Maintenant, j’escalade les murs et profite de tout ce qui m’est donné d’avoir.

5 mois plus tard

Je sens la chaleur me consumer. Des gouttes de sueur coulent le long de ma nuque et sur mes tempes. Mes poils se hérissent. Je frissonne, pas seulement à cause de l’air dans mon cou. Mon ventre se tord, mais plus comme j’en ai l’habitude. Les paillons ont déserté, place au vilain serpent qui se tortille. Je sens une boule se former dans ma gorge. Mais qu’est-ce qui m’arrive ?

Une bonne vieille crise d’angoisse ! Tu as déjà oublié ce que c’est ?

Au cas où vous vous posiez des questions, non, mes petites voix n’ont toujours pas pris de congés. Disons plutôt quelles sont au chômage partiel. Alors que je cède à la panique, deux bras musclés entourent ma taille et je me retrouve projetée sur un tee-shirt à l’odeur si rassurante. Evan me murmure à l’oreille :

- Ne t’inquiète pas, tout vas bien se passer. C’est ta famille, ils ne vont pas te manger !

- Mmm.

- Eh, regarde-moi Em.

Mes yeux sont happées par le regard bleu océan du jeune homme, et je me sens tout de suite plus calme. Après tant de mois, il a toujours le même effet sur moi… si ce n’est plus !

- Rappelle-moi ce que tu avais écrit sur ta liste des choses à faire avant de mourir ?

- Embrasser un garçon et tomber amoureuse ?

Evan rigole.

- Et c’est fait ?

- Je crois bien oui.

- Tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir de l’entendre. Mais je ne parlais pas de ça. Tu avais marqué : « prouver à ma famille que je n’ai pas besoin tout le temps d’eux ». C’est le moment où jamais.

- Mais je dois leur dire quoi ? Salut, me revoilà, vous allez comment depuis le temps ?

- Oui, c’est à peu près ça ! répond ma sœur à la place de mon interlocuteur. Maintenant on peut y aller ? Déjà que j’ai supporté de vous voir vous bécoter dans l’avion, vous pourriez me laisser du répit !

Je rigole doucement dans le cou d’Evan et me laisse entrainer vers le hall.

Lorsque je croise le regard de mes parents, je me mets à sourire bêtement. Ils s’attendaient à récupérer Lou, ils se retrouvent avec trois jeunes adultes. Je me jette alors dans leurs bras, les larmes aux yeux. Lorsque ma mère cesse de m’étouffer dans son étreinte, mon père attrape ma valise. Je vois son regard scrutateur sur Evan et sens qu’il n’échappera pas à un interrogatoire digne de mon paternel. Je regarde à travers les baies vitrées la villes de mes démons.

Je ne me laisserai plus avoir par les embûches de la vie. Maintenant, j’escalade les murs et profite de tout ce qui m’est donné d’avoir.

Mes parents se serrent entre eux, les yeux chargés d’émotions. Dans le cœur des gens qui vivent ce drame qu’est le suicide, il y reste toujours la crainte, la pensée qu’on pourrait recommencer. Je sais que ma famille gardera ce ressentiment et que je le verrai passer dans leurs regards, fugace. Evan aura parfois l’inquiétude de passer à côté de signes avant-coureurs, même refoulés, comme l’ont fait mes proches. Moi aussi, j’aurais toujours l’idée que je pourrais recommencer. Mais je sais que ça ne sera pas le cas : j’ai retrouvé ma famille, trouvé l’amour et l’amitié. Certainement que je perdrais des gens, certainement que j’en rencontrerai d’autres, mais je sais que j’aurais toujours un entourage attentif qui sera là pour moi en tout temps.

A présent, j’ai compris la véritable manière de vivre. Il ne sert à rien de redevenir celle du passer, il faut avancer, aller de l’avant, regarder au loin l’avenir qui nous attend. Alors je franchis la porte de l’aéroport, une main dans celle de ma sœur, une dans celle de mon petit ami, mes parents derrière, et je me chuchote à moi-même :

- Toulouse, me revoilà.