19 -Five To One, The Doors
Il s’était écoulé trois semaines depuis qu’elle avait quitté le lycée en plein cours et elle craignait le regard des autres. Pas forcément celui de ses professeurs, mais des camarades. Elle ne voulait pas s’expliquer, se justifier. Elle n’avait pas peur des moqueries, Rachel était appréciée de tout le monde et peu de personnes se seraient moquées d’elle. Non elle aurait plutôt eu de la compassion comme cadeau de bienvenue. Elle aurait sans doute été submergée d’une vague pathétique étouffante, mais elle se sentait capable d’y faire face. Non ce qu’elle voulait à tout prix éviter c’était les questions. Pourquoi es-tu partie ? Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? C’est vrai ce que l’on raconte, que tu aurais été internée ? … Alors quand elle réintégra le lycée après trois longues semaines d’absence, sans donner aucune nouvelle, Rachel se fit encore plus petite que d’ordinaire. Pour sa reprise, sa mère avait griffonné un mot bidon sur une feuille prétextant une maladie rare nécessitant des examens complexes et que si les professeurs voulaient des précisions, ils n’avaient qu’à s’adresser à elle.
- Alors ? Tu n’as rien trouvé de mieux que de revenir maintenant ? En plein dans cette période ? Tina avait un sourire taquin sur les lèvres et regardait son amie la tête penchée sur le côté. Elle portait un chemisier blanc tout simple avec une mini jupe bleue jean virevoltant autour de ses longues jambes.
- Tina ? D’où sors-tu ?
Après s’être échangé un sourire les deux filles se tombèrent dans les bras. Cela faisait presque un mois qu’elles ne s’étaient pas vues et quelques larmes montèrent aux yeux de Rachel. Elle ne pleura pas pour autant. Elle se sentait juste… Emue.
Elles n’échangèrent pas un mot mais se regardèrent intensément. Tout était dit. Tina savait que Rachel avait avancé dans son introspection et qu’elle lui parlerait quand elle se sentirait prête. Et Rachel savait que Tina ne lui en voulait pas de l’avoir mise à l’écart et qu’elle serait toujours là pour la soutenir et l’aider.
- Et qu’est-ce qu’elle a de particulier cette période, demanda Rachel avec ironie, on a des journées entières en tête à tête avec Soeur Marielle ? On doit disséquer des grenouilles et des rats morts et essayer de les ranimer avec des électrodes devant une foule de villageois en furie armés de feu et de fourches ?
- Pire. On a cross en forêt !
- Oh non ! Tu veux dire que c’est maintenant, c’est la semaine du cross ? Mais ce n’est pas un repos que j’ai eu, je suis carrément tombée dans le coma ! Je suis restée absente combien de temps ? Ce n’était pas aussi proche quand je suis partie !
Les filles étaient catastrophées. Elles se laissèrent glisser le long de leur casier et s’assirent par terre. S’il y avait deux élèves, sur les centaines que comptait le lycée, qui se distinguaient par leurs performances physiques aussi catastrophiques que mémorables c’étaient bien Tina et Rachel. Il y avait trois choses que les filles détestaient dans la vie : les soldes un jour de classe, Soeur Marielle et le sport. Le pire de tout étant une séance de sport avec Soeur Marielle un jour de soldes. Toutes à leur désespoir elles ne faisaient plus attention à la bande de lycéens qui passaient et repassaient devant elles, les ignorant totalement, tels deux fantômes auxquels on ne croit plus.
Le vendredi du cross était arrivé beaucoup plus tôt que les filles ne l’avaient envisagé. Elles avaient pourtant tout essayer. Depuis la fièvre trafiquée avec un thermomètre et un radiateur, elles purent d’ailleurs constater à quel point cela fonctionnait mieux avec un thermomètre à mercure ; jusqu’aux larmes et aux déclamations tragiques faites à leurs mères. Cela dit, lorsqu’elles avaient essayé de lancer une incantation pour faire venir un démon afin qu’il emmène le prof de sport dans les limbes, elles étaient convaincues d’être sur la bonne piste.
Tout le collège déambulait dans les couloirs guidé par les professeurs respectifs de chaque classe. Les filles avaient suivi leur classe en se mettant le plus loin possible du rang, espérant ainsi pouvoir s’échapper dans les toilettes les plus proches. Devant, leur professeur principale, Soeur Marielle, avait revêtu en moins de cinq centièmes de seconde son scaphandre de combat : son insupportable queue de cheval, des lunettes de soleil, une casquette bleue des Lakers, et une tenue qu’elle voulait sans doute être la plus représentative de sa conception de la compétition : un corsaire noir sur ses grosses cuisses, surmontée d’un T-Shirt stretch rose fuschia qui mettait en valeur les bourrelets qui composaient son ventre. Armée d’un sifflet et d’un bloc-note avec le nom des élèves, elle se prépara à donner les dernières consignes.
- Bien ! C’est aujourd’hui que vous allez pouvoir mettre en pratique toutes les séances de courses et d’endurance que nous avons menées tout du long de l’année. Je compte sur vous… Pour me ramener un maximum de coupes, pour cela ne vous laissez pas aller à des états d’âmes de copinage ! Aujourd’hui vous n’avez aucun ami dans le collège, tous les coups sont permis ! Alors n’hésitez pas à les aiguiller sur une fausse piste ou dresser des racines sur leur passage ! Ramenez-moi ces coupes ! Est-ce que c’est clair pour Steve Austin et Forrest Gump dans le fond ?
Les filles relevèrent la tête. Soeur Marielle venait de les interpeller avec dans la voix la férocité d’un bookmaker qui vient de miser tout l’héritage familial sur un bourrin. Elles se regardèrent mutuellement avec dans le regard la même compréhension qu’une huître à qui on essayerait d’apprendre à marcher.
- Est-ce que c’est clair ?
- Oui, oui bien sûr ma sœur. Répondirent en choeur les deux filles avec une tentative de conviction totalement ratée.
La sœur ajusta sa casquette et nantie de son bloc-notes et son sifflet prit la direction de la forêt où devait se dérouler le cross, suivie de sa petite troupe au pas de course.
Les élèves se pressaient contre la rubalise du départ. Les filles étaient, comme d’autres, tassées au milieu d’un peloton de camarades agités, trépignants sur place, prêts à en découdre avec leurs voisins proches et ce au risque de faire couler le sang. Tina et Rachel les regardaient ne comprenant pas leur excitation, et malgré les trop nombreuses années précédentes le secret de cette énigme n’était toujours pas résolu. Ils étaient impatients de démarrer mais il fallait encore attendre.
- Je vous rappelle les consignes : vous démarrez au coup de sifflet puis vous suivrez le sentier balisé, si vous êtes perdus pas de panique nous avons disposé des fusées de phosphore tout du long. Vous tirez en l’air et on vient vous chercher. Des professeurs courront devant vous mais…
Le professeur de sport continua son laïus pendant dix bonnes minutes mais la majorité des élèves n’écoutait déjà plus. Tina et Rachel avaient décroché depuis longtemps et se contentaient de disserter sur Lucas. Puis le convoi démarra en trottinant. Elles suivirent le groupe sans se presser et ne mirent pas longtemps à être distancées. Quelques centaines de mètres plus loin, les encadrants les lâchèrent et le groupe commença à prendre de la vitesse, tandis que le chemin bifurquait dans les sous-bois. Les filles ne cherchèrent même pas à les rattraper et c’est finalement au pas qu’elles s’enfoncèrent dans la forêt.
Des rais de lumières passaient dans les frondaisons éclairant de-ci de-là des bosquets et des arbres de toutes natures. Ici un sapin, ici un chêne, ailleurs un bouleau ou un frêne. Dans un coin du buis, ailleurs des fougères, là des ronces… Les filles connaissaient par coeur la forêt, tous les ans le cross les emmenait aux mêmes endroits. Mais même si elles détestaient ce moment de l’année, la promenade en forêt éveillait chez elles deux comme un réveil d’émotions naturelles. Une espèce de symbiose avec les éléments. Rachel n’aurait su dire pour Tina, mais pour elle en tout cas, elle se sentait comme aspirée par les plantes qui l’environnaient. Comme si elle devenait elle-même un arbre, une fleur, un oiseau, l’air qu’elle respirait… C’était étrange mais elle avait le sentiment de pouvoir dire ce que les arbres ressentaient…
- Alors ? C’a l’air de bien avancer avec Monsieur L…
- Monsieur L ? Rachel regarda avec un air interrogatif sa comparse.
- Lucas tête d’âne !
- Oui… Et après ? On s’entend bien c’est tout. Et… Le pendentif c’est juste parce qu’il m’aime bien mais… Oui bon, on s’est embrassé mais de toute façon il n’y a rien eu de plus après, alors…
Elle avait dit cette dernière phrase avec un léger regret dans la voix. Tina l’entendit et jugea préférable de ne pas asticoter son amie là-dessus. Elle relança plus doucement.
- Tu regrettes ? Tu penses qu’il est passé à autre chose ?
- Non… Pas vraiment… Je pense plutôt qu’il a… Pris peur…
- Peur ? Mais peur de quoi ? Qu’est-ce que tu lui as fait ?
- Dit plutôt… Tout. Je lui ai tout dit…
- Tout… Tout ? Ou tout… Ce que tu ressentais pour lui ?
Il y avait comme une espèce d’appréhension dans sa voix de la réponse qu’elle allait entendre. Elle savait très bien ce que Rachel allait lui répondre et cela ne lui plairait pas du tout.
- Je lui ai dit tout… Oui je sais que ce n’est pas bien ! Ajouta-t-elle dans un soupir devant le visage offusqué de son amie. Mais… Comment te dire… J’ai senti… Que je pouvais tout lui dire. J’ai senti… Comme une connexion entre nous. Tu sais que je le peux alors fais moi confiance.
- Rachel, je ne dis pas que Lucas n’est pas sympa. Il est même très sympa. Mais c’est juste… Un gars. Même si tu as le béguin pour lui, tu rencontreras d’autres gars supers comme lui et tu l’oublieras et…
- Ca va ! On dirait ma mère. Enfin, je veux dire Sarah… Non. Je ne suis pas d’accord. Lucas est différent, dit-elle en penchant la tête comme perdue dans ses pensées. Il m’a écoutée et il m’a prise au sérieux. Je sais qu’il ne se moquera pas de moi. Et puis il m’a offert le pendentif. Si ce n’était pas sérieux il ne se serait pas donné cette peine.
- Et si ce bijou était destiné à une autre fille qui lui avait dit non peu de temps avant ? Il n’a sans doute pas pu se le faire rembourser et du coup comme tu étais dispo il pensait faire d’une pierre deux coups : ne pas perdre son investissement et sortir avec une jolie nana.
Le visage de Rachel se ferma. Non pas qu’elle désapprouvait Tina sur sa beauté, mais c’était surtout le fait que Tina s’acharnait à rabaisser Lucas, le garçon qu’elle aimait, au rang de vulgaire ado en pleine crise de puberté. Ce n’était pas possible, elle le savait. Elle l’avait senti. Lucas avait été honnête, sérieux, tendre… Amoureux avec elle. Il l’avait prise au sérieux et si ça n’avait pas été le cas, il ne se serait pas posé toutes les questions qu’elle avait pu lire dans ses pensées. Elle ferma les yeux quelques secondes et essaya de se détendre. Elle devait se détendre. Elle devait passer à autre chose. Tina ne lui voulait pas de mal après tout. Elle s’inquiétait pour elle. Elle posa une main sur l’arbre le plus proche et tenta d’entrer en connexion avec lui. Elle sentit comme une vague de chaleur passer dans tout son corps. Il lui semblait qu’elle pouvait sentir la sève couler au cœur de l’arbre. Elle sentit des pulsations. Une espèce d’onde lumineuse, comme un rayon de Soleil au zénith d’un été chaud, sur une plage de sable fin. Comme si toute la bonté du monde coulait au sein de l’arbre. Et Rachel se prit à sourire.
- Je suis désolée pour tout à l’heure. Je ne voulais pas te faire de la peine.
Tina avait dit cela dans un souffle sans la regarder, en jouant sans y penser vraiment avec la feuille de fougère qu’elle avait arrachée quelques minutes plus tôt au détour d’un carrefour de chemins. La feuille tournoyait entre ses doigts, et sans trop savoir pourquoi elle avait senti que c’était le bon moment pour lui faire ses excuses.
Les filles marchaient depuis une grosse demi-heure. Elles suivaient le chemin balisé et depuis la dispute, elles n’avaient pas dit un mot, chacune dans un coin de son âme pour penser à ce qu’il venait de se passer. Même quand Rachel avait cueilli quelques mûres, elle s’était contenté de tendre la main vers Tina sans lui adresser la parole, et en regardant ailleurs.
- Tout à l’heure tu as parlé de ta mère et tu t’es reprise en disant Sarah… Tu es vraiment obligée d’en arriver là ?
- Décidément tu sais y faire pour arranger des situations…
- Je me fais du souci c’est tout…
Tina baissa les yeux. Il fallut un temps de réflexion à Rachel pour apporter une réponse, comme si elle cherchait ses mots ou comme si elle essayait de remettre de l’ordre dans ses idées.
Sans y toucher, Tina avait mis le doigt sur un vrai problème.
- Ce n’est pas ça. C’est juste que… J’ai fait des recherches. Tu sais combien d’enfant sont accouchés sous X dans une année ? Plus de quatre cents. Autant dire que je n’ai aucune chance de retrouver ma mère. Quant à Sarah… La pauvre, je lui en ai fait voir de toutes les couleurs. Je n’ai pas trop envie d’en parler. Même à toi. En tout cas pas tout de suite. J’ai… Un peu trop honte tu sais ? Tu comprends ?
- Je suis désolée. Répéta-t-elle plus doucement en s’arrêtant à côté d’une petite butte. Pour le coup elle se mit à fixer son amie intensément. Rachel s’arrêta au bout de quelques pas de plus. Puis fit volte-face. Elle lui souriait en penchant la tête de côté. Puis elle tendit les bras vers Tina et se dirigea vers elle.
- Non. Ce n’est pas toi c’est m… Elle glissa soudainement et se mit à tomber. Comme si ses jambes ne lui répondaient plus.
Tina courut vers elle.
- Eh Rachel ! Que se passe-t-il ?
-R… Rien. Ce sont mes jambes. Elles ont… Cédé. Je dois avoir un coup de fatigue et… Oh ! Rachel poussa un cri. Elle eut soudainement très mal. Pas comme une crise de tétanie ou l’une de ces crises de crampes musculaires qu’elle avait après chaque séance de sport. Non. Elle avait mal dans son coeur, dans son ventre comme un coup de poignard. Non. Comme une vingtaine de coups de poignard. Elle avait tellement mal qu’elle en aurait pleuré. Elle ressentait comme des décharges électriques dans tout son corps. Comme si on s’était amusé à brancher son corps sur un générateur de trois mille volts et qu’on l’avait mis en marche. Elle ne savait pas pourquoi elle ressentait cela, mais elle savait que c’était le lieu qui en était la cause. C’était de ce lieu, de cet endroit-là, où elles venaient de s’arrêter, que partait toute cette souffrance. Elle essaya de se relever en s’appuyant au tronc mais à chaque fois qu’elle parvenait à se mettre debout ses jambes pliaient et elle retombait comme une masse. Un peu comme si elle était paraplégique et qu’elle essayait de se lever de son fauteuil pour mieux s’écrouler après. Alors elle se mit à ramper le long de la butte pour essayer de trouver une position plus solide ou pour seulement essayer de s’asseoir un peu. Mais ses jambes ne la portaient plus, ne répondaient plus, comme si elles avaient été écrasées. Et pendant ce temps, les poignards couraient toujours sur son corps. Rachel pensait qu’elle avait atteint le comble de la douleur quand soudain une autre vague, un tsunami incontrôlable, inattendu, comme une tempête qui vous frapperait en plein milieu de l’océan, une sorte de bombe atomique dans son crâne, dans son corps entier explosa. Elle hurla comme jamais, la souffrance la plus abominable qu’elle ait pu endurer jusques à présent la frappa d’un coup. C’était comme si toute la haine du monde s’était trouvée pile à cet endroit, dans son corps. Elle se débattait rageusement et hurlait tant qu’elle pouvait pour faire sortir la souffrance qu’elle endurait. Elle se cramponnait à Tina, la secouait, sans le vouloir, juste par la force de son adrénaline, elle la propulsa contre l’arbre derrière eux et Tina se griffa le visage contre l’écorce. Elle resta un moment sonnée contre l’arbre à regarder son amie s’agiter dans tous les sens tandis que les deux jambes étaient impassibles. Rachel n’en pouvait plus, il fallait qu’elle quitte cet endroit.
Tina était impuissante. Elle avait vu son amie tomber d’un coup à quelques mètres d’elle quelques secondes plus tôt, Et depuis elle gisait là, inerte, les yeux grands ouverts, sans aucune autre réaction. Elle avait essayé de la réveiller, de la secouer. Mais tout son corps semblait mou comme une gelée laissée trop longtemps au soleil. Ce qui effrayait le plus Tina c’était les yeux de Rachel, grands ouverts, la pupille complètement dilatée et aréactive. Rachel semblait fixer intensément le sommet des arbres mais elle ne cillait pas une seconde. Tina crut d’abord à un accident cérébral, les dernières semaines avaient vraiment été éprouvantes et elle imagina que son cerveau avait disjoncté. Une rupture d’anévrisme, lui souffla une petite voix dans sa tête. Tina s’était éloignée de quelques centimètres du corps de Rachel, elle ne voulait pas prendre le risque de la cogner ou de faire un geste maladroit qui aurait pu aggraver son état. Mais, bien qu’elle ait suivi de nombreuses heures de secourisme, elle décida qu’elle ne pouvait rester sans rien faire. Elle essaya plusieurs fois de la lever mais le corps de Rachel était plus proche du sac vide que du pantin. C’était comme si tous les os de son corps l’avaient quittée, les membres étaient flasques et amorphes et lorsque Tina tenta une ultime fois de lui prendre le bras, Rachel glissa entre ses doigts comme de l’eau que l’on ne peut retenir. Alors n’ayant plus aucune autre solution, Tina laissa son amie sur place et s’en alla.
Quand elle revint, elle tenait à bout de bras une fusée de phosphore.
- Je suis désolée de vous avoir faits venir pour rien, mais elle vient de se réveiller.
Tina expliquait aux secouristes ce par quoi Rachel était passée, mais qu’elle venait de reprendre ses esprits. Cette dernière se sentait groggy et avait la bouche pâteuse. Mais elle se sentait bien merci. Les deux secouristes constatèrent que sa tension était normale et qu’elle semblait orientée. Ils supposèrent une hypoglycémie due à l’effort mais mirent tout de même Rachel sur un brancard pour l’emmener aux urgences de secteur. Il lui fallait un scanner pour vérifier que tout allait bien. Rachel, trop épuisée par ce par quoi elle était passée, n’eut pas la force de résister, et malgré quelques protestations pour la forme, elle se laissa sangler sur le brancard. Tina ne fut pas autorisée à l’accompagner mais était déjà au téléphone en train de prévenir Sarah.
Sarah arriva aux urgences complètement paniquée. Elle sut cependant garder une certaine retenue devant la secrétaire de l’accueil pour qui la simple notion de sourire était parfaitement inconnue. Celle-ci lui indiqua le box où sa fille avait été installée et Sarah courut presque pour aller la voir.
Un jeune médecin, que Sarah malgré la situation inquiétante ne put s’empêcher de trouver séduisant, était à son chevet. Il échangeait quelques mots avec sa fille, ce que Sarah comprit comme étant quelques recommandations de bien déjeuner le matin surtout lors d’une journée sportive. Son intégrité de mère juive en jeu, elle était sur le point de répondre qu’elle n’était pas du genre à laisser sa fille sans manger, mais l’interne ne lui en laissa pas le temps.
- Madame Bernstein je suppose ? Je suis le docteur Ross. Je suis le titulaire des urgences pédiatriques. Rassurez-vous votre fille va bien. Nous lui avons fait passer un scanner, elle est orientée, il n’y a aucun signe de trauma, et aucune lésion cérébrale. Je pense que l’évanouissement qu’elle a eu est principalement dû à une hypoglycémie, les prises de sang l’ont démontré. Parfois, une hypo peut avoir des effets assez impressionnants, mais l’essentiel est qu’elle ne dure pas. Et puis nous sommes en plein mois de Mai : un petit déjeuner trop léger, la chaleur et l’effort… Une insolation doublée d’une hypo peut engendrer ce type de réaction. Nous l’avons réhydratée et dans une heure ou deux vous pourrez rentrer avec elle. Je repasserai la voir et une infirmière viendra vous faire remplir quelques formulaires. Je vous laisse. Et toi, dit-il en se tournant vers Rachel, tu te reposes !
- Oui Doug pas de problème !
- Doug ? Demanda Sarah, un sourire au coin des lèvres quand le médecin se fut éloigné. Tu appelles ce charmant docteur par son prénom ?
- Maman ! Je suis alitée parce que j’ai fait un malaise, on vient de te dire que j’ai passé un scanner et toi le seul truc que tu retiennes c’est que je l’ai appelé Doug ! Un médecin qui a trois fois mon âge !
- Pour quelqu’un qui a trois fois ton âge il s’en sort plutôt bien…
Sarah prit la main de sa fille et lui sourit. Des banalités pour ne pas montrer que l’on s’inquiétait. Elles étaient championnes pour cela toutes les deux. Elles se regardèrent tendrement, rassurées, dans quelques heures elles seraient à la maison.
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