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Il descendit les dernières marches et posa la main sur la poignée. Il savait que lorsqu’il aurait ouvert cette porte, tout basculerait de nouveau, il serait propulsé à des centaines de milliers de kilomètres-heure dans une autre dimension. Un univers que le commun ne soupçonnait pas. Un univers qui était son quotidien. Mais là-haut dans les étages tout paraissait… Administratif… Distant… Conceptuel. Ce n’était que lorsqu’il descendait dans ces bas-fonds qu’il revenait à la réalité, au pourquoi il avait choisi cette voie professionnelle.

  Il n’avait jeté qu’un coup d’œil à la masse dans la cellule. Machinalement, comme un réflexe. Rien de volontaire. Un peu comme si on avait dit à un enfant de ne pas regarder en bas du pont et qui, de par le fait, aurait baissé la tête. Un simple coup d’oeil d’un centième de nanoseconde, et ç’avait été trop. La créature le regardait étrangement. Ses yeux blancs semblaient ne pas le voir et pourtant il sentait toute la morsure de son âme dans son esprit. Il sentait toute la malveillance, toute la souffrance qu’elle voulait lui infliger. Et pourtant ses yeux, enfin… Là où aurait dû être ses yeux, ces deux globes semblaient vides. Comme aveugles.

  Il s’arracha au prix d’un effort surhumain, que seul un membre de l’organisation, à son niveau, était capable de faire après des années d’entraînement, il s’arracha à son influence mentale. Il se souvenait avoir déjà vu des créature de ce genre dans des jeux vidéo… Neverwinter Nights ou Eye Of The Beholder… On les appelait des Flagelleurs Mentaux… Dans les jeux ils ressemblaient à des espèces de moines… A tête… De… Poulpes… Mais en réalité… En fait la chose qu’il avait en face de lui était indescriptible. Et bien plus dangereuse. L’effort qu’il avait du fournir pour s’extirper de son emprise était éprouvante. Il se sentait vidé comme après une apnée de dix minutes, ou comme si on l’avait ramené à la vie avec une seringue d’adré. Il se souvint que la créature qu’il avait en face de lui était droguée. Avec l’équivalent de ce qui aurait provoquer un arrêt cardiaque à tout un troupeau d’éléphants qui chargerait.

  Il s’éloigna de la cage et poursuivit son avancée dans le couloir. Quelques cages plus loin, il la trouva... Celle qu’il venait voir régulièrement lorsqu’il avait besoin de réfléchir…. Extérieurement on aurait dit une femme… Une belle femme… Même si la beauté est un concept subjectif, celle-ci aurait mis d’accords tous les hommes, les femmes, les oiseaux, toute créature vivante sur Terre. Extérieurement. Intérieurement cette créature avait le don de vous posséder, de lire vos plus secrètes pensées. De vous meurtrir en sondant vos souvenirs les plus refoulés et en les faisant remonter à la surface. Et, bizarrement, c’était pour cette raison qu’il venait la voir.

  Dans ce sous-sol, sur des kilomètres à la ronde, des cellules s’accumulaient recelant en leur sein des créatures démoniaques toutes plus monstrueuses et maléfiques les unes que les autres. Toutes soumises à une sorte de tranquillisant maison afin qu’elles soient partiellement maîtrisables. Pourquoi ne les avait-on pas abattues simplement ? Il ne l’avait jamais compris. Si des agents avaient eu la force et l’armement nécessaire pour les capturer, alors le même armement aurait pu en venir à bout tout de suite. Mais non, Ils voulaient à tout prix les observer, les cataloguer, les manipuler génétiquement, les disséquer, les reproduire… Pourtant… Une petite grenade dans tout l’étage et tout aurait été réglé en quelques secondes… Une grenade ? Il pouffa de rire à cette idée. Si seulement…

  S’il les détestait tant, il n’y avait aucune logique à venir leur rendre visite. Pour se remotiver ? Non. Se motiver c’était pour les imbéciles qui ne comprenaient pas le sens de leurs actions, se motiver c’était bon pour ceux qui arrivaient ici sans avoir la foi, la vocation. La motivation on en a besoin quand on a été alcoolique et que l’on vient de replonger parce que votre femme vous a quitté. Non. S’il venait ici, c’était parce que l’univers est un tout et qu’il avait besoin de le comprendre et de l’expérimenter. Qu’est-ce que le Bien sans comparaison au Mal ? Qu’est-ce que le Mal sans repère possible à un quelconque Bien ? Comment juger Mal une lapidation si dans une culture elle est admise comme juste ? Les repères sont ce que nous en faisons. Ils n’existent pas en soi. «Ne croisez pas les effluves ! Ce serait mal ! Le Bien le Mal c’est un peu flou pour moi tout ça ! » Veckmann avait raison. Pour lui aussi c’était un peu flou.

  La Déesse Empoisonnée, c’était comme cela qu’il l’avait surnommée, était son Mal nécessaire. Il avait besoin d’elle pour trouver ses repères de Bien. Il venait la voir pour qu’elle sonde son esprit et fasse ressurgir ses pensées les plus profondes. Les plus noires ? Pas forcément. Il s’agissait de pensées refoulées, oubliées, submergées par des tonnes de paperasses administratives, submergées par des soucis personnels… Et sa déesse savait retrouver ces souvenirs et les faire ressurgir afin de les exposer à ses yeux. Ainsi il pourrait les observer sous toutes les coutures, les analyser, les disséquer… Et qui sait, les envisager sous un jour nouveau afin de trouver une solution.

  Résolument il entra dans la cellule.

  - Bonjour Mon Coeur. Que veux-tu aujourd’hui ? Ou plutôt… Qui veux-tu aujourd’hui ? Je peux être celle que tu désires. Ta femme… (Elle se métamorphosa sous ses yeux en une seconde.) Ta secrétaire… (Une petite femme rondelette prit sa place immédiatement.) Non… Je sais… Ta préférée… (Scarlett Johansson remplaça en un clin d’oeil l’illusion de sa secrétaire.)

  Il l’observa longuement. Il s’était toujours demandé qu’elle était sa forme réelle. Certes elle ressemblait à une femme, mais il savait aussi que tout n’était qu’illusion auprès d’elle. Elle captait les pensées des gens et modifiait son apparence en conséquence, avant même qu’on n’aperçoive sa vraie forme. Un peu comme… Comment s’appelaient-ils déjà ? Dans Harry Potter… Les… Détraqueurs ? Non ce n’était pas ça… Un peu comme… Les Epouvantards ! Oui. Un peu comme un épouvantard. A cette différence qu’elle ne souhaitait pas vous effrayer mais vous séduire, comme les sirènes grecques. Il la connaissait, et la pratiquait depuis plusieurs années maintenant, mais chaque fois, il était surpris de la manière dont se déroulait les séances. Elle ne bougeait pas les lèvres. Il la regardait, il voyait ses lèvres bouger mais il savait très bien que ce n’était pas le cas. Ce n’était qu’une illusion. En fait, tout se passait dans sa tête. Il voyait la bouche bouger mais les sons résonnaient dans sa tête. De sa bouche ne sortait qu’une longue langue fourchue et bleuâtre.

  - Il suffit ! Contente-toi de me montrer ce que je ne veux pas voir.

  Il s’approcha d’elle et saisit sa tête dans ses mains. Il plongea ses yeux dans les siens et se sentit comme aspiré par un tourbillon d’images. Des images de lui petit sur une balançoire en train de tomber et de s’ouvrir le genoux, de lui adulte embauché par l’agence dans un bureau immensément long face à Eux, les dix qui le regardaient, l’interrogeaient, le scrutaient, le disséquaient comme l’une des créatures de ce sous-sol, ils étaient tous Leurs créatures en quelques sortes. Puis il vit différentes affaires qu’il avait eu à mener avant de tenir ce poste à responsabilité... Alors comme s’il n’avait rien trouvé de mieux pour manifester son consentement, il hurla.

  Une heure ? Un an ? Un siècle ? Il n’aurait pas su quoi choisir si on lui avait demandé combien de temps cela avait duré.

  Un rapide coup d'oeil à sa montre, quand il ressortit à l'air libre pour reprendre son hélicoptère et retourner à son bureau, lui montra qu'en réalité il ne s’était écoulé que dix minutes.

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