Chapitre 10 - Vacances aux Pays-Bas (4)
Lundi 17 août 1964, maison de Koen, Gouda
À la gare de Gouda, les deux amis retirèrent leurs valises au guichet des bagages puis, comme Koen l’avait suggéré, ils prirent un taxi pour se rendre à son domicile. Les rues du quartier résidentiel étaient bordées de longues barres de maison mitoyennes de deux étages, toutes identiques. Seules les plantes des jardinets très soignés étaient différentes. La mère, la grand-mère et le frère de Koen, qui avaient guetté son arrivée derrière la grande baie vitrée, sortirent lorsqu’ils virent le taxi. La mère avait pris son portemonnaie :
— Oh, dit-elle à son fils, vous avez pris un taxi. Je vais le payer.
— C’est déjà fait, répondit celui-ci, Frédéric a réglé la course.
— Je vais le rembourser.
Elle tendit un billet à Frédéric qui refusa poliment. Elle embrassa ensuite son fils puis serra la main à Frédéric, lui disant en français :
— Bonjour Monsieur de Goumoëns, bienvenue chez nous.
— Bonjour Madame Grote… pardon, j’oubliais que ce n’est pas votre vrai nom.
— Oui, dit-elle en riant, nous nous appelons Maertens.
— Vous savez le français ?
— J’ai passé quelques années en Belgique. Si j’avais su que mon fils fasse connaissance avec un francophone je lui aurais appris cette langue. Nous allons continuer en allemand pour que les autres comprennent. Voici ma mère, Madame Vandenbossche.
— Enchanté, fit Frédéric en lui serrant la main.
— Et mon autre fils, Piet.
— Salut… J’ai oublié ton prénom.
— Frédéric. Vous pouvez tous m’appeler ainsi.
— Très bien, dit la mère. Vous avez mangé ?
— Oui, dit Koen, nous avons pris le petit déjeuner à Amsterdam.
— Je pense que vous désirez vous rafraîchir, ensuite nous pourrons boire une tasse de thé pour faire connaissance.
Les deux amis montèrent à l’étage avec leurs valises, suivis de Piet.
— Alors, demanda Koen à son frère, comment vont tes amours ? Toujours avec Greta ?
— Toujours avec elle. Et les tiennes ? Toujours avec… Frédéric ?
— Comment as-tu deviné ? Je ne te l’ai jamais dit.
— Une intuition. Avec ta manie de t’intéresser aux bites.
— Oui, je t’avoue que je suis homosexuel et que Frédéric est mon petit ami, mais cela reste entre nous.
— Bien sûr. Motus et bouche cousue.
— Tu sais, dit Koen à Frédéric, je suis jaloux car Piet en a une plus grosse que moi. Il faudra qu’il te la montre.
— Tu es incorrigible, fit Piet. Je vais à la piscine avec mon amie cet après-midi, si vous voulez venir avec moi pour faire sa connaissance.
— Très bonne idée, dit Koen.
— Bon, je vous laisse. Je dois faire mes révisions. Soyez sages.
Koen entra dans sa chambre, suivi de Frédéric. Elle était parfaitement rangée, il y avait un lit, un petit bureau, une bibliothèque et une armoire. Les parents avaient acheté un lit d’appoint, plié pendant la journée. Un seul poster contre le mur : la planche anatomique d’un homme nu.
— C’est bien comme cela que je m’imaginais ta chambre, dit le Suisse en regardant les livres parlant de sexualité. On peut se doucher ?
— Oui, je vais t’expliquer. La salle de bain sur l’étage est normalement réservée à mes parents et à ma grand-mère. On peut prendre un bain dans la baignoire après leur avoir demandé. Pour mon frère et moi il y a une douche en bas.
— Cela ira très bien. On descend à poil ?
— Non, nous avons l’habitude de laisser un slip.
— Et on peut y aller les deux ensemble ?
— Je ne sais pas… C’est la première fois que j’ai un ami en visite. On leur demandera.
Frédéric et Koen se déshabillèrent et descendirent avec des sous-vêtements de rechange. Les deux femmes étaient au bas des escaliers en train de discuter décoration.
— Le séjour en Suisse t’a fait du bien, dit la grand-mère en regardant son petit-fils de la tête aux pieds, tu as l’air en pleine forme. Ici tu passes trop de temps dans tes livres.
— Oui, j’ai fait beaucoup de sport et d’excursions dans la montagne.
— Ce n’est pas un reproche, tu dois aussi songer à tes études.
— Frédéric, vous pouvez laisser votre linge sale dans la corbeille, dit la mère, je ferai la lessive d’ici la fin de votre séjour.
— Merci, Madame.
— Euh, demanda Koen, ça ne vous dérange pas si l’on prend notre douche ensemble ? À Grindelwald elles se font en commun et nous avons l’habitude de nous voir nus.
— Oui, répondit la grand-mère, nous savons bien comment cela se passe, c’est comme à l’armée. Pas de souci, mon grand, il en faut plus que deux hommes nus pour me choquer.
Frédéric et Koen prirent leur douche rapidement, sans se branler, ils ne voulaient pas attirer l’attention des deux dames en restant trop longtemps dans la salle de bain. Ils contrôlèrent juste que le matériel était fonctionnel et se retrouvèrent ensuite au salon pour boire le thé accompagné de biscuits. La grand-mère avait déposé deux paquets avec un emballage cadeau sur la table basse. Elle en tendit un à Frédéric :
— Frédéric, voici un petit présent pour vous souhaiter la bienvenue aux Pays-Bas.
— Merci, Madame Vandenbossche, il ne fallait pas.
— Appelez-moi comme mon petit-fils, grand-maman Dordrecht. Il utilisait le nom de la ville d’où je viens plutôt que mon prénom.
— C’était pour te distinguer de mon autre grand-mère de Lelystad, expliqua Koen.
— Ce n’est rien du tout, ajouta la grand-mère, juste un livre sur l’architecture des Pays-Bas, Koen m’a écrit que vous êtes intéressé.
— Il vous a dit beaucoup de choses sur moi, fit Frédéric en riant.
— Il m’a aussi dit que vous êtes très riche. Ça doit le fasciner.
Frédéric déballa le paquet. Il avait aussi apporté quelque chose, des boîtes de chocolat suisse. Il les distribuerait plus tard. La grand-mère donna le deuxième cadeau à Koen.
— Ce n’est pas mon anniversaire, fit-il, étonné.
— C’est pour te remercier de m’avoir écrit régulièrement depuis la Suisse. J’ai mis tes cartes postales dans mon album, les paysages sont magnifiques. C’est aussi un livre.
Koen déballa le paquet et traduisit le titre :
— Le nu masculin dans la peinture néerlandaise. Merci beaucoup, grand-maman.
— C’est le catalogue de l’exposition qui se tient actuellement au Rijksmuseum, ta mère et moi l’avons visitée hier. Je vous conseille d’y aller.
— Nous avions prévu de le faire demain, mais je ne savais pas qu’il y avait cette exposition.
— J’ai pensé que cela t’intéresserait, connaissant ton intérêt pour les corps masculins.
La grand-mère fit un clin d’œil à son petit-fils. Encore une qui avait deviné, se dit Frédéric. L’homosexualité de son ami devait être un secret de polichinelle dans sa famille.
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