Chapitre 6 - Soirée chez Stefan (1)

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Jeudi 6 août 1964, Zweilütschinen

Le lendemain, après une branlette matinale et le petit déjeuner, les quatre amis avaient fait une randonnée jusqu’à la Croix de Cœur et Savoleyres où ils avaient dîné. Le temps était plus clément que la veille, mais pas trop chaud, la température idéale pour marcher. Dominique avait ensuite déposé Koen et Frédéric à la gare de Montreux et ils étaient rentrés à Grindelwald en train.

Quelques jours plus tard, Frédéric et Koen étaient invités chez Stefan pour le souper. Ils passeraient la nuit dans la ferme pour profiter plus longtemps de la soirée, sans être dépendants du dernier train. Ils avaient emprunté des sacs de couchage à l’école pour dormir sur la paille.

Stefan travaillait ce jour-là. Ils prirent le train vers 17 heures, Frédéric avait acheté une boîte de fondants pour la mère et Koen des tulipes importées des Pays-Bas. Ils attendirent Peter à la gare de Zweilütschinen, celui-ci fit une accolade virile à Stefan plutôt qu’un doux baiser. Il ne fallait pas attirer l’attention car il y avait beaucoup de villageois qui rentraient du travail avec le même train.

Ils marchèrent jusqu’à la ferme. Stefan présenta Peter à ses parents, il y avait aussi son frère, Klaus, avec sa fiancée Dagmar. Ils firent le tour de la ferme, ce fut surtout Peter qui discuta avec le père d’agriculture, Frédéric s’intéressa à l’architecture, la maison était ancienne, elle avait été bâtie en 1821, Koen se demandait s’il pourrait voir Klaus à poil, c’était plutôt mal parti s’il dormait avec sa fiancée.

Ils prirent ensuite l’apéritif dehors, un Schafiser blanc des bords du lac de Bienne, accompagné de croissants au jambon. Ils passèrent ensuite à table assez tôt, comme c’est l’habitude en Suisse. Ils mangèrent à la cuisine, une grande pièce avec un poêle en faïence et un potager à bois. La maison n’avait pas de chauffage central. (NDA Potager : helvétisme pour fourneau de cuisine)

Le repas commença par un potage au cerfeuil, recette vaudoise en l’honneur de Frédéric, puis la mère avait préparé des röstis à la bernoise, au lard, accompagnés de boudin et de compote de pommes. Peter avait apporté du fromage et le dessert était un soufflé aux poires.

Ils ne s’étaient pas beaucoup parlé pendant le repas. Le père avait ouvert plusieurs bouteilles de vin rouge, de la même région que le blanc. Les langues se délièrent en buvant le café pomme. Frédéric dit :

— Merci Madame Kaiser, c’était excellent.

— J’espère que vous avez eu assez, sinon j’ai encore des meringues.

— C’était parfait, fit Koen.

— Je peux vous demander quelque chose ? dit la mère.

— Bien sûr.

— Excusez ma curiosité, mais il y a des bruits qui courent dans la région au sujet de l’école que vous fréquentez. Il paraîtrait que… Je n’ai pas osé demander à mon fils pour ne pas le mettre dans l’embarras, il n’a pas beaucoup de contact avec les élèves et c’est son employeur.

La mère hésita. Frédéric lui dit de continuer, il n’y avait rien à cacher.

— On dit que l’école serait réservée… aux garçons qui aiment les garçons, si vous voyez ce que je veux dire.

— C’est faux, répondit Frédéric, elle est ouverte à tous, d’ailleurs la sœur de Peter, Vreni, est amoureuse d’un garçon de l’école, Laurent.

— Je confirme, dit Peter, Laurent n’est pas homosexuel.

— Dans ce cas ce ne sont que des ragots, dit la mère.

— Il n’y a pas de fumée sans feu, dit Klaus. Y a-t-il aussi des homosexuels ?

— Oui, dit Koen, Frédéric et moi par exemple.

Frédéric soupira, se dit que cela aurait pu être pire, Koen aurait pu expliquer que Stefan et Peter l’étaient.

— Vous êtes homosexuels ? fit la mère, étonnée.

— Oui, dit Koen, mais tout le monde peut l’être d’une manière ou d’une autre. Connaissez-vous l’échelle de Kinsey ?

Personne ne connaissait, Koen se lança dans une explication alambiquée, finissant pas dire qu’il y avait plus d’homosexuels dans l’école que dans le reste de la population. Frédéric expliqua ensuite :

— Les personnes qui ont une sexualité différente sont souvent stigmatisées, dans cette école on fait tout pour les accueillir et leur proposer un environnement sûr où elles n’auront aucun souci à avoir, sans qu’elles soient pour autant dans un ghetto. Mon père a une fondation qui lutte contre l’homophobie et c’est pour cela qu’il soutient cette école.

— Très bien, dit le père en allumant un cigare puant, j’approuve. D’ailleurs tout le monde sait que Franz, le fils de la directrice et roi de la lutte, est aussi homosexuel, même s’il ne l’a jamais avoué publiquement.

— Ce n’est pas parce qu’il est connu qu’il doit étaler sa vie privée, dit Peter.

— Une personne publique peut montrer l’exemple et inciter les autres à sortir du bois, dit Dagmar.

— Et l’avez-vous dit à vos parents ? demanda la mère. Comment ont-ils réagi ?

— Mes parents ont bien réagi, dit Frédéric, c’est normal puisque mon père a cette fondation.

— Oui, dit la mère, mais c’est parfois différent pour ses propres enfants que pour ceux des autres. Et les vôtres, Monsieur Grotelul ?

— Je ne leur ai pas encore dit, mais je pense qu’ils l’ont deviné depuis longtemps.

— Comment l’auraient-ils deviné ?

— Je me suis toujours intéressé aux sexes masculins, ils m’ont même offert des livres de médecine à ce sujet.

Koen se lança dans de nouvelles explications, parlant de sa future carrière de médecin. La mère alla ouvrir la fenêtre pour évacuer la fumée du cigare et remplit la cafetière.

Stefan hésitait, allait-il dire à sa famille qu’il était homosexuel ou était-ce encore trop tôt ? Il aurait aimé en parler d’abord avec Peter. Koen mit une nouvelle fois les pieds dans le plat :

— Et vous, Madame Kaiser, comment réagiriez-vous si l’un de vos fils vous annonçait qu’il était homosexuel ?

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