_9, Evan

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Peut-être que je peux encore changer ? Me changer, changer les choses autour de moi ?

Il devait être là, à l'intérieur. Peut-être avec un bouquin dans les mains, ou en train de vérifier pour la énieme fois si je ne lui ai pas laissé de lettre. Peut-être a-t-il demandé à Maëlle si elle avait des nouvelles de moi. Si il faut, il est déjà parti. Mais en vérité, je ne peux rien en savoir tant que je rentre pas dans la librairie. La porte me semble plus lourde que d'habitude et les rayons sont pleins de monde. Quelque chose compresse ma poitrine, inspire, expire, lentement... Je me dirige naturellement vers mon rayon, il est bondé comme je ne l'avais jamais vu et je ne vois personne qui pourrait être Evan. Alors je commence à errer. Ca doit être ça, il est parti, je ne sais même pas pourquoi j'ai espéré. Puis là, je tombe sur un gros panneau " Documentaires spatiaux ( astronomie ) ". Je m'y engouffre et alors je le vois. Il est appuyé contre une étagère, le nez fourré dans un atlas. Je sens que c'est lui. Je n'avais pas fait attention à ce à quoi il ressemblait mais je le sens, je le sais. Il est encore temps pour moi de faire demi-tour, de déguerpir très vite, mais il relève la tête. Je croise alors son regard. Ses yeux sont d'un bleu océan, il me sourit puis s'approche. J'ai comme un tambour dans la poitrine qui résonne dans tout mon corps, j'ai l'impression que tout autour de moi va s'effondrer. Il s'arrête à quelques pas de moi.

- Salut Emilie, je suis content que tu sois venue.

Il me tend sa main. Je devrais la lui saisir, lui dire bonjour, faire quelque chose, mais je suis pétrifiée. Qu'est-ce que je fous là ? Je savais très bien que je n'en étais pas capable, ma soeur m'avait prévenu pourtant. C'est alors qu'un groupe de jeunes fait irruption dans l'allée. Je me léquéfie. Une fille salut Evan et lui fait la bise. Mais pourquoi gaspillerait-il son temps avec moi ? En plus elle est super canon ! J'étouffe. Il y a trop de bruit, de gens, je ne peux plus. Le passé se brouille avec le présent, les sons sont vagues, enchevétrés les uns dans les autres. Je n'ai rien à faire ici, je me sauve. Mes jambes me transportent par je ne sais quel miracle jusqu'à la sortie. J'ouvre la porte d'un coup et me retrouve dehors. De l'air. Je m'adosse contre un mur et reprends mon souffle. J'ai le coeur qui bat si fort que je m'étonne d'être la seule à l'entendre et je sens des gouttes perler sur ma nuque. Je me calme un peu.

- Ca va aller ?

Je n'ai entendu arriver personne, alors, surprise, je me tourne vivement et me retrouve face à Evan, plus proche que je ne l'imaginais. Je manque de m'écrouler mais il me rattrape. Une sorte de sirène emplie mes oreilles, mon estomac se contracte : une crise d'angoisse. Comme si c'était le moment ! Evan me soutient, il me parle, je ne l'entends pas tout de suite puis je comprends :

- Qu'est-ce qu'il faut que je fasse Emilie ?

Son visage est inquiet, son regard doux. J'y puise la force pour lui répondre :

- Je dois... m'assoire. Trop de bruit... de gens...

- Je connais un endroit parfait juste à côté.

Il m'emmène avec lui. Je vois flou, respire mal et ma tête est en feu. Il m'assoie. Déjà ? Je me blotis contre le mur et étends mes jambes. Je dois être sur une banquette. J'inspire, j'expire, compte jusquà trois, j'inspire, expire, compte jusqu'à quatre... Le monde se calme, petit à petit. La tempête passée, j'ouvre les yeux. C'est un petit restaurant cosy avec un grand bar. Il fait assez sombre et il n'y a personne. Je suis enroulée sur moi-même sur une banquette au tissu rouge bien rembourée. Une petite table me sépare d'Evan, assis sur une chaise qui paraît elle aussi très confortable. Il me regarde et me demande si je veux boire quelque chose, je lui fait non de la tête. Son regard n'est pas méchant mais il est insistant, un poids revient sur ma poitrine et je m'affaisse un peu plus dans le canapé. Peut-être qu'ainsi, je finirai par disparaître ? Il veut savoir si je me sens mieux, je lui fais signe que oui mais ma tête ne doit pas être très convaincante.

- Désolé, je n'aurais pas dû t'inviter un samedi, c'est toujours bondé. Je m'en veux, j'aurais dû faire plus attention.

Ce n'est pas à lui de s'occuper de moi. Tout le monde pense le contraire mais je peux le faire moi-même. D'un seul coup, ma voix se débloque. C'est pas possible, il doit avoir un pouvoir ou un truc comme ça pour que je lui parle...

- Ce n'est pas ta faute. Je suis bizarre, c'est tout. Ne perds pas de temps avec moi, retourne voir tes amis. Ils doivent t'attendre.

Evan rit doucement. Ces dents sont aussi blanches que dans les publicités de dentifrice et il à deux petites fossettes qui apparaissent.

- Ce ne sont pas vraiment des amis tu sais, et je ne pense perdre du temps avec toi. Sinon je ne t'aurais pas demandé de venir.

Sa voix grave et posée, est séduisante. Je mettrais ma main au feu qu'il est déjà sortit avec la fille de tout-à-l'heure. Il penche sa tête sur le côté avant de reprendre la parole :

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je hausse les épaules mais à son regard, je comprends que ça ne suffira pas. Je prends une grande inspiration puis me lance.

- Il y avait trop de monde, trop de bruits et ils chahutaient trop. Je ne supporte pas la foule, encore moins les regards. En plus, j'étais sur les nerfs. Je me suis engueulée avec ma soeur. Enfin, elle m'a engueulée. Moi j'ai pas réussi à parler, alors je suis partie. Et je sais déjà que je vais avoir du mal à rentrer chez moi.

- Pourquoi ?

Ma parole, il est vraiment intéressé.

- A cause de l'appréhension, de la peur de ce qu'elle peut penser, de la crainte qu'elle me dispute encore.

Il se tourne vers la fenêtre, songeur. J'en profite pour le regarder. Il paraît grand, ses cheveux noirs sont tout ébouriffés. Il a un grain de beauté, sur le coin de la lèvre, et des des sourcils épais.

- Pourquoi t'a-t-elle crié dessus ?

- Parce que je ne parle pas.

- Mais c'est complètement idiot ! Et pas du tout constructif. Comment veut-elle que tu lui parles si elle s'énerve ? C'est contre-productif !

- Bein va lui dire. Apparement, c'est moi la méchante. Je peux pas me plaindre parce que c'est moi qui ai choisi de me suicider.

Il se raidit.

- Attends, tu as essayé de te tuer ?

- Oui, je ne te l'avais pas écrit ?

J'essaie de prendre un air décontracté mais j'ai peur de ce qu'il pense. Mon dieu qu'est-ce que j'ai dit ?

- Pas aussi directement non, mais j'ai bien compris que tu n'as jamais eu la vie facile.

Il se replonge dans la contemplation de la rue.

- Tu lui en veux beaucoup, à ta soeur ?

Je réfléchis quelques instants, mais la réponse est claire.

- Oui.

- Pourquoi ?

- Elle n'a pas été là quand j'avais besoin d'elle, et maintenant c'est ma faute. Je ne peux pas être à la fois la victime et la méchante.

- C'est vrai, mais peut-être que c'est parce qu'elle s'en veut qu'elle est aussi insistante aujourd'hui. Pour que tu lui parles.

- C'est idiot.

- Oui mais ça reste possible. Et c'est souvent le cas. Pourquoi tu ne lui expliques pas ?

Je me mets à rire amèrement.

- Quoi ?

Il semble confus.

- Je n'arrive pas à parler, si tu n'avais pas compris.

- On fait quoi là ? me demande-t-il avec un sourire mesquin.

Je me sens tout à coup plus légère.

- C'est différent avec toi. Tu est le seul avec qui j'y arrive.

Voyant son sourire, je me rattrape :

- Mais j'ai quand même beaucoup de mal, faut pas croire.

- Je suis flaté ! Tu n'as qu'à lui écrire, puisque ça à l'air d'être ton mode de communication.

- Je ne sais pas, c'est plus compliqué que ça.

- Je pense bien. Ecoute, il faut que j'y aille, mais ça serait sympa qu'on se revoie. Tu veux bien ?

J'acquiesce.

- Quand est-ce que tu veux ?

- Je sais pas, mon emploi du temps n'est pas très chargé. Mais toi tu fais des études. Alors c'est toi qui vois.

- Mercredi après-midi, à quinze heures, à la librairie ?

- OK !

- Je te ramène ?

Je réfléchis, mais je ne veux pas que Lou le voit.

- Jusqu'à la librairie. Après ça ira.

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