Le Maître-Judiciaire escorta Andreìs jusque sur l’esplanade du Palais pour exhiber son prisonnier à la foule qu’il harangua avec passion, en bon tribun expérimenté qu’il était.

            — Fier peuple Malgauareg ! Le Haut Commandement Militaire et le Seigneur Éclairé des Guerriers de Jade vous présentent toute leur gratitude ! Grâce à vous, cet homme a été capturé ! Ce renégat régicide traqué depuis tant d’années ! Comme le veut votre honorable tradition de fier peuple guerrier, cet homme traversera la ville jusqu’à son exil, symbolisé par son embarquement dans le vaisseau pénitentiaire léger qui nous attend au port aérien. Et donc selon votre tradition, je vais énumérer ici les chefs d’accusation, afin que vous puissiez lui rappeler sa honte tout le long du trajet !

            Face à eux, le peuple tout entier se tenait droit, fier, et silencieux. Les actes héroïques du prisonnier leur étaient parvenus, et le sauvetage de leur chef et de sa fille était, selon leurs valeurs, suffisant pour racheter son passé. Décontenancé par le silence qui lui faisait face, le Maître-Judiciaire commença à réciter sa litanie.

— Le Capitaine Andreìs Dimirov est accusé des actes suivants : Avoir initié la Grande Trahison. La désertion. Avoir entraîné la désertion et la trahison de nombre de ses frères d’armes. Les meurtres de nombre de Géno-modifiés restés fidèles. Le meurtre des membres de la Famille Royale. Le viol de notre Grande Reine Prudence et de la Princesse Victoire. Le délit de fuite. Le meurtre de quatre Gardes du Corps Prétorien. Et pour finir, avoir menacé de mort le Maitre-Judiciaire Clarius Graivus, votre humble serviteur.

            En disant cela, le petit homme se pencha révérencieusement en avant, dans un mouvement scénique de nombreuses fois travaillé, et pourtant, aucune vindicte populaire ni aucune clameur ne s’éleva. Relevant la tête, le magistrat ne comprit pas la situation mais il put voir la princesse héritière s’avancer vers lui en tenue de cérémonie avant de s’incliner devant lui.

— Princesse ?

— Monseigneur… M’autorisez-vous à faire face à cet homme ?

— Dans la mesure où il a pu être capturé grâce à vous, je ne peux pas vous dire non.

— Je vous remercie.

            Ils se redressèrent tous deux et la princesse guerrière le contourna pour se planter face au géant. Son visage affichait un masque de haine, mais ses yeux révélaient une âme en détresse tandis qu’Andreìs s’agenouillait à ses pieds.

— Guerrier, notre entretien te permet-il de partir serein ?

            Baissant ses yeux malheureux avec humilité, le colosse murmura.

— Oui, Héritière.

— Bien…

            Sans un mot de plus, elle lui décocha un violent coup de poing qui le prit par surprise, le faisant tomber sur le côté avant de lui cracher dessus. Se redressant comme il put avec les mains attachées contre son torse, il la regarda partir, profondément choqué, pour ensuite se relever lentement. Son maintien était maintenant celui d’un homme abattu et brisé, sans once de révolte et de force en lui. Le Maître-Judiciaire le regarda en ricanant.

— Et bien, quelle frappe ! Es-tu prêt, criminel ?

            D’un ton monocorde, à peine audible, Andreìs répondit.

— Oui, Maître-Judiciaire…

            Tirant sur la chaîne des menottes, le magistrat emmena son prisonnier avec lui vers la foule en répétant sa litanie.

— Voici livré à vous Rark le Rouge, traître au Monde et régicide. Voici livré à vous Rark le Rouge, traître au Monde et régicide.

            Cette phrase accompagna Andreìs jusqu’au port aérien, tandis que le peuple déchaînait sa colère après que la princesse eut exprimé la sienne, comme s’ils avaient attendu qu’elle leur montre quelle attitude adopter.

            Derrière eux, sans que personne n’y prête garde, de lourds nuages couleur sable s’amoncelaient dans le ciel.