" Fanny Guidez, vous êtes un échec."

Combien de fois on lui avait craché ces mots à la gueule ?

Combien de fois ?

Elle avait perdu le compte.

A une époque, elle faisait des listes. Des listes de tout ce qu'elle était.

De tout ce qu'on disait d'elle.

Savez-vous le mot qui revenait le plus ?

Conne.

Des listes de " JE SUIS UNE CONNE", écrit bien proprement, de sa plus jolie écriture.

Des pages et des pages.

Elle a cessé de compter un jour.

Que faisait Fanny ?

Chaque année, au mois de juillet, elle rédigeait son testament.

Mais oui !

Un vrai testament !

Avec ses dernières volontés et tout.

Savez-vous pourquoi elle a cessé ?

Car les années passaient et que Fanny était toujours là...et que de toute façon, personne n'aurait suivi ses volontés, vu que tout le monde s'en foutait.

Fanny...

Qui s'intéressait à elle ?

Son connard de frère ?

Il a commencé à se sentir concerné le jour où elle a fui le domicile familial...mais ce fut pour la mettre sous tutelle.

Ce fut le moment où Fanny commença à peu à peu à disparaître.

Vivre dans la rue signifiait perdre de sa substance.

C'était amusant, quand on y pensait.

On n'existe plus quand on est dans la rue.

Les gens passent et ne vous voient pas.

Le pire qui est arrivé à Fanny ?

A part son viol, bien entendu.

Ce fut le jour où elle comprit qu'elle était devenue transparente.

Fanny ne mendiait pas, mais parfois...

Parfois la faim était la plus forte...

Parfois, elle venait à la rencontre de cette espèce étrange qu'étaient les gens normaux.

Alors, elle essayait d'entrer en communication avec eux.

Cherchant leurs yeux.

" Juste une pièce, un ticket repas, un café chaud, un peu d'argent, un sourire..., une reconnaissance ?"

Mais on se détournait, on balbutiait des excuses bidons, on l'insultait.

Un jour, on la brisa.

Elle parlait à une femme de ses soucis et quémandait poliment un peu d'argent.

La femme a dit qu'elle n'avait pas d'argent.

Et là, tout à coup, ses yeux se sont levés et ont regardé au-dessus de Fanny.

Comme si Fanny n'existait pas.

Elle était rayée du monde.

Elle s'est sentie con.

Elle est partie marcher après cela et a accepté ce qu'elle s'était refusée à faire.

Fouiller dans les poubelles.

Puisqu'elle n'existait pas, à quoi bon faire semblant ?

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" Bonjour, je suis Fanny Guidez, je veux me rendre utile."

La vieille femme préposée à l'accueil de l'association la regarda avec bienveillance.

" Bien entendu, que pensez-vous pouvoir faire, madame ?

- Tout."

Cela fit rire la femme qui secoua la tête, gentiment.

" On ne peut pas tout faire, madame."

Ce fut au tour de Fanny de secouer la tête en souriant :

" Alors je peux témoigner et soutenir."

Le sourire devint plus incertain.

" Témoigner de quoi ?

- De ce que j'ai vécu. Mais je voudrais d'abord me rendre utile."