Chapitre 2 - L’exposé de Koen (1)
Jeudi 23 juillet 1964, école de Hinterhoden, Grindelwald
C’était le jour où Koen devait faire son exposé sur le pénis. Frédéric et lui avaient été dispensés des activités sportives de l’après-midi, une montée jusqu’à Unterlauchbühl, afin qu’il pussent se préparer à la salle de bal. L’école était située dans un ancien hôtel et il y avait bien longtemps que personne n’avait plus dansé dans cette salle qui servait d’aula, difficile d’organiser un bal avec une école n’accueillant que des garçons. Ni Koen ni Frédéric ne savaient danser.
Koen se rendit au secrétariat pour chercher les polycopiés de son exposé qu’il distribuerait aux élèves à la fin.
— Bonjour Mademoiselle Spycher. Comment allez-vous ?
— Bonjour Monsieur Grotelul. Très bien, et vous ? Un peu de trac, je suppose.
— Même pas, je suis incollable sur le sujet et j’avais l’habitude de faire des exposés pendant les fêtes de famille.
— Vous parliez déjà du pénis ?
— Il y avait des jeunes enfants qui auraient pu être troublés. Je parlais plutôt de mes dernières lectures, par exemple En quoi l’homme de génie diffère-t-il de l’apôtre ?, de Søren Kierkegaard.
— Ce devait être passionnant, en effet. On peut se tutoyer, Herr Professor Grotelul. J’ai ronéotypé quelques exemplaires supplémentaires. Il pourrait y avoir des invités.
— Qui donc ?
— Ben… moi, si tu me permets. Tu sais que je veux devenir infirmière et je dois bien connaître les organes génitaux masculins.
— J’ai fait la connaissance d’une infirmière le week-end passé. Tu pourrais peut-être faire un stage chez elle, ce serait plus utile que la dactylographie.
— Bonne idée, tu me donneras son adresse, mais je devrai aussi taper des rapports. Et c’est surtout pour être plus près de Laurent, j’ai le droit de dormir ici à l’école avec lui.
— Tu n’es pas peureuse, seule fille avec tous ces garçons en manque.
— En manque ? La plupart sont des homos et ceux qui ne le sont pas sont des onanistes inpénitents, Je suis protégée par mon cousin Franz, un ancien roi de la lutte, il en impose. Il y a aussi l’apprenti cuisinier, Stefan, qui aimerait assister à ta conférence.
— Il est homosexuel ?
— Je ne lui ai pas demandé, fit Vreni en riant. Et il va encore arriver quelqu’un d’autre en fin de journée, Franz m’a prié de ne pas te dire son nom.
Koen et Frédéric firent une répétition générale. Frédéric assistait Koen, il projetait les photos des bouquins avec l’épiscope. Koen n’était pas satisfait à la fin de son exposé.
— C’est trop théorique, dit-il. Il faudrait que je montre ensuite les organes génitaux-urinaires dans la réalité sur un volontaire.
— Tu penses que c’est vraiment nécessaire, alors qu’on se voit à poil tout le temps ?
— Il y aura Stefan qui n’a peut-être jamais vu de pénis autre que le sien, et je pourrais aussi expliquer ma méthode pour les examens que j’envisage de faire sur nos camarades.
— Bon, si tu trouve un volontaire…
— Toi, tu seras volontaire s’il n’y en a pas d’autre.
Koen commença son exposé ponctuellement à 20 heures. Il avait mis un veston et une cravate, provoquant quelques ricanements parmi les élèves. Le visiteur inconnu était un homme d’une quarantaine d’années, assez maigre, des cheveux noirs coupés courts, en bras de chemise, assis au dernier rang.
— Madame la Directrice, Monsieur Franz, Mademoiselle Vreni, Messieurs, chers élèves, bonsoir. Je ne vais pas vous parler de mon pays natal, je vous propose de le visiter si vous désirez le découvrir, nous avons des moulins à vent, des tulipes, des marins qui pissent dans le port d’Amsterdam, des putains et du gouda. Entre pisser et aller trouver des prostituées, il y a un point commun qui ne vous aura pas échappé et c’est de ceci dont je vais vous parler ce soir : le pénis.
Frédéric alluma l’épiscope, projetant l’image d’un pénis en érection. Gros rires parmi les élèves. Franz se leva et les remit à l’ordre.
— Nous sommes tous passés à l’intérieur d’un tel organe, sous la forme d’un spermatozoïde et nos descendants y passeront aussi. Il est donc primordial de bien en comprendre le fonctionnement et de l’entretenir régulièrement.
Frédéric projeta une image avec un schéma des organes génitaux masculins, Koen les commenta avec beaucoup de détails. Les élèves étaient beaucoup plus attentifs que lors des autres exposés où la moitié somnolaient. Frédéric montra ensuite un deuxième schéma où le pénis était en érection, ce qui provoqua à nouveau des rires et l’intervention de Franz. Koen expliqua les mécanismes de l’excitation sexuelle.
Ensuite, ce fut un tableau avec la taille des pénis des élèves, au repos et en érection. Koen avait omis de mettre les noms, pour des raisons évidentes de discrétion. Il expliqua quels calculs il avait fait pour obtenir la taille médiane, il ne voulait cependant pas donner le résultat car les mesures n’étaient que des estimations et il n’avait pas vu le pénis de tout le monde en érection. Ses auditeurs furent déçus, mais au moins personne n’eut des complexes d’être en-dessous de la moyenne.
Koen interrompit son exposé et demanda s’il y avait des questions. Le visiteur leva la main et se leva :
— Je me présente, Prof. Dr. Med. Friedrich Wilhelm Schirrmacher, plus connu sous mon nom d’auteur, Prof. Dr. Latte. Herr Grotelul, les mesures des pénis en érection, bien qu’incomplètes, sont fort intéressantes. Comment avez-vous fait pour les obtenir ?
— Herr Prof. Dr. Med. Schirrmacher, je suis très honoré de votre présence à ma modeste présentation et c’est bien volontiers que je réponds à votre question. Lors d’une excursion il y a dix jours, nous avons fait un exercice en nous lavant dans une fontaine : il consistait à déterminer si des serviettes de toilette tenaient sur un pénis en érection. Je précise que tous les élèves présents ont passé le test avec succès.
— C’est normal, vous êtes jeunes. C’est assez original, je n’y avais jamais pensé. Il faudra que je fasse un essai avec mes étudiants.
— Les étudiants participent-ils à vos recherches ?
— Oui, nous manquons de volontaires externes à l’université. D’habitude, les jeunes de votre âge comparent la longueur de leur pénis en érection lors de masturbations collectives et cela m’étonnerait que vous ne l’ayez pas fait.
— Vous avez raison, Herr Prof. Dr. Med. Schirrmacher, nous l’avons aussi fait, mais il y avait moins de monde, certains avaient préféré se coucher.
— Vous pouvez m’appeler Prof. Dr. Latte, comme tout le monde. Herr Grotelul, envisagez-vous de poursuivre cette étude ?
— J’allais y venir, s’il n’y a pas d’autres questions.
Koen se versa un verre d’eau d’une carafe posée sur le pupitre, puis poursuivit :
— J’aimerais vous expliquer en quoi consistera mon étude, mais pour cela il me faudrait un volontaire qui accepte de nous montrer ses organes génitaux.
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