faut poser la question, pas à moi.

Quant à celles qui, se l’avouant ou non, ont ce fantasme, en rêvent parfois la nuit, viennent se poser les dilemmes de ce qui est interdit au travers de sentiments contradictoires :

- L’excitation / la culpabilité,

- S’affranchir / la honte,

- L’aventure / l’embarras,

- La liberté / le regret,

- La satisfaction / la colère,

- L’argent / le dégoût,

- La validation / l’humiliation

De plus, suivant la mire que l’on adopte, la frontière peut sembler particulièrement ténue seulement parce qu’on dénomme cela autrement. Vous connaissez ces phrases, celles que nous pensons tout fort, que nous nous disons entre nous. Si vous savez, celle du gars qui se dit qu’après tout ce qu’il a payé pour sortir cette nana, c’est normal qu’elle couche, et inversement. Doit-on parler du « devoir conjugal », de la femme au foyer… Les exemples sont donc nombreux, ou pas, suivant le prisme adopté par ceux qui regardent.

C’est surprenant les pensées que l’on peut avoir dans le bouillonnement d’un jacuzzi, et donc qui peut dire si c’est bien ou mal ? Après une longue réflexion, je n’ai pas trouvé de réponse unique, cela excluant bien évidemment le réseau et la coercition, seulement qu’il ne faut pas se mentir et assumer, même s’il faut se justifier de quelque chose, surtout à soi-même, pour revenir le lendemain.

Je n’érige pas cela en dogme, ça n’appartient qu’à moi. Aussi, pour en revenir à l’argent, je l’ai toujours envisagé comme un moyen, peut-être parce que j’ai eu la chance de ne jamais en manquer. Cependant, je ne le trouve pas « sale », mais si j’étais dans l’obligation de le qualifier, je dirais simplement, « chèrement gagné ». C’est pour cela que je n’en ai pas honte, moins encore à le dépenser.

Si mon corps pense à ma place durant les séances de soins et de bien-être dont je profite, la natation me permet de me poser de nombreuses questions, d’y trouver parfois des réponses. L’une d’elle m’a occupé un moment sans que je puisse réellement trouver l’accroche, par quel bout tirer sur la pelote afin de la dérouler.

C’est finalement un homme, certainement très intéressé par la femme seule que j’étais, qui m’a fourni des éléments quant à viol et prostitution. Tout tourne en fait autour de la notion de consentement, puisque la définition se résume à tout acte de pénétration sexuelle commis sans assentiment, et si celui-ci est illimité ? La plupart du temps, il se restreint à ce qui a été convenu.

Cependant la relation est forcément biaisée et altère le pouvoir décisionnel, « dans une relation sexuelle tarifée, il y a un dominant et un dominé, celui qui est payé n’est pas acteur de ce qui se passe. Il n’était même pas question d’envisager de lui dire non. On s’efforce alors de s’oublier. On attend que ça se passe ». (1)

Seulement, dans la pensée collective, la prostitution et le viol sont deux notions antinomiques, la prostituée est par essence « volontaire ». « Il y a peut-être une présomption de consentement lorsqu’il s’agit d’une femme prostituée. Une présomption que l’on retrouvait aussi chez la femme mariée, jusqu’à ce que le viol conjugal soit reconnu ». A cela, vient s’ajouter le fait de se dire que parce qu’on est une travailleuse du sexe il n’y a pas de légitimité à appeler cela un viol.

Il en a terminé en ajoutant un concept bien connu, un homme qui a de nombreuses conquêtes est un don Juan, une femme qui collectionne les hommes est considérée comme une salope ou comme une pute. La prostituée se retrouve exactement dans la même situation.

J’ai échangé un moment avec cet homme, de tout de rien, de la neige et du mauvais temps, de Bob Morane aussi. S’il attendait un remerciement à l’horizontal, il n’en a rien montré, ou bien est-ce moi qui avait des préjugés sur ces intentions. Cependant, j’en suis restée presque à la même conclusion, Antoine n’avait, dans mes souvenirs, jamais parlé de lui et j’avais accepté le deal. Seulement ce que je faisais mien désormais, ce n’était pas une fin de non-recevoir morale, juridique ou un point à la ligne, mais ce sentiment, le mien, mon vécu, celui de l’avoir été, violée.

(1) https://www.slate.fr/story/98119/carlton-prostitution-consentement-viol

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