_1, rencontre

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Vous savez, c'est marrant comme les gens peuvent être à la fois si différents et avoir des réactions si similaires...

Ce matin, ma mère Maggie est partie de chez moi. C'est une grande femme, ses cheveux gris lui arrivent jusqu'au menton. Elle a pris le train pour retourner à Toulouse, où elle habite avec mon père et ma soeur. Tous les week-ends, un membre de ma famille vient me rendre visite.

Il y a deux ans, j'ai sauté d'un pont. Malheureusement, un homme m'a vue et a appelé les pompiers. Je dois dire qu'ils ont été très rapides pour se rendre sur place. Quand ils m'ont sortie de l'eau, j'étais dans un piteux état. S'ils étaient arrivés ne serait-ce que trois minutes plus tard, je serais bien morte et n'aurais jamais écrit ces mots. Cela ne m'aurait pas dérangé. J'ai eu droit à un lavage d'estomac et je suis passée en zone cardiovasculaire. Mes proches pleuraient toutes les larmes de leur corps. Moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Une fois « remise sur pieds » comme disent les médecins, un psychologue a dû me suivre. Il ne m'a jamais servi à grand chose étant donné que je suis, depuis mes seize ans, incapable d'aligner deux mots corrects l'un après l'autre. Quoi qu'il en soit, je suis sûre d'une chose : la vie veut ma mort.

Alors, pendant que les médecins s'arrachaient les cheveux à me faire parler, ma famille me tournait le dos. Ils se faisaient tous plus distants et s'adressaient à moi comme on s'adresse à une gamine de quatre ans. Quoi de plus froissant que d'être rabaissée quand on a besoin d'être aidée et aimée ? Je ne me sentais plus à ma place, j'étais comme contrainte à tout. Sourire, parler, vivre. Ce qu'ils ne comprennaient pas, c'est qu'ils ne faisaient que m'enfoncer un peu plus dans la crainte de l'autre et de leurs attentes. J'ai fini par leur annoncer que je voulais emménager à Paris, personne ne s'y est opposé. C'était un an après le raté (que mes parents appellent à tort "l'incident").

Alors, voilà comment je me suis retrouvée coincée dans la capitale, obligée de vivre avec des proches qui s'efforçent de venir faire la nourrice chez moi tous les week-ends.

Comme tous les lundis après-midi, je sors de mon appartement pour me rendre à la librairie. Les livres, c'est mon langage à moi. Ca et l'écriture. En me plongeant ainsi dans les vies d'autres personnages, je parviens un instant à ne pas penser à la mienne et à tout le mal qui m'est arrivé. Je vis à travers eux, ils me sont indispensables. Pour me rendre à la boutique, il me faut traverser deux rues. Pour moi, c'est pire que de marcher sur un terrain miné. Éviter les regards, les gens, la foule, ne pas rester plantée au milieu du passage piéton et ne pas faire de crise d'angoisse ; c'est un défi à chaque fois mais je n'ai pas le choix. Il y a d'abord une suite sans fin d'immeubles que je rase, me cachant dans leur ombre. Sur le trottoir d'en face, je longe des épiceries et des supérettes dans lesquelles je n'ose jamais entrer. Je m'arrête pour reprendre mon souffle et calmer mon pouls dans le petit chemin qui rallie les deux rues. La foule est oppressante et j'ai la tête qui bourdonne. Puis j'arrive enfin à la librairie. La porte, en bois de chêne, émet un petit frottement qui me réconforte à chaque fois que je l'ouvre. Quand je la referme, le silence se fait. Le bruit des voitures et des gens qui hurlent sans cesse est étouffé dès que j'en passe le seuil. Je m'avance alors, presque confiante, vers mon rayon préféré. Je pourrais m'y diriger les yeux fermés. Un panneau sur le côté de l'allée indique « romans d'amour en tous genres ». Voilà mon paradis à moi, et moi seule.

Maëlle, la propriétaire du magasin, a l'habitude de me voir traîner dans le rayon jusqu'à la fermeture. À ce moment, j'achète un livre et ce cirque recommence la semaine suivante. Elle est vraiment gentille et compréhensive. Au début, elle m'accostait souvent pour savoir si j'avais besoin d'aide. Je me retrouvais, démunie, à ne pas pouvoir aligner un mot audible après l'autre. Elle a fini par comprendre et me laisse à présent tranquille. Maëlle est une femme forte dont les beaux cheveux roux sont toujours regroupés en queue de cheval. D'après les bribes de conversations que j'ai entendues par-ci par-là, elle a la cinquantaine et a élevé ses jumeaux après que son copain l'ait quitté. Elle était assez jeune quand elle a perdu un de ses fils. Il aurait été hospitalisé suite à une violente maladie. Elle a une photo de lui, un bambin avec un large sourire et des cheveux sombres qui doivent provenir du père. Son autre enfant est parti faire le tour du monde avec sa copine il y a quelques temps. Je le sais car elle affiche les cartes qu'il lui envoie sur le mur derrière son comptoir. A présent, on peut dire qu'elle dirige sa librairie comme une cheffe.

Je m'engouffre donc dans mon rayon et pars à la recherche de nouveautés. Le temps file à une vitesse impressionnante dans cette librairie ! Déjà, la fermeture s'annonce et je n'ai pas encore trouvé de livre à acheter. Je triture mon porte-monnaie et m'active. Si je n'en ramène pas avec moi, je serais complètement déboussolée. Là, il est trop tard, alors je prends un ouvrage au hasard et me dirige vers le comptoir. C'est alors que je sens une tape sur mon épaule. Je me retourne brusquement et me retrouve face à un jeune homme. Il me sourit gentiment et me tend ce qui semble être mon porte-monnaie. Je l'ai fait tomber ! Il me parle, mais je ne comprends pas. Je suis complètement paniquée.

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