La peur ...
Le mois suivant, ce fut au tour de Françoise de mettre au monde l’enfant qu’elle portait.
Elle appréhendait la chose, sa mère lui ayant expliqué que sa venue au monde à elle, avait été très longue et avait motivé ses parents à ne pas faire de second enfant.
C’est donc avec résignation qu’elle entra à la maternité avec Grégory lorsque les contractions se firent régulières et rapprochées.
Elle mit 48 heures à mettre au monde son fils. Grégory la vit s’épuiser au fil des heures et tenta de la réconforter comme il le put.
Une fois l’enfant né, Françoise le reçut sur sa poitrine et eut un petit sourire. Grégory les regarda tous les deux et souffla,
— Il est enfin là. Notre petit Nathan est né Fran… Tu as réussi !
Il posa sa main sur celle de Françoise qui tenait leur enfant. Fatiguée, Françoise se tourna vers lui et lui murmura,
— On a fait ça à deux Greg… Dis, tu vas devoir couper le cordon, je crois. Tu suivras Nathan quand ils feront ses soins ? Je veux savoir combien il pèse… C’est un petit costaud, je crois.
Il lui caressa la joue, ses traits étaient tirés, elle ferma les yeux puis les rouvrit et plongea son regard dans celui de Grégory et lui souffla,
— Vas-y mon amour.
Grégory s’exécuta et suivit son fils après avoir coupé le cordon ombilical. Nathan fut pesé et mesuré ; tout était bon ; ses réflexes, ses réactions, il pesait 3k850 pour 51 cm.
Il sourit, Françoise avait raison, c’était un petit costaud.
Soudain, Grégory sentit qu’il y avait quelque chose de bizarre du côté de Françoise ; il eut du mal à bouger avec la chaise qui lui avait été prêtée pour pouvoir entrer dans la salle d’accouchement. Il interpella la sage-femme présente à côté de lui,
— Que se passe-t-il ? Je vois bien que quelque chose ne va pas, dites-moi.
— Oh, je ne sais pas trop… Tenez, je vous donne votre fils et je vais me renseigner.
Elle lui mit Nathan dans les bras puis s’approcha des quatre personnes penchées sur Françoise. De loin, Grégory entendit des mots comme utérus, hémorragie, opération, urgence… La sage-femme le rejoignit et lui dit,
— Bon, Madame fait une hémorragie, elle doit être opérée en urgence. Je vous emmène dans le service où elle sera hospitalisée après.
Un peu interloqué, il se laissa conduire hors de la salle d’accouchement, récupéra sa chaise roulante et la sage-femme lui remit Nathan dans les bras avant de le conduire en unité de chirurgie obstétricale. Une fois dans l’unité, il entendit la sage-femme parler avec les infirmières ;
— Elle est en salle d’op pour le moment, la pauvre, c’est son premier… T’imagine si elle perd son utérus !
— Mince, c’est à ce point ? Elle a perdu combien ?
— À vue de nez, le gynéco a dit trois litres ou plus.
— Ah oui, grave… Elle risque de le perdre pour qu’ils puissent arrêter l’hémorragie… En espérant qu’il ne soit pas trop tard !
N’en pouvant plus, Grégory s’énerva et leur dit, sur un ton assez rude,
— Dites, ça vous ennuierait de m’indiquer où je peux m’installer pour attendre le retour de ma femme ? Je suis là avec un nouveau-né, puis-je vous demander de prévoir un biberon ou quelque chose ? Et surtout… Surtout, éviter de parler comme si je n’étais pas là ; je vous entends Mesdames… Françoise va survivre !
Il était hors de lui. L’une des infirmières le conduisit dans la chambre où serait ramenée Françoise puis envoya une autre collègue lui apporter le nécessaire pour Nathan, dont un biberon tout chaud.
Une fois seul, il regarda Nathan qui geignit dans ses bras.
— Alors toi, tu as aussi peur pour ta maman ?
Il soupira et continua en laissant couler des larmes sur ses joues,
— Moi, j’ai peur pour ta maman Nathan, j’ai peur qu’elle ne revienne pas, qu’elle ne puisse plus avoir d’autre bébé comme toi… Je m’en veux mon bébé…
Il colla son fils à son torse et le berça. Ce dernier commença à pleurer, ce qui sortit Grégory de ses pensées. Il se frotta les yeux, prit le biberon et nourrit son fils.
Nathan dévora le biberon ; il devait avoir faim ; Françoise n’avait pas pu manger depuis qu’elle était en travail… 48 heures, il devait effectivement être mort de faim.
Une fois repu, Nathan se laissa bercer avant de s’endormir. Grégory le déposa dans le petit lit que l’infirmière avait eu la gentillesse de mettre à son niveau. Il regarda son fils dormir puis mit sa sœur et les parents de Françoise au courant de la situation. Valentine allait venir, elle le lui avait dit au téléphone.
Grégory se tassa dans son fauteuil et pleura.
Il s’en voulait, il se reprochait de lui avoir fait un enfant… C’était de sa faute si elle en était là… Elle risquait sa vie, son utérus pour lui donner un enfant.
Valentine et Sébastien prirent la direction de Bruxelles juste après avoir déposé Alice chez sa grand-mère paternelle.
Une fois sur place, Valentine poussa la porte de la chambre où était son frère ; elle découvrit une chambre sans lit, plongée dans la pénombre. Elle chercha son frère et le trouva dans un coin, prostré.
— Greg !
Elle le rejoignit et le prit dans ses bras.
— Est-ce que tu as des nouvelles de Françoise ?
— Non, rien… Elle est toujours en salle d’opération… C’est mauvais signe, c’est ça ?
— Non, pas spécialement Greg… Il vaut mieux qu’ils prennent leur temps pour qu’elle n’ait pas trop de séquelles.
— Elle ne pourra plus avoir de bébé, Val, c’est de ma faute…
Grégory se perdit à nouveau dans ses sanglots, Valentine ferma les yeux, se mordit la lèvre puis secoua son frère en lui disant,
— Arrête Greg ! On n’en sait encore rien, reste positif, ton fils est là aussi, il a besoin de toi, il a besoin de son père !
Sébastien, qui s’était rapproché, lui massa les épaules et lui dit,
— Oui Greg, montre-nous ton fils.
Grégory se frotta les yeux et dit,
— Désolé, mais c’est tellement angoissant comme situation…
Il prit une grande respiration puis leur dit,
— Venez, il est là, dans le coin.
Valentine lui prit la main et tenta de le rassurer,
— Je sais que c’est angoissant Greg, mais nous sommes avec toi, frérot.
Arrivé à côté du petit lit, Grégory vit que son fils était réveillé.
— Eh bien, il ne disait rien, je pensais qu’il dormait ce petit bout.
Sébastien lui glissa,
— Je crois que ton fils te laissait exprimer ton chagrin Greg. Mais il a aussi besoin de son papa.
— Oui… Je sais…
Les parents de Françoise arrivèrent quelques minutes plus tard, exprimèrent eux aussi leur soutien à Grégory et ce dernier prit le temps de présenter son fils à ses visiteurs.
Un bon quart d’heure plus tard, il y eut du mouvement dans le couloir et la porte s’ouvrit ; Françoise fut de retour.
Elle était très pâle, aussi pâle que les draps blancs du lit d’hôpital dans lequel elle reposait. Elle était encore dans le cirage de l’anesthésie, mais était en vie.
L’infirmière qui accompagnait Françoise répondit aux questions de Grégory et de Valentine ; les chirurgiens avaient réussi à conserver son utérus, mais elle avait perdu beaucoup de sang. Ils apprirent qu’elle avait dû recevoir deux transfusions durant l’intervention et qu’il en faudrait peut-être encore une autre, en fonction de ses prochains résultats sanguins. Vu son anémie actuelle et les médicaments qu’elle allait devoir prendre, elle ne pourrait vraisemblablement pas allaiter son enfant. Dépitée, Valentine glissa,
— Dommage, elle se faisait une joie d’essayer l’allaitement maternel.
La mère Françoise trancha,
— Écoute, elle est en vie, entière… C’est tout ce qui m’importe.
En se tenant juste à côté du lit de sa compagne, Grégory dit tout bas,
— Oui, elle est de retour… Ma poulette est de retour.
Françoise réagit et se réveilla tout doucement. Valentine proposa de se balader un moment dans le couloir avec Nathan et Sébastien, pour ne pas être trop nombreux dans la chambre.
Une fois dans le couloir, elle glissa à Sébastien,
— Mais quelle journée, Seb… J’ai eu tellement peur pour Fran !
— Oui, c’était angoissant, mais tout finit bien. Je ne voudrais pas être à la place de ton frère ; si un truc pareil t’était arrivé, je ne sais pas comment j’aurais réagi.
— Tu aurais assuré, j’en suis sûre.
Il la prit par les épaules et lui glissa,
— Si tu le dis…
— En tout cas, Nathan est un petit costaud… Elle a dû le sentir passer ; moi qui me plaignais d’avoir bien senti Alice, il a, à vue de nez, un demi-kilo en plus, et puis ses cheveux, il en a plein… Quelle touffe ! Et bruns, comme Greg.
Pendant ce temps, Françoise ouvrit les yeux et tendit la main vers Grégory qui la lui prit et la porta à sa bouche pour y déposer un baiser. Elle sourit et soupira.
— Fran, comment te sens-tu ?
— Ça va Greg, fatiguée, douloureuse, mais ça va. Où est mon bébé ?
Sa mère la rassura,
— Valentine et Sébastien se baladent avec lui dans le couloir, ils vont bientôt revenir.
— Il est beau, hein ?! Vous l’avez vu ?
Françoise souriait en regardant ses parents.
— Oui, nous l’avons vu, Greg nous l’a présenté, tu l’as bien réussi Françoise, ton père et moi, sommes heureux ; qu’il soit né et que tu sois sortie de cette salle d’opération.
Sébastien et Valentine arrivèrent à ce moment-là, Françoise lnça, d’une petite voix,
— Oh, c’est toi qui as mon bébé, Val ! Laisse-moi le revoir… Je ne l’ai admiré que quelques instants avant de devoir filer en salle d’opération.
— Tiens, le voici.
Valentine lui déposa son fils dans les bras, elle vit Françoise dévorer son enfant des yeux et le toucher avidement. Françoise murmura à son adresse,
— Mon bébé, me revoilà, je ne te quitterai plus mon ange.
Plus haut, elle dit, pour tous,
— Moi, je trouve que c’est le plus beau de tous les petits garçons.
Petit à petit, les visiteurs rentrèrent chacun de leur côté. Sébastien proposa à Grégory de l’aider, le lendemain, afin d’aménager certaines petites choses pour faciliter la venue de Nathan chez eux en l’absence de Françoise qui devait rester hospitalisée pour le suivi post-opératoire.
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