34
Cela faisait trois jours que le Maître-Judiciaire était enfermé dans l’épave avec les deux pilotes, à se nourrir de rations de survie tout en ruminant les propos de son prisonnier fugitif. Les pilotes n’osaient pas lui parler, se contentant de lui répondre lorsqu’il s’adressait directement à eux. Il savait que son statut leur faisait peur. Il pouvait condamner les gens à mort selon son bon vouloir, et cela l’avait condamné à une vie isolée. Mais il n’en avait jamais eu cure, persuadé qu’il était de servir une cause supérieure et juste. Maintenant, c’était différent. Les trois jours qu’il avait passés en tête à tête avec lui-même avaient ébranlé ses convictions les plus profondes. Il était tellement perdu dans ses réflexions qu’il fallut qu’une main se pose sur son épaule pour le tirer de ses pensées, et lorsqu’il tourna la tête, il hoqueta de surprise.
— Monseigneur ?
Par pur réflexe, il plia le genou devant l’homme en face de lui.
— Allons… Redressez-vous, Maître-Judiciaire…
Se relevant lentement, le petit homme ne redressa pourtant pas la tête, de peur de ne pas réussir à cacher le trouble qui l’habitait de se retrouver face à ce géant le dépassant de plusieurs têtes et paré d’une armure de couleur verte polie à la perfection et rehaussée d’or.
— Monseigneur… Être secouru par le Grand Maître des Guerriers de Jade est trop d’honneur… Rien ne justifie que le Saint de Jade en personne vienne me porter main forte…
Un sourire étira les lèvres du colosse.
— Mon brave, vous êtes celui qui a fait prisonnier Rark le Rouge, et vous avez passé du temps avec lui. Vous détenez possiblement des informations qu’il aurait pu laisser échapper par mégarde.
Graivus comprit soudain. Si le Saint s’était déplacé, c’était uniquement parce qu’il était source d’informations, rien de plus. Sa vie n’avait de valeur que ce qu’il pouvait savoir. Et il ne douta pas une seconde de la façon dont ils essaieraientessaieraient de les obtenir s’ils décelaient chez lui le moindre doute. La peur noua ses entrailles alors qu’il réfléchissait à comment rester en vie maintenant qu’il se voyait considéré comme un potentiel traitre. Et il ne doutait pas non plus que les deux pilotes avaient dû rapporter tout ce qu’ils avaient entendu.
— Oui, Monseigneur. Il a dit beaucoup de choses.
Le sourire du Saint autoproclamé devint carnassier.
— Et qu’a-t-il dit ?
Jetant un regard inquiet derrière lui, l’homme de loi répondit en murmurant.
— Grand Maître… Ne pourrions-nous pas en parler loin des oreilles indiscrètes ?
Le Grand Maître effaça son sourire instantanément en levant les yeux vers les pilotes qui, depuis leur cabine, ne loupaient pas une miette de l’entretien.
— Bien sûr, venez. Et arrêtez de m’appeler Grand Maître ou Monseigneur. Appelez-moi Armist.
— Oui Mons… Armist…
Alors que le guerrier guidait le petit homme hors de l’épave à travers le sable dégagé, un de ses hommes se pencha vers lui.
— Que faisons-nous d’eux ?
Se retournant vers les pilotes avec un immense sourire, Armist murmura à son homme de main.
— Ils en savent trop. Le désert sera leur tombeau. Éliminez-les.
— Reçu.
Armist installa le Maître-Judiciaire dans son propre engin chenillé au luxe fou à travers la tempête, tandis que les Guerriers de Jade pénétraient dans l’épave. Alors que la trappe d’accès se refermait, Graivus jeta un bref coup d’œil en arrière. Il était certain d’avoir vu deux flashs lumineux sortir de la carlingue et d’avoir entendu deux coups de tonnerre.
Se planta face à lui en lui tendant de l’eau, Armist lui afficha de nouveau ce sourire trop parfait pour être sincère.
— Alors, que vous a-t-il dit ?
Annotations
Versions