_2, L'attente

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L'attente est douloureuse, l'oubli est pénible, ne pas savoir quoi faire est encore pire.

Je me sens étrangère à moi-même, infidèle envers mes décisions et épuisée par la joie, l'euphorie, presque, de ces derniers jours. Depuis que j'ai revu Evan, il remplace mes cauchemars, monopolise mon esprit et m'accompagne à chaque secondes qui passe. Je ne peux plus lire ni me lamenter. Partout, je le vois. Son sourire, ses yeux, ses mots. Ses mots si doux et agréables que les miens me viennent plus facilement. Je suis souvent retournée à la librairie dans l'espoir de le croiser. A chaque fois mon espoir était déçu, et mon désir de le revoir plus fort.

Mais aujourd'hui, je ne veux plus me lever, courir à la boutique, scruter les passants. Aujourd'hui je suis lasse. Lasse et étrangement vide. Toutes ces émotions m'ont vidée de mon énergie. Cela faisait une semaine que j'était au top. Marguerite, ma grand-mère, ne m'a presque pas vue du week-end. Mais, n'ayant aucun signe de vie de la part d'Evan, pas même une lettre glissée entre deux pages d'un livre, mon exitation s'est dissipée d'un coup, ne laissant plus que la fatigue.

Mes parents se sont libérés pour venir me voir dès mercredi et ma sœur arrivera samedi. Quand celle-ci leur a raconté mon état en revenant de Paris, ils se sont alarmés, mais quand Marguerite leur a dit ne pas m'avoir vu de son séjour, ils n'ont pu attendre. Ils ont pris au plus vite un avion et arrivent dans moins d'une heure à présent. Je devrais certainement m'habiller avant qu'il ne me voient aussi lymphatique et il va me falloir faire un gros effort pour cela. Je me lève donc non sans mal et attend patiemment l'arrivée de mes parents, assise sur le vieux canapé, l'esprit rivé, malgré moi, sur Evan.

Lorsque je les entends débarquer, je ne peux m'empêcher de sursauter. J'étais partie loin dans les limbes de mon imagination quand ils ont fait irruption dans mon petit appartement avec des valises si pleines que je n'osais même pas savoir combien de temps ils comptaient rester.

- Mon chaton ! dit ma mère d'une voix mielleuse en me prenant dans les bras, Tu nous a fait peur, tu vois toujours ta psy ?

Sérieux ? Si c'est pour ça que tu es venue, tu n'avais pas à te déranger.

Je sais qu'elle ne fait que s'inquiéter pour moi mais je supporte de moins en moins la façon dont ils me voient. Papa m'annonce qu'il a posé une semaine de congé. J'ai envie de lui dire qu'il aurait dû se la garder pour un voyage en amoureux mais je n'y arrive pas.

En milieu d’après-midi, ma mère me demande si je vais à la librairie. Il faut savoir que personne, ou presque, n’imagine que je m’y rende vraiment. Je ne m'y rendais jamais en week-end, alors, la librairie a toujours été considérée comme un mythe tout droit sorti de mon imagination pour prétendre que je vais bien. Malheureusement, je ne veux plus y aller. Je sais que l'absence inexpliquée d'Evan me ferait trop mal. Je secoue la tête.

- C'est dommage, c'est bientôt l'anniversaire de André. Tu te souviens de lui ? continue-t-elle

Si je me souviens de lui ? Pourquoi ne serait-ce pas le cas ? André à un an de moins que moi, je le connais depuis toujours : nos parents sont des amis d'enfance. En revanche, je ne vois pas le rapport avec la librairie.

- Je pensais lui trouver un livre pendant la semaine. Comme je suis là...

Je ne veux sous aucun prétexte sortir de chez moi et personne, au grand jamais, ne me fera mettre un pied dans la librairie. J'ai été assez idiote pour penser qu'Evan me verrais différemment qu'une fille folle, agoraphobe et dépressive. Je ne suis pas maso au point d'y retourner.

***

La porte de la librairie se referme derrière moi. Un simple regard aux étagères et j'entends de nouveau la voix d'Evan. Mes parents se dirigent vers Maëlle. J'ai l'impression de le voir partout. Là, entrain de rire, ici, entrain de lire. Au fond, entrain de marcher, devant, en train de...

- Emilie, me dit un jeune homme ressemblant bien trop à Evan d'un air surpris.

- Bonjour, je suis le papa d'Emilie. dit mon paternel une main sur mon épaule.

Tirer moi une balle dans la tête ! J'ai plus de vingt ans !

- Enchanté, Evan.

Mais c'est vraiment lui ! Il est vivant !

Evan me regarde, je vois bien qu'il attend que je lui parle. Mais entourée de mes parents ça ne risque pas d'arriver. Il fait mine de devoir s'en aller mais je sais qu'il se dirige vers le rayon d'astronomie. Je ne peux pas m'empêcher de l'y rejoindre. Je suis définitivement maso.

- Comment tu vas ?

Mes yeux plongés dans les siens, je suis comme hypnotisée :

- Sincèrement ?

- Oui, comment vas-tu en vrai ?

- Mal. Je suis vidée, mes parents veulent me chaperonner toute la semaine et je me sens idiote d'être venu tout les jours ici en t'attendant.

Bon sang mais mon cerveau à un vrai problème ! Pourquoi m'a-t-il laissé dire ça...

Je vois Evan sourire tristement et je me radoucie.

- J'ai passé la semaine chez mon père.

- Oh. Comment ça c’est passé ?

- Mal, comme d’hab. Il m’a demandé comment mes études avançaient, je lui ai dit que j’aimerais me spécialiser dans l’astrophysique, il m’a fait la morale en me disant que je dois assurer mon avenir et choisir un vrai métier qui m’assurera une stabilité financière agréable et j’ai courbé l’échine.

- C’est pas à lui de choisir. Pourquoi tu ne fais pas ce que tu veux. Faut vivre sa vie !

- C’est toi qui me dis ça ?

- Je suis très expérimentée dans ce domaine. Tu as devant toi l’exemple parfait de ce que ça donne quand on passe à côté de sa vie.

- Je pense qu’il n’est jamais trop tard pour commencer, me dit-il avec un sourire charmeur.

- Emilie ?

Je me crispe. Ma mère m’a-t-elle vue parler ? Je fais un petit signe à Evan et rejoins mes parents.

J’ai la poitrine bloquée. Ils me regardent avec beaucoup trop d’insistance. Une fois dans l’appartement, je m’enferme dans ma chambre. Je sens la crise d’angoisse monter. Je m’allonge dans mon lit, tente de réguler ma respiration, d’imaginer un endroit calme, la mer, mais rien ne marche. Je n’en peux plus d’être si vulnérable, à la merci des caprices de mon cerveau. C’est alors que le sourire rassurant d’Evan me revient en tête. Je me laisse bercer par le son de sa voix.

Je ne me rends compte que j’ai dormi que lorsque mon père vient tambouriner à ma porte fermée à double tour.

A table, le repas est déjà servi. Une belle cuisse de poulet avec les sot-l’y-laisse trônent dans mon assiettes. Je ne peux m’empêcher de sourire à la bonne odeur qui vient chatouiller mes narines : le poulet de papa, c’est une tuerie à chaque fois. Mais en voyant la mine renfrognée de ma mère, je comprends que ce plat était plus fait pour m’amadouer que pour me régaler les papilles.

- Emilie, ma chérie, tu connaissais ce jeune homme ?

Je me contente d’hausser les épaules. Ils doivent se douter de la réponse, après tout, Evan connaît mon nom.

- C’est ton ami ? Tu le connais depuis combien de temps ? Tu en as parlé à ta psychologue au moins ?

Je joue avec ma cuisse, attendant la fin des questions intrusives.

- Tu pourrais au moins nous répondre, tu lui parlais à lui non ?

Nouveau haussement d’épaules. Mes parents, exaspérés, me lancent un regard désapprobateur.

- Ta sœur nous a parlé de votre embrouille à son dernier passage. Emilie, si tu veux que nous t’aidions, que nous soyons présents, à l’écoute, il va falloir que tu nous parle de temps en temps. Tu n’as jamais fait la moindre allusion à des problèmes, alors que nous sommes à l’écoute. Si nous avions vu que quelque chose n’allait pas, nous aurions tout fait pour t’aider.

- A la fin il faut que tu prennes un peu sur toi. Tu as beaucoup souffert mais je te rappelle que c’est nous, qui avons été appelés en pleine nuit en urgence ; nous, qui avons payé et payons encore les frais de l’hôpital et des psys ; nous, qui avons failli te perdre pour toujours sans jamais connaitre le véritable pourquoi. Et nous ne le connaissons toujours pas.

- Avant d’aller fricoter à droite, à gauche, tu devrais penser à ta famille non ?

- Mais c’est pas vrai ! Et si ça me fait du bien de voir d’autres tronches que les vôtres ! Ni vous ni personne ne m’empêchera de voir Evan.

Sur ce, je retourne dans ma chambre en claquant la porte.

Cette nuit là, comme toutes les autres, je fais des cauchemars épouvantable. Mais en plus des visages de mes anciens camarades qui me reviennent, en plus des rires odieux, en plus des couloirs infinis, des portes fermées et des courses poursuites contre des vagues de corps et de moqueries, pour la première fois, je vois ma famille. Tout les quatre, dans une pièce blanche, assiégés par mes monstres. Ils me demandent comment je vais. Je sens les murs de ma cage, pourtant si protectrice, frémir sous les à-coups extérieurs. Je réponds que tout va bien. Cette scène se répète, je ne pourrais dire combien de fois, jusqu’à ce que les parois cèdent et que je me noie dans ce flot d’injures. Je me réveille en sursaut, avec la sensation d’avoir sauté une deuxième fois du pont et une certitude : mes parents étaient là pour moi.

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