La vie c'est comme un livre, pour avancer, il faut tourner les pages.

Mes parents sont repartis hier et ont expliqués à ma sœur que ce n’était pas la peine de venir. Il faut croire que le coup de la pâtisserie les a rassurés. En prime, je n’étais pas morte d’être entrée dans une superette. Je commence donc ce week-end seule en appelant Evan. Il adore mes cookies, ce qui me rassure, et je lui demande de trouver une association caritative dans laquelle passer une journée.

Le dimanche, il m’invite chez lui. Son appartement est légèrement plus petit que le mien mais bien plus confortable. Il m’apprend qu’il s’est inscrit à la croix rouge puis sort une feuille. D’un ton solennelle, il me dit :

- Ecris là-dessus les trois choses qui te paraissent le plus impossible à faire.

- Trois, seulement ?

Après l’avoir vu acquiescer, je m’assoie à sa table et inscrit :

1°Reprendre des cours

2°Retourner à Toulouse

3°…pendant plusieurs minutes, je cherche. Je n’ai jamais de numéro trois ! Je réfléchis, encore et encore mais tout revient à ce que j’ai déjà écrit. Finalement je finis par inscrire le babysitting.

Lorsque j’ai finit, je lance un regard interrogateur à Evan -qui mange toujours mes gâteaux. Il reprend ma feuille et la lit attentivement.

- Explique-moi pourquoi, me dit-il finalement avec un sourire si doux que je m’en frapperais la tête sur la table.

- C’est totalement ridicule…

- Ce n’est pas à toi d’en juger. Pourquoi reprendre des cours est une chose totalement impossible pour toi ?

- Parce que… c’est là que tout à commencé.

Il m’écoute attentivement, me faisant signe de continuer. Je déglutis puis me lance enfin :

- J’ai toujours adoré écrire. C’était -c’est- ma manière de vivre, de parler. La plupart des personnes ont pour communiquer leur voix, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde. Certains ont leurs mains, et d'autres, encore, ont la peinture, leur corps, l'écriture. C’était mon cas. Ce n'est pas pour autant qu'on est différents -dans le mauvais sens j'entends-. On aime comme ceux qui usent de leur voix si facilement, on déteste comme eux, on pleure, on rit comme eux. Communiquer signifie transmettre quelque chose à quelqu'un, un don, un sentiment. C'est faire savoir. Ce n'est pas nécessairement parler, pour communiquer, loin de là. Je ne me sentais vraiment bien, à ma place, qu’en écrivant. Or une fille, à qui je faisais confiance, a prit mes écrits pour les publier sur les réseaux ou les accrocher sur les couloirs du lycée. A partir de là, je n'ai plus accordé ma confiance à personne et je suis vite devenue la paria. Alors non, plus jamais je ne remettrai les pieds dans un établissement scolaire.

- Mais de ce que j’ai compris, c’est plus l’écriture que le lycée et les cours qui t’ont posé problèmes. Je veux dire, tout a commencé par là. Pourtant, tu continues à écrire tout autant.

Je me sens piégée.

- Mais c’est pas la même chose…

- Désolé, je me suis mal exprimé. Je ne t’accuse en rien, je dis juste qu’en soi, c’était pas le lycée le souci, ça l’est devenu parce que tu avais besoin d’un bouc émissaire si tu veux. Or, l’écriture était bien trop importante pour toi.

Je garde le silence. Au fond, je sais qu’il a raison mais je ne suis pas encore prête à l’avouer.

- Et Toulouse ? Pourquoi tu ne pourrais pas y retourner ?

- J’ai peur que tous mes fantômes ressurgissent. En quittant la ville, je me suis sentie un petit peu mieux. J’avais moins de cauchemars. Et puis, c’est là-bas que je… que j’ai fait ma tentative de suicide alors…

- Ca fait combien de temps que tu n’y es pas retournée ?

- Deux ans, à peu près.

- Et si tu pouvais êtres sûre que tout ce passe bien, tu y retournerais ?

- Peut-être mais tu sais… ma famille me fait plus vraiment confiance.

- Je ne vois pas pourquoi elle devrait te faire confiance. Tu fais ce que tu veux !

Je retiens un petit rire.

- Justement. Pour eux je ne suis plus capable d’agir de mon propre chef.

- Et le babysitting ?

- Je suis terrorisée à l’idée d’avoir à faire face à des gens. Alors devoir m’occuper de gosses indomptables qui sont sous ma responsabilité ? Jamais de la vie.

Nous rions ensemble puis je reprends mon sérieux :

- A mon tour, dis-je, je veux que tu écrives au moins dix choses que tu veux faire avant de mourir.

- A vos ordres cheffe. A une condition : c’est aussi ton prochain défi.

Evan, liste de ce que je veux faire avant de mourir :

a) Dormir à la belle étoile

b) Ecouter le chant de la mer

c) Aller à un immense concert

d) Repeindre mon appartement en fushia

e) Rejouer du piano

f) Acheter n’importe quoi dans un magasin et remplir des caddies entiers

g) Faire un road trip aux USA

h) Devenir un grand astrologue

i) Avoir un enfant

j) Faire la fête

k) …

Emilie, les dix choses que je voudrais faire :

1) Faire le tour du monde

2) Etre éditée

3) Embrasser un garçon

4) Tomber amoureuse

5) Prouver à ma famille que je n’ai pas besoin tout le temps d’eux

6) Faire un saut à l’élastique

7) Me prendre une énorme cuite

8) Acheter un chien

9) Reprendre les arts martiaux

10) Passer mon permis

11) …

- Et tu t’es jeté d’un pont avant d’avoir fait tout ça ? dit Evan après avoir regarder ma fiche.

Cela me fait du bien d'en rigoler, ça me donne l'impression d'être un peu plus normale et que ce qui est fait est fait. Que le monde est passé à autre chose, et donc que moi aussi, il est temps que je tourne la page.