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Les vitres de l’appartement du Seigneur-Judiciaire volèrent en éclat tandis que les grappins allaient se fixer dans le mur opposé, l’un d’entre eux traversant un Prétorien de part en part en le clouant au mur alors que le chef de détachement hurlait.
— On nous attaque ! Tranchez les filins !
Quelques guerriers abattirent leurs armes sur les câbles de titane renforcé en vain tandis que d’autres se postaient aux vitres brisées pour faire feu et que le petit homme se jetait à terre en criant de peur. Glissant sur les Tyroliennes, vêtus de simples armures composites, les guerriers de classe Infiltrateurs spécialisés dans les opérations commandos depuis des siècles opposèrent peu de tirs, mais leur précision redouble abattit un adversaire à chaque déflagration. L’un des assaillants fut frappé par une rafale au bras qui tenait son accroche et lâcha prise pour chuter comme une pierre avant de s’écraser en silence près de mille mètres en contrebas, sur le bitume couvert de crasse, au milieu des citoyens qui s’enfuirent en hurlant.
Le premier Infiltrateur arriva aux fenêtres en repoussant un Prétorien d’un puissant coup de genou avant de poser pied-à-terre et d’engager le combat, vite imité de ses pairs tirant à bout portant ou plongeant leurs armes de corps à corps à lames énergétiques dans les organes vitaux de leurs adversaires avec une précision redoutable que seuls des siècles d’entraînement pouvaient permettre.
Moins d’une minute plus tard, les Prétoriens gisaient tous au sol, baignant dans leur sang, quand le Sergent Infiltrateur se pencha vers le civil en arborrant un sourire bienveillant et sincère.
— Monseigneur. Le Capitaine Andreìs nous a envoyés vous sortir de ce piège.
Le visage livide et ruisselant de larmes, le Seigneur-Judiciaire dévisageait son assaillant et sauveur sans trop comprendre, aussi celui-ci ajouta-t-il.
— Vous avez allumé une bougie qui n’était pas rouge. Le Capitaine nous avait prévenus que vous étiez un homme intelligent, et que vous feriez ça si vous étiez accompagniez et que c’était un piège. Le Capitaine a aussi dit que vous aurez un rôle capital à jouer dans le rétablissement de la Vérité, dans la reconstruction de la société et dans le retour au trône de la Famille Royale, c’est pourquoi nous sommes-là. Il m’a demandé de vous dire que si vous vouliez faire machine arrière, vous le pouviez encore, mais que c’était maintenant que vous atteigniez le point de non-retour. Soit vous nous accompagnez, et dans ce cas nous avons un corps de substitution pour vous faire passer pour mort, soit vous avez changé d’avis et…
— Vous m’achèverez ?
L’Inflitrateur afficha une profonde indignation.
— Non. Ça, c’est la méthode des Guerriers de Jade. Nous serions obligés de vous tirer dessus pour faire croire à une tentative d’assassinat qui a échoué, mais nous n’irions pas plus loin. La décision vous appartient.
Clarius était tétanisé, partagé entre son sens du devoir et sa volonté de survivre, son souhait de faire quelque chose d’important de sa vie et son espoir de rester en vie, son bon sens et sa peur. Tremblant, il tendit une main effrayée vers le Sous-Officier, et quand leurs mains se serrèrent, son visage reprit force et confiance tandis qu’il s’exprimait d’un ton déterminé.
— Allons-y. Nous avons un monde à guider.
Le Sergent afficha un sourire ravi et sincère en aidant le petit homme à se remettre debout tandis qu’un de ses subalternes posait le sac mortuaire qu’il transportait avant de l’ouvrir, dévoilant un homme ressemblant trait pour trait au Seigneur-Judiciaire, bâillonné et entravé, le regard paniqué observant autour de lui dans l’espoir de trouver une échappatoire.
— Il est encore vivant ?
Le Sergent baissa les yeux et répondit d’une voix triste.
— Malheureusement, une balle dans la tête d’un cadavre n’a pas le même effet que sur celui d’un corps vivant.
Alors qu’il avait mis des centaines de gens possiblement innocents à mort, Clarius s’écria quelque chose qu’il n’aurait jamais crû dire un jour.
— Mais il ne le mérite pas !
Avec la plus grande neutralité, l’Infiltrateur qui avait ouvert le sac répondit.
— Nous l’avons sorti de la Prison Royale où il devait être condamné à mort pour soixante-douze homicides et viols. Dans cet ordre. Son sacrifice donnera un sens à sa vie comme à sa mort… Chaque vie a un prix, chaque vie est sacrée, puisse son sacrifice compenser celles qu’il a prises…
Tous les hommes répétèrent comme la fin d’une prière.
— Chaque vie a un prix, chaque vie est sacrée, puisse son sacrifice compenser celles qu’il a prises.
Sans un mot de plus, les Infiltrateurs le détachèrent, et alors qu’il essayait de partir en courant, le Sergent lui tira dessus, faisant exploser sa tête comme une rose éclosant à grande vitesse. Après quoi, chaque homme vint présenter ses respects aux nombreux corps gisant au sol avant de retourner aux fenêtres. Interloqué, Clarius se racla la gorge.
— Ce cérémonial, c’est pourquoi ?
Le Sergent regarda le petit homme d’un œil incisif qui semblait évaluer son âme.
— Notre chef a une sainte horreur des vies gâchées inutilement, et il a raison. Alors même si cet homme était un criminel, et même s’il n’était pas volontaire, son sacrifice doit être honoré. Même les pires des pires peuvent aider en toute situation. Quant aux Prétoriens, ils ne sont que d’innocentes victimes manipulées par les mensonges du Saint de Jade, et eux aussi ne méritaient pas de mourir inutilement.
Fixant un crochet motorisé à son câble, il tendit ensuite la main vers le Seigneur-judiciaire.
— Me ferez-vous l’honneur de faire le trajet à mes côtés ?
Déglutissant difficilement en observant le vide sous ses pieds, Clarius hésita.
— Si vous me promettez de ne pas me lâcher en cours de route…
Le Sergent sourit.
— Notre mission rend toute vie sur ce monde plus importante que la nôtre, et à l’heure actuelle la vôtre est encore au-dessus du lot.
Clarius le dévisagea quelques secondes, peinant à imaginer ses sauveurs comme les monstres décrits par l’Histoire de ce monde.
— Alors c’est vrai ? Les Géno-modifiés ne sont pas simplement des guerriers à la solde de la Famille Royale ? Vous êtes avant tout les protecteurs du Peuple ?
Le Sous-Officier opina du chef.
— Nous avons même un protocole pour écarter pacifiquement la Famille Royale si elle ne protégeait plus le Peuple. Et c’est parce que nous avons cette mission sacrée que nous allons faire tomber les Guerriers de Jade.
Clarius se mit dans l’étreinte puissante du bras qui l’assurait contre la chute tandis que le moteur du crochet se mettait en route et que le Sergent reprenait son explication.
— Nous savons que nos propos peuvent ressembler à ceux d’extrémistes religieux, mais il s’agit en fait d’une dévotion totale à la cause que nous défendons depuis des siècles en secret.
— Je vois ça…
Quelques minutes plus tard, tout le groupe posa pieds sur l’immeuble d’où ils étaient partis tandis qu’une équipe de guerriers judiciaires pénétrait en force dans l’appartement de leur Seigneur avant de s’arrêter plein, d’effroi devant les morts qui s’étalaient à leurs pieds. Sortant un petit boîtier, le Sergent des Infiltrateurs y tapa un code qui entraîna la combustion de leur camarade gisant en contrebas et l’explosion de son équipement, n’en laissant que quelques petits tas de cendres refroidir dans la flaque de sang coagulant. Se retournant sans plus de cérémonie, le Sergent invita le Seigneur-Judiciaire d’un mouvement de la main.
— Il est temps de rejoindre notre Capitaine et de rétablir la Vérité et la Paix. Venez.
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