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Satanas regardait sans le voir le téléphone de son bureau. Il repensait à la visite chez la Déesse Empoisonnée. Les images qu’il avait eues en tête étaient on ne peut plus claires. Certes il savait qu’une partie était due à son inconscient et que l’autre était une interprétation de la Déesse à son avantage, elle ne lui montrait que les images qu’elle avait sélectionnées afin de le manipuler pour qu’il aille dans son sens à elle ; mais il y avait une chose qu’il ne pouvait lui enlever : elle voyait l’avenir. Ou plutôt les avenirs. Après avoir pioché dans ses inquiétudes, après avoir fouillé ses souvenirs et ses questionnements, après avoir fait rejaillir toutes ses déductions, elle élaborait un avenir le plus probable. Mais elle sélectionnait celui qui lui servirait le plus, mais même s’il pouvait en exister d’autres, celui qu’elle lui présentait était une hypothèse probable.
Les images se succédaient. Si on n’appliquait pas le plan initial, le monde subirait une catastrophe. Mais il était d’accord avec Summers, c’était aussi… Sortir la grosse Bertha pour écraser une mouche. Toutefois les images de la Déesse étaient claires et sans aucune interprétation possible. Pas de plan de base, la cible risquait de leur échapper et de déclencher un cataclysme dont elle n’aurait pas idée. Si ce n’est le monde, au moins la ville pourrait être rasée. Application du plan de base, la cible est démunie, elle est prise par surprise donc elle est maîtrisée. Pourtant… Le doute subsistait. Manifestement la cible voyait son don se transformait dans une orientation qu’ils n’auraient pas envisagé. En avait-elle conscience ? Le savait-elle ? Summers le savait-il lui aussi ? Certainement que non puisque Satanas avait fait appel à la Déesse pour le découvrir. Toutefois… L’insistance de Summers à annuler le projet avait de quoi soulever des interrogations. Et il connaissait suffisamment son agent pour savoir quelle implication il mettait dans un dossier. Le plus probable était que Summers se doutait de quelque chose mais n’avait pas encore de précision à ce sujet. Pourrait-il, alors, y avoir une autre solution ? Et s’il retournait voir la Déesse pour une autre interprétation ? Et s’il en parlait au Consortium ?
Il tendit la main vers le combiné et composa un numéro court. Au bout de quelques sonneries, une voix de femme lui répondit.
- Oui ?
La voix était sèche. Dure. Comme si Satanas n’appelait pas au bon moment. Mais c’était toujours ainsi. On n’appelait jamais au bon moment. Elle était agressive, violente. Comme une femme battue qui n’a que ses poings comme réflexe lorsqu’on lui dit bonjour. Il aurait parié que même en ayant envoyé des fleurs et des chocolats, tous les jours pendant une semaine, il aurait été accueilli avec cette volonté de lui arracher les membres un par un.
- C’est moi. Pourrais-je Leur parler ?
- Vous savez que non.
Oui il savait que non, la Pythie parlait au nom des autres. C’était toujours elle qu’il avait au téléphone quand il appelait. Il soupira.
- Pouvez-vous au moins Leur transmettre un message ?
- Si vous le souhaitez mais ils ne changeront pas d’avis.
- Comment… ? Mais… Vous ne savez même pas ce que je voulais Leur exposer !
- Vous oubliez à qui vous parlez ?
Il y eut un long silence des deux côtés. C’était toujours impressionnant. Pourtant ce n’était pas la première fois qu’il avait la Pythie au téléphone, cette espèce de télépathe avait le don de lire les pensées des gens. Et si ce n’était pas de la télépathie, elle devait au moins être médium. Satanas avait beau avoir l’habitude, il se faisait avoir comme un bleu à chaque fois.
La Pythie. Personne ne savait qui c’était sauf qu’il s’agissait d’une femme. Elle avait été choisie par le Consortium et leur servait de chien de garde. Tout à la fois la secrétaire et l’interlocutrice officielle. On ne Leur parlait jamais en direct mais par son intermédiaire. Et elle était dans le secret des Dieux. Capable de prendre des décisions en Leur nom sans les concerter, et capable de donner des ordres aux subalternes. Le reste du temps, elle passait les messages et rapporter les réponses. Rares étaient les occasions où le Consortium prenait le téléphone et adressait ses propres messages aux agents. Lorsque cela arrivait ce n’était pas bon signe, cela voulait dire qu’ils vous avaient à l’oeil et que vous deviez faire profil bas. Le reste du temps, la Pythie était là pour réguler le trafic.
- Vous pouvez au moins Leur faire passer mes objections.
- Vous êtes allé voir la prophétesse ? Vous voyez bien qu’il n’y aura aucune autre alternative.
- Mais la prophétesse ne montre que ce qui l’arrange ! Satanas avait monté le ton et son agacement était visible. Il en avait assez de cette perruche qui se croyait tout permis.
- Vous êtes allé voir la prophétesse. Vous voyez bien qu’il n’y a aucune alternative. C’est inutile d’insister : le plan doit être appliqué.
- Mais vous, que voyez-vous ? Puisque vous savez à quoi je pense, quel est votre avis ?
- Je ne suis pas une voyante. Je ne connais pas l’avenir. Seule la prophétesse peut vous donner l’avenir et elle vous l’a montré. Appliquez le plan.
Le combiné raccroché, Satanas accusa le coup. La conversation avait pris fin brutalement, il n’avait pas pu expliquer son point de vue ni une alternative possible. Il avait été remis à sa place et traité comme un vulgaire employé à qui on devait faire la morale. C’était tout à la fois frustrant, vexant et prévisible. Après tout, il avait bien remis à sa place les autres agents de la même manière et lui n’était pour le Consortium qu’un simple agent, remplaçable. Toujours était-il que secrétaire ou pas secrétaire, si la Pythie lui avait donné l’ordre de poursuivre le plan, il n’avait pas d’autre choix.
Il empoigna de nouveau son téléphone. Et appela l’extérieur.
A plusieurs centaines de kilomètres de là, aux abords d’une maison pavillonnaire dans une banlieue chic, loin de toute ville.
Une voiture s’arrête devant le portail et un homme en descend. Il est grand et imposant. Il connaît bien ce coin, il connaît bien cette maison. Il est venu régulièrement depuis plusieurs mois pour… Créer du lien. Il devait se faire connaître et accepter par cette maison. Enfin, le moment pour lequel il avait travaillé d’arrache-pied pendant tous ces mois venait d’arriver. C’était maintenant que tout allait se jouer pour que le plan se déroule comme prévu. D’un pas décidé il sonne à la porte. Quelques pas de mules que l’on traîne au sol lui répondent. Une grosse femme, petite, d’un blond indéfinissable ou d’un roux raté, avec des bigoudis, en robe de chambre lui ouvre. Quelques mots échangés et la marâtre se retourne vers le couloir.
- Jimmy ! Il y a quelqu’un qui veut te voir. Crie-t-elle d’une voix de harpie.
- Okay ! M'man. J’arrive.
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