La porte de l’appartement de Tobias Crow fut enfoncée d’un seul coup et plusieurs policiers en tenue anti-émeute entrèrent en trombe l’arme au poing.

-Crow montre toi !! Hurla la commissaire Teunié elle aussi présente sur les lieux.

Mais il n’y eut aucune réponse, en fait l’appartement était complètement vide. Tout avait disparu, les vêtements, le matériel de dessin, il ne restait que le matelas. Les policiers fouillèrent le logement, mais à part une étrange trappe sur laquelle un cercle ésotérique était gravé, ils ne trouvèrent aucune trace du suspect, le verdict était sans appel : Tobias Crow, s’était volatilisé.

-MERDE ! S’exclama la commissaire avant de lâcher une bonne dizaine de jurons supplémentaires.

La policière était folle de rage, pendant deux ans ce blanc-bec de Crow l’avait mené par le bout du nez, et pratiqué ses activités suspectes sans qu’elle ne puisse rien prouver. Et maintenant que la preuve flagrante qu’elle recherchait avait été montrée à presque tout le pays, sa proie s’était volatilisée.

Sans perdre une seconde de plus, Teunié confia la suite des opérations à son coéquipier avant de foncer en trombe au domicile des Crow. Dès le moment où elle avait commencé à enquêter sur Tobias, Valérie s’était doutée que les membres de sa famille étaient au courant de certaines choses le concernant et ses étranges pouvoirs en faisait surement partie.

La voiture de fonction de Valérie s’arrêta dans un crissement de roue, manquant de peu de percuter le mini-van garé devant la maison familiale des Crow. La commissaire Teunié, sentit tout à coup un étrange sentiment de compassion lui serrer le cœur : sur le perron et dans quasiment toute la rue plus d’une dizaine de journalistes s’étaient agglutinés dans l’espoir d’obtenir le scoop du siècle. Mais dans cette masse de « rapaces », comme la policière aimait les appeler, il y avait aussi plusieurs citoyens ordinaires qui venaient aussi bien manifester leur mécontentement que leur soutien vis-à-vis des Crow.

Poussant un soupir de consternation, Valérie Teunié se fraya un chemin dans la foule en brandissant son insigne et atteignit finalement la porte. Là l’une des reporter l’aborda avec son dictaphone et demanda :

-Commissaire Teunié, Tobias Crow fait il l’objet d’un mandat d’arrêt ?

-Jusqu’à la preuve du contraire, Tobias Crow n’est coupable d’aucun crime, il est un civil qui semble savoir beaucoup de choses sur les événements de Val-Insmmoth et d’autres affaires qui ont eu lieu dans la région, la police souhaite l’interroger à ce sujet. Je demande à toute personne l’ayant vu de le signaler et surtout de ne pas tenter de l’agresser ou de lui nuire sous quelque forme que ce soit, ce sera tout.

La commissaire Teunié avait veillé à mesurer ses propos, certes elle souhaitait retrouver Tobias, mais elle savait bien que légalement, il n’avait rien fait de répréhensible, sauf peut-être une entrave à la justice et encore elle devait le prouver. Toutefois comme elle venait de l’annoncer, tenter de l’appréhender ou de l’attaquer avec des moyens conventionnels relevait du suicide. Comme des milliers de personnes, elle avait visionné le reportage de Sarah Rochelle et savait donc de quoi le jeune homme était capable.

Ainsi ce fut sur ce discours, que la commissaire Valérie Teunié tourna le dos à la journaliste et sonna. La porte s’ouvrit presque aussitôt et la policière se retrouva face à Isabelle Crow, dont les yeux étaient rougis par les larmes. Devant cette apparition qui ne fit qu’accentuer le malaise qu’elle avait ressenti en arrivant, la policière sentait qu’elle n’échapperait pas aux reproches et se contenta de dire :

-J’entre d’abord, ou tu me gifles maintenant ?

Madame Crow choisit la seconde option et à peine la commissaire eut fini sa phrase qu’elle reçut un cinglant revers de la main en pleine figure. Elle ne sourcilla pas, elle savait qu’elle le méritait d’une certaine manière. Après tout, elle avait fait pression sur cette femme et sa famille dans l’espoir qu’ils trahissent Tobias.

-Tu peux rentrer à présent. Dit finalement Isabelle.

La policière ne se fit pas prier et franchit le seuil.

Isabelle invita la commissaire à la suivre dans le salon, Valérie suivit son hôtesse. En arrivant dans la pièce, Valérie se retrouva face à la famille Crow réunie au grand complet. Les fils et filles étaient tous là.

-Vous comptez m’accabler de reprocher pour vous venger ? Demanda-t-elle en soupirant.

-Je doute que cela aurait le moindre effet sur toi. Répondit sèchement Samuel

La policière ignora la remarque et prit la chaise qu’Isabelle lui offrait.

-J’irais droit au but, mesdames et messieurs : vous saviez ce dont Tobias était capable n’est-ce pas et depuis c’est deux dernières années durant il a été mêlé à plusieurs affaires de même nature que ce qui s’est passé à Val-Insmmoth il y a deux jours n’est-ce pas ?

Un lourd silence emplit la pièce à la suite du monologue de la policière. Finalement Isabelle dit sur un ton monocorde :

-Nous étions effectivement au courant pour les pouvoirs de notre fils commissaire, mais ce que visiblement vous n’avez toujours pas compris, c’est que c’est lui qui depuis deux ans maintenant met fin aux menaces que vos services ne peuvent pas stopper. Il a sauvé des dizaines, non des centaines de vies avec ce qu’il a fait à Val-Insmmoth, c’est un héros et vous vous le traitez comme un criminel parce que vous lui reprochez de ne pas vous avoir dit la vérité.

-Où est-il ? Répondit simplement Valérie.

-Il n’est plus à Val-Pins commissaire, si vous voulez lui parler, il faudra montrer patte blanche et lui prouver votre bonne foi. Ajouta Mathieu, frère aîné de Tobias.

Plus personne ne parla pendant plusieurs secondes, finalement la commissaire Teunié se leva et dit :

-Je n’ai plus de question à vous poser, je vous souhaite une bonne journée. Mais si vous croisez votre frère, dites-lui de me contacter.

Elle conclut en déposant sa carte sur sa chaise avant de quitter le domicile. Se faufilant à travers la foule, la policière regagna son véhicule et se rendit au Grand-Duc. Sur la route, elle médita sur son échange avec les Crow, elle n’arrivait pas à se faire une idée claire au sujet de Tobias. Elle devait admettre qu’Isabelle avait raison, elle reprochait surtout au jeune homme de l’avoir baladée pendant deux ans, mais surtout le fait que sans lui la situation à Val-Insmmoth aurait sans aucun doute dégénéré, les témoignages de nombreux rescapés confirmait que Tobias, ou « l’Esper » comme il aimait se faire appeler, avait sauvé beaucoup de vies à Val-Insmmoth.

En arrivant sur le parking du bistrot, la commissaire s’alluma une cigarette alors qu’elle se remémorait les derniers mots de Mathieu. Il avait dit que son frère avait quitté la ville, réfléchissant au sens de ces paroles, la policière tourna la tête vers les montagnes couvertes de conifères surplombant la région de LeGrasse.

***

Assis en tailleur sur un rocher, Tobias contemplait Val-Pins en contre bas. Vêtu d’une simple veste sans manche sur son torse nue, le jeune ne ressentait pourtant pas le froid, ses pouvoirs retrouvés lui offraient une protection bien plus efficace que n’importe quel manteau.

Assis en tailleur sur la roche, Tobias Crow méditait sur les derniers événements. Quelques minutes après l'envoi de son message, Marie était arrivée en trombe en jeep. La jeune femme l’avait ramené à Val-Pin à toute allure, tandis qu’il flottait dans un état de semi-conscience. Aussitôt arrivés, les deux jeunes gens s’étaient rendus au domicile familial, grâce à sa famille, il ne fallut pas plus d’une heure pour mettre le protocole « Ermite » en action.

Ce nom de code désignait une procédure que Tobias avait imaginé dans ses premiers mois d’activités. Elle devait être lancée dans le cas de figure où les pouvoirs du jeune homme venaient à être découverts, comme maintenant. Le protocole consistait alors à réunir toutes les affaires et dossiers de Tobias sur le surnaturel, pour que le jeune homme puisse alors disparaître à son tour dans le territoire sauvage autour de la ville jusqu’à ce que les choses se calment.

À présent caché dans un abri creusé dans la montagne elle-même, où toutes ses affaires étaient réunies, Tobias récupérait de ses combats à Val-Insmmoth. Il avait alors eu tout le temps de constater les marques que son dernier sortilège avait laissé sur son corps, au sens littéral du terme. Les tatouages qui avant n’apparaissaient que lorsqu’il déployait ses pouvoirs, étaient à présent visibles en permanence sur son torse et ses bras comme des marques faites au fer rouge. Son visage avait heureusement été épargné. Il se reposait à présent, se préparant pour les prochaines menaces occultes guettant dans les ombres.

La sensation d’une présence familière le tira de ses réflexions, c'était Marie qui s’approchait. Le jeune homme sentit son cœur s’accélérer, il s’était préparé et c’était le grand moment. Il sauta de son rocher et partit à la rencontre de la jeune femme, passant de branche en branche grâce à sa marche aérienne. Il ne mit pas longtemps à retrouver Marie. Le jeune homme s’arrêta sur la branche épaisse d’un pin centenaire, et sans crier gare il attira la jeune femme à lui par la magie, l’enveloppant d’un voile d’invisibilité. Avant même de pouvoir hurler de peur, Marie s’éleva dans les airs et se retrouva au niveau du jeune mystique.

Tobias l’enlaça aussitôt et inspira une grande coulée du succulent parfum de miel qui imprégnait les cheveux de Marie. Durant ces deux derniers jours et à Val-Insmmoth il avait réalisé à quel point cette odeur lui avait manqué.

-Qu’est-ce que tu as Tobias ? Demanda Marie déstabilisée.

Le jeune homme libéra la jeune femme et prit ses mains dans les siennes.

-Marie, durant ces deux derniers jours et après ce qu’il s’est passé à Val-Insmmoth, je me suis rendu compte que je tenais vraiment à toi. Tu es la seule à qui j’ai dévoilé mon secret en dehors de ma famille et celle qui m’a soutenu plus d’une fois durant ses deux dernières années. Alors je te le demande, je t’aime et veux-tu être ma petite amie ?

En guise de réponse Marie empoigna l’arrière de la nuque de Tobias, avant de l’attirer à elle pour l’embrasser langoureusement. Le jeune homme sentit le sang lui monter aux joues, au point qu’il devait être rouge comme un piment, c’était cette sensation qui avait monté en eux durant ce fameux été. Marie enserra le torse à moitié nu de ses jambes tandis qu’elle lui arrachait sa veste et qu’il faisait de même. La sombre et glaciale forêt s’emplit bientôt des gémissements de plaisir des deux amants, tandis que Tobias faisait monter sa compagne au septième ciel à même la branche du conifère. Qu’importait le froid et qu’importait les échardes de bois, seule la passion les animaient et le plus longtemps possible serait pour le mieux, ils en avaient bien le droit.

Fin