Genèse du monde d'Ouronahrios
Ourobouros Robros errait dans le vide. Tout ce qui l'entourait était noir. Où qu'il aille, quoi qu'il fasse, il ne rencontrait rien qui brise la monotonie de ce néant. Au mieux, parfois, une de ses mues. Pour se divertir, il usait de temps à autres de ses pouvoirs. Il sortait son esprit de son corps, changeait sa taille ou son apparence.
Après un temps indéfinissable d'errance, il s'ennuya. La solitude lui pesait. Il ferma alors les yeux, et explora les divers avenirs possibles. Un de ces futurs l'intéressa, et il le concrétisa. Il arqua son long cou, et s'arracha une griffe située sur l'une de ses deux ailes. Le dieu laissa flotter cette part de lui-même, et il l'imprégna de sa volonté. La griffe prit une nouvelle forme. Rapidement, cela revêtit une apparence inédite au sein de ce vide.
Ourobouros observa ce corps sous toutes les coutures. Il avait une sensation étrange de déjà-vu, alors même qu'il découvrait ce qui, bientôt, lui tiendrait compagnie. Ça avait la forme d'une licorne. Une licorne dépourvue de poils, au cuir lisse et brun, à la mâchoire s'ouvrant bien plus que ce à quoi il s'attendait. Aussi, elle était pourvue d'ailes membraneuses.
Le dieu prit une grande inspiration, et concentra de nouveau sa volonté. Alors, avec une infinie douceur, il offrit la vie au corps flottant. Un son, véritable, issu de la réalité et non d'une vision, résonna alors dans son esprit.
"Freiyx".
Ce qu'il venait de créer se nommait Freiyx. Un nouveau dieu s'éveillait dans le néant. Sa première action fut d'observer ce qui l'entourait. Ourobouros le laissa libre d'errer où bon lui semblait, d'agir selon ses envies. Quand Freiyx revint le voir, ils purent converser. Ils ne possédaient pas de langage, mais ils échangeaient leurs sensations, leurs envies et tout ce qui leur traversait l'esprit.
Pourtant, cette nouveauté ne suffit pas à Ourobouros. Freiyx était bienveillant, curieux, disposé à se chamailler sans raison, mais l'ennui revint. Le second dieu aussi fut touché par ce fléau. Alors, Ourobouros s'intéressa de nouveau aux divers avenirs possibles, laissant son compagnon observer lui aussi. Ils hésitèrent sur la suite. Une infinité de possibilités s'offrait à eux.
Ils choisirent d'engendrer une autre divinité. Ils découvrirent alors que Freiyx ne pouvait donner le souffle de vie. Ourobouros s'arracha une écaille, et cette fois-ci veilla à l'imprégner de son pouvoir créateur. De nouveau, il prit une grande inspiration. Freiyx l'observa avec intérêt.
Ourobouros était un monumental serpent ailé, avec une longue et épaisse crête osseuse courant sur son dos, du milieu du front au bout de la queue. Il possédait de larges écailles grises, et des griffes noires comme sa crête à triple rangée de piques. Alors qu'il s'apprêtait à insuffler la vie, des couleurs chattoyantes dessinèrent des symboles sur son corps. Freiyx pressentit en cet instant que son créateur avait un passé.
Le premier dieu, au moment de donner la vie, se sentit tomber. Il sut, de manière instinctive, qu'il s'agissait d'un écho du passé. Le seul antérieur à son errance dans le vide. Il tombait dans ce néant, et éprouvait une colère noire. Une voix, venant d'une autre divinité, plus faible que lui, assénait les dernières paroles qu'il entendrait avant longtemps :
"Si ça ne tenait qu'à moi, tu serais détruit... C'est tout ce que méritent les traîtres dans ton genre. Il a été décidé que tu errerais dans le Néant. Et nous maudissons ton ichor. Un de tes descendants t'égalera, et tentera de te détruire. Une chance sur deux pour toi d'y passer, et de disparaître une bonne fois pour toutes."
Ce souvenir n'avait été qu'un flash, et jamais Ourobouros ne parvint à en savoir plus. Il repensa à la création de Freiyx. Un peu de son sang était resté dans la griffe dont ce dernier venait. Et l'écaille à laquelle il donnait la vie en portait aussi. Il préféra attendre. Il devait en savoir plus sur cette malédiction.
À sa grande surprise, l'écaille se scinda en deux. D'un côté, une licorne à la robe baie bondit, et s'éloigna d'eux à vive allure. De l'autre, un dragon blanc, bipède, aux ailes bleu ciel, s'envola et partit dans la direction opposée.
Freiyx voulut les poursuivre, mais Ourobouros le retint. Que ces divinités jumelles découvrent par elles-mêmes. Quand elles revinrent, la licorne se présenta sous le nom de Hayonéis. Vouivria s'amusa à changer de taille pour courser tout ce qu'elle pouvait.
Quand ces quatre dieux se connurent, ils décidèrent qu'il était temps de créer un monde. Un lieu où la Vie pourrait s'installer, et prospérer. Les visions d'Ourobouros servirent grandement à Hayonéis. Vouivria possédait une mémoire fort utile, qui leur évita de perdre du temps. Freiyx, lui, apaisait les tensions quand les avis divergeaient.
Une fois certains de réussir, et prêts, Ourobouros laissa ses deux filles engendrer, à partir de rien, la terre et l'eau. Pour empêcher ces deux éléments de se disperser dans le néant, elles créèrent chacune un esprit lié à ces deux bases. Imprégnés de puissance divine, ils obtinrent une certaine emprise sur l'intégralité des éléments qui pouvaient exister. Les quatre esprits primordiaux naquirent. Deux esprits de l'eau, et deux esprits de la terre.
De nouveau, les quatre dieux laissèrent le Temps faire son oeuvre. La gravité donna une forme ronde à la planète en formation. Ourobouros et Hayonéis avaient bien vite estimé que laisser les lois de la physique agir sans contrainte magique leur faciliterait grandement la tâche, quand la vie se développerait.
Ils constatèrent que, à l'exception de changements géologiques, rien ne se passait. Ourobouros fit alors barrage de son corps, entre le Néant et la planète. Pour plus de sûreté, il forma un anneau de son corps, y plaqua ses ailes déployées, et se mordit la queue. Il prit une écaille à part, et en fit son avatar. Lui, Freiyx et Hayonéis eurent fort à faire pour dissuader Vouivria de jouer avec la planète. La déesse licorne profita de ce temps d'attente pour créer divers langages. Seule Vouivria jugea inutile de s'y plier. Elle préférait se servir de ses muscles, et s'amuser à pourchasser tout ce qu'elle voyait.
La déesse dragon trouvait triste ce monde perpétuellement dans l'ombre, et déprimant par sa froideur. Alors elle décida, sans en prévenir les autres, de cracher une boule de feu qui frôla la planète. Cela donna l'idée à Hayonéis de créer un soleil. La lune parut quelques temps plus tard, quand ils se rendirent compte que la masse de Vouivria engendrait des marées lorsqu'elle volait en rase-motte.
Cette fois, la vie se développa. Cela commença par des cellules éparses. Les quatre dieux, et les quatre esprits, se sentirent heureux comme jamais auparavant. Intenable, Vouivria voulut voir cette vie de plus près. Sa puissance était telle que cela détruisit les entités monocellulaires. Ils surent alors qu'ils ne pourraient intervenir directement auprès des vivants. Pas sans les anéantir par leur seule présence.
Pendant que la vie revenait, Freiyx découvrit d'autres plans d'existence. Jusqu'à présent, ils avaient régenté un plan physique, mais leurs pouvoirs s'étendaient à bien d'autres domaines. Avec Hayonéis, il explora ces possibilités nouvelles. Et avec Ourobouros, ils réfléchirent sur un sujet perpétuellement ouvert : devaient-ils rendre les vivants doués de magie, ou non ?
Pendant ce temps, les organismes monocellulaires se complexifièrent. De longs, très longs millénaires plus tard, des formes de vie complexes sortirent de l'eau. Bientôt, des insectes géants volèrent partout. Toutes ces cibles mouvantes attirèrent Vouivria, et sans y prendre garde elle généra une extinction de masse. Freiyx parvint à limiter les dégâts.
Quand de grands mammifères arpentèrent le monde, les dieux retinrent leur souffle. Ourobouros avait vu que ces vivants-ci engendreraient des civilisations intelligentes. Il avait déjà partagé ses projets, concernant ce monde. Les autres approuvaient.
L'Histoire qu'écriraient les vivants, et surtout les êtres civilisés, devait appartenir aux seuls concernés. Les mortels écriraient eux-mêmes leur Histoire. Ils croiraient librement, sans que rien ne leur soit imposé par les dieux ou les esprits. Sauf en cas de force majeure, aucun des immortels ne devait intervenir auprès des êtres intelligents qui ne sauraient tarder à voir le jour.
Pendant cette lente émergence, Ourobouros avait permis aux esprits primordiaux et à ses deux jumelles de faire naître des animaux créés de toute pièce. Dragons et licornes envahirent le monde. Issus du sang des esprits, ils avaient accès à la magie. Par ailleurs, les esprits aimaient s'accoupler de temps à autres à ces créatures, renforçant alors leur lien avec la magie. Hayonéis leur donna accès aux langues qu'elle avait créées, afin que la magie n'échappe pas au contrôle de ces mortels. Par ailleurs, les primordiaux, en plus de mêler leur sang à celui des mortels, se scindaient parfois, afin de ne plus s'occuper d'un ou plusieurs éléments. Les esprits devinrent innombrables, et lorsque l'un d'entre eux, après trop de morts, ne renaissait plus, l'un de ses pairs prenait le relais dans ses fonctions.
Puis un animal particulier attira l'attention des immortels. L'Homme. Sans aucune aide, il sut créer un langage, des outils, plusieurs tribus et autant de débuts de civilisations virent peu à peu le jour. Les dieux furent heureux.
À force d'insistance, Hayonéis obtint de son créateur la permission d'approcher ces êtres civilisés, afin de partager avec eux certaines de ses connaissances. Eux lui firent découvrir la roue, elle la fabrication de plaquettes de cire.
Hayonéis finit par estimer que l'Humanité ne progressait pas assez vite. Elle voulait partager avec eux ses découvertes sur l'électricité, ses réflexions sur la liberté et ses interrogations sur les atomes. Alors, elle obtint de nouveau la permission de les assister. Toutefois, elle se devait d'agir de façon moins directe. Aussi, elle désigna les licornes comme guides spirituels, philosophiques et judiciaires. Désireuse de ne pas être mise de côté, Vouivria imposa les dragons comme mémoires vivantes.
Ourobouros fut submergé de visions. Ces deux choix impactaient de façon indélébile l'Histoire mortelle. Tant pis. Les Hommes vouaient désormais un culte aux dragons, et n'agissaient qu'à peine sans l'aval des licornes.
Puis l'Humanité se lassa de la servitude et de la dépendance. C'est à cet instant, que deux autres peuples naquirent. Les dragoniens et les licorniens. Dragons et licornes leur cédèrent leurs responsabilités, puis ces deux nouveaux peuples ne tardèrent pas à prendre à leur tour leur indépendance. L'Humanité se développa plus rapidement une fois autonome.
Pendant ce temps, les esprits s'étaient multipliés. Chacun des quatre agit comme Ourobouros, afin de déléguer divers éléments à leur descendance issue d'eux-mêmes. Les nouveaux venus intriguèrent, et bien vite le nombre d'esprits élémentaires évolua constamment.
Pendant longtemps, Hayonéis voulut unir les trois peuples en un seul. Puis, du jour au lendemain, elle décréta que Vouivria n'appartenait pas à leur panthéon. Cette idée devint une obsession. Les hommes, de par leurs croyances, donnèrent vie à de nouveaux dieux. La quasi-totalité de ces jeunes divinités voulurent rivaliser avec le Panthéon Robros.
Malgré la folie de Hayonéis, jamais le panthéon d'Ourobouros ne fut inquiété par ces nouveaux venus. Tout se passait presque invariablement de la même façon. Une population humaine suivait les directives d'un illuminé quelconque. Leur croyance donnait vie à une ou plusieurs divinités, convaincues d'exister depuis la nuit des temps, d'avoir créé le monde de leurs propres mains. Puis les panthéons se rencontraient.
Tout d'abord, les jeunes dieux faisaient profil bas face aux anciens. Puis, quand ils pensaient voir une faille dans la toute-puissance des véritables créateurs, ils les attaquaient. Cela permit au Panthéon Robros de découvrir quelques petites choses sur leur puissance. Les dieux se renforçaient avec le Temps, et avec la foi que leurs vouaient les mortels. Plus le culte comptait d'adeptes, plus les entités priées et louées gagnaient en puissance.
Pensant à tout le Temps écoulé depuis la création du monde, au temps pris pour décider de le créer, puis à l'attente de l'émergence et de l'évolution de la vie, Vouivria s'estima invulnérable face à leurs assaillants, et elle prit plaisir à les dévorer, prenant des risques inconsidérés. Elle devint le bras armé de son panthéon. Hayonéis, elle, intriguait régulièrement contre sa soeur, et pour saper les forces ennemies de l'intérieur, grâce aux guerres intestines. Freiyx lui, tentait d'amener la paix. Il voulait connaître chaque nouveau dieu. Enfin, Ourobouros observait tout cela de loin.
L'ennui le gagnait toujours. Les mortels répétaient les mêmes histoires. Chaque nouveauté était la bienvenue. Puis l'émergence régulière d'ennemis le lassa. Son venin, innoculé à chaque morsure de son avatar, suffisait à terrasser ses ennemis. Ceux qui renaissaient se faisaient oublier de leurs fidèles, faute de miracle, car le venin touchait aussi bien leur corps que leur âme, et restait entre chaque résurrection. Il pouvait faire apparaître une flamme incarnant l'existence même de son opposant, et l'éteindre en refermant le poing. Il pouvait aussi s'amuser à créer d'autres entités, dans le seul but de les faire combattre à sa place. Il ne trouvait aucune limite à ses capacités.
Pour finir, ses ennemis ne l'écoutaient pas. Il les prévenait de la futilité de leur quête de puissance absolue et sans partage. Alors il laissa ses enfants affronter seuls ces petits dieux arrivistes.
À ces vagues de dieux hostiles, s'ajoutèrent les mortels se jouant des lois de la nature. Freiyx avait pensé à un Enfer et un Paradis, les esprits avaient concrétisé cette idée. Et quand des mortels trouvèrent comment se jouer de la mort, alors surgirent les Aberrations, des non-morts perturbant à eux seuls l'équilibre entre vie et mort.
À l'époque des premiers mammifères, Freiyx avait offert des âmes. Les animaux avaient alors développé des personnalités propres. Ses soeurs avaient suivi le mouvement, jusqu'à ce que tout ce qui vivait soit pourvu d'une âme. Ces aberrations brisaient le cycle d'existence des âmes. À la mort, ces petites choses immatérielles venaient en Enfer ou au Paradis, pour se défaire des souvenirs de leur vie passée. Ceci fait, elles se réincarnaient ailleurs. Les Aberrations portaient atteinte à divers moments de ce cycle. Les conséquences passionnaient le Créateur.
S'intéressant aux capacités des deux plus jeunes peuples, il ne vit pas venir un cataclysme. Sa fille préférée donna naissance à une demi-déesse. Cette dernière, joueuse et irréfléchie comme sa mère, prit un malin plaisir à modifier tout ce qu'elle pouvait. Des roches prirent vie, des mortels rajeunirent, certaines flammes absorbèrent la chaleur et de l'eau se mit à flotter dans les airs. Les conséquences furent catastrophiques, surtout quand la fille de Vouivria donna d'immenses pouvoirs aux mortels dans le seul but de les affronter et de les mettre difficilement en pièces.
À ce chaos, s'ajouta l'amour maternel de la Déesse dragon, et la tempérance à toute épreuve de Freiyx. Ourobouros parvint à trouver un compromis avec son aîné, mais fut contraint d'altérer la mémoire de sa fille. Pendant que le Créateur manquait de peu de la faire disparaître pour effacer les souvenirs de Rêmdoohma, ainsi que toute trace de son existence, Freiyx piégea la demi-déesse au centre du monde. Là, ils purent l'endormir pour l'éternité.
Allant jusqu'à effacer la demi-déesse de la mémoire de tout ce qui existait, y compris lui-même, Ourobouros se demanda si sa malédiction ne risquait pas de s'incarner en un demi-dieu. Il se souvenait seulement que Vouivria avait donné la vie à quelque chose ayant pu le blesser.
Un siècle à peine après ces événements, il sut que d'autres mondes que le sien existaient. Un portail s'ouvrit, et servit de porte d'entrée pour des vivants qu'il ne connaissait pas. Malheureusement, la composition de l'air les tua. Ces événements devinrent réguliers.
Ce qui devait arriver un jour arriva. Des elfes se réfugièrent dans le monde d'Ouronahrios, et s'y installèrent durablement. Un dieu voulut les suivre, mais Ourobouros préféra que ce peuple prenne un véritable nouveau départ. D'autant plus que ce dieu arrivait à une période où les panthéons hostiles se succédaient à un rythme effréné.
Deux autres populations elfiques se succédèrent, s'installèrent et confondirent les esprits élémentaires avec des dieux, renforçant grandement leur puissance. Puis vint une quatrième vague d'elfes. Ceux-ci ne ressemblaient à rien de ce qu'avait pu voir Ourobouros. Aucune de ses visions ne l'y avait préparé, Vouivria pouvait le confirmer.
Ces elfes-ci, se nommant Yrdeï, portaient en eux d'infimes parcelles de ce qui se présenta comme une Puissance Ancienne. Cette dernière reconnut Ourobouros comme "le quarante-et-unième Robros, Clairvoyant des Destructions". Il ne put lui soutirer plus d'informations, la Puissance Ancienne se montrant hostile à son égard. Alors qu'il tenait les flammes d'existence des Yrdeï au creux de sa paume, près à éradiquer ce lien entre la Puissance Ancienne contre laquelle il se sentait impuissant, et lui-même, la menace lui imposa de garder ces mouchards. Autrement, les répercussions seraient terribles. Ses visions confirmèrent la menace. Ourobouros permit aux Yrdeï de s'installer en son monde, mais il ne leur laissa jamais la place pour devenir un peuple puissant, malgré l'étrangeté de leurs pouvoirs.
Des panthéons ennemis, voyant le Créateur faire profil bas, s'agitèrent assez pour que Vouivria, en les pourchassant, détruise les civilisations d'où ils venaient. Alors que les hommes avaient investi un total de six continents, il ne subsista bientôt plus qu'une civilisation, située sur le continent le plus peuplé, où vivaient toutes les races, et toutes les hybridations possibles.
À cet affaiblissement général, suivit l'arrivée d'anges et de démons. Ils arrivèrent de la même manière que les elfes, mais réussirent l'exploit de rester libres dans leurs mouvements. Ils pouvaient aller de monde en monde, sans conséquence pour eux.
Leur venue rendit le monde instable. Tout devait trouver un nouvel équilibre. La vie et la mort, mais aussi la Lumière et les Ténèbres, la présence ou l'absence de magie parmi les vivants, et tant d'autres choses. Cette fois il écouta Friyx, et laissa faire.
Quand un nouvel équilibre fut trouvé, survint Sionndéress. L'hybridation d'une archidémone, et d'un Invocateur dragonien pouvant appeler l'esprit de la Lumière. Sionndéress en retira une toute-puissance impressionnante. Il parvint à quelque chose de jamais vu. Il chassa les elfes du continent, ainsi que les licorniens. Il fit s'élever des montagnes, pour séparer les dragoniens des humains. Et alors, il unifia les clans dragoniens, et en devint dictateur. Pendant des siècles, il écrasa toutes les formes de résistance, infiltrant tout de ses espions, parvenant à briser tous les espoirs de liberté des siens.
La situation faisait écumer Vouivria de rage mais, après la destruction de civilisations entières, les dieux n'avaient plus le droit de s'attaquer directement aux mortels. Tous les champions qu'elle désignait se faisaient massacrer. Sionndéress, de par son sang démoniaque, ne vieillissait pas, ne tombait pas malade et se régénérait inlassablement, survivant aux pires blessures. De ses pouvoirs d'Invocateur, il réalisait des exploits innégalables pour le commun des mortels. Il parvint même à assujettir d'autres démons. Par l'accumulation de connaissances, il se défit même de l'autorité des esprits.
Quand Sionndéress porta atteinte à l'écoulement même du Temps, afin que chaque saison se répète à l'identique, Ourobouros estima que son règne avait assez duré. Sionndéress avait fini par ressembler à n'importe quel dictateur ne connaissant plus de limite, ce qu'il faisait à ses sujets n'était qu'une répétition sans intérêt des agissements des hommes de pouvoirs.
Pour la toute première fois, Ourobouros intervint directement parmi les mortels. Il envoya un avatar, pourvu d'un seul de ses pouvoirs et de sa résistance divine. L'avatar apparut à l'entrée du palais du dictateur, et nul mortel n'osa se mettre sur sa route. Seul Sionndéress n'éprouva aucune crainte. Le Créateur prit son temps, savoura la nouveauté de la situation, avant de le faire disparaître. Après quoi l'avatar, désormais inutile, se désintégra.
Pour les mortels, la disparition soudaine et inespérée de Sionndéress causa beaucoup de changements. Les peuples chassés revinrent à leurs terres d'origine, beaucoup s'attachèrent à détruire la montagne coupant le continent en deux, et l'organisation clanique des dragoniens revint le plus naturellement du monde. Tous voulaient oublier ce sombre incident. Même les démons se jurèrent que ça ne recommencerait pas. Ceux qui tentaient de réitérer les exploits du demi-démon se faisaient dévorer par leurs pairs. L'asservissement par un demi-sang leur resta en travers de la gorge.
Après quoi, l'Histoire se poursuivit. Anges et démons s'anéantissaient mutuellement, et poussaient des mortels à se battre pour eux. Dragoniens et licorniens s'étripaient. Les elfes se massacraient les uns les autres. Tous les peuples étaient rongés de querelles intestines et les alliances impliquant des étrangers ne duraient jamais longtemps. Des panthéons voyaient le jour, puis désiraient remplacer les quatre Créateurs.
Tout ceci devint routinier. Jusqu'à ce que Hayonéis donne sa préférence au peuple licornien, et décide que les clans devaient s'unir en une royauté. Les autres dieux savaient que, ainsi unie, cette race pourrait s'imposer irrémédiablement aux autres. Pendant que la royauté licornienne se mettait en place, Vouivria s'investit auprès des dragoniens pour en faire de même. Les licorniens furent jetés à la mer par les dragoniens, puis le peuple écailleux éloigna toutes les autres civilisations de son continent.
Malgré la puissance de la royauté licornienne, jamais ils ne purent revenir sur leur continent d'origine. Tous ces exodes séparèrent les peuples pendant de longs millénaires. Cela donna des résultats fort divertissants pour le Créateur. Les hybrides, accusés de tous les maux durant la conquête dragonienne, trouvèrent refuge sur un continent que le premier roi licornien leur céda, et ils formèrent le peuple dragocornien, qui s'attira la bienveillance de Freiyx.
Quelque millénaires après l'émergence des deux royautés, les esprits déclarèrent qu'anges et démons prenaient trop de place dans l'Histoire, et les éradiquèrent.
En désignant leurs champions, Vouivria et Hayonéis avaient tout raconté aux mortels. Par conséquent, certains voulurent vouer un culte à Ourobouros.
Jamais il ne les laissa faire. Les croyances mortelles allaient le changer, tout comme elles modifiaient et créaient des dieux. Il tenait à rester lui-même. Un simple observateur, n'intervenant qu'en dernier recours, et préférant laisser les mortels écrire leur Histoire librement. Un dieu se méfiant du fruit des amours de Vouivria, bien conscient que sa malédiction se jouerait, d'une façon ou d'une autre, à travers elle. Un dieu se méfiant du possible retour de la Puissance Ancienne, toujours présente parmi les Yrdeï.
Les mortels qui voulaient lui vouer un culte en feraient une divinité bienveillante et justicière, intervenant en tout. Il savait que les mortels possédaient une véritable autorité sur les dieux. Vouivria, quelques millénaires après la mise en place de la royauté dragonienne, s'exprimait dans un langage parlé et réfléchissait. Hayonéis devenait plus contemplative. Freiyx s'enfermait toujours plus dans les âffres de l'hésitation, et, déjà peu actif de nature, se paralysait désormait à chaque fois qu'il estimait devoir agir. Ourobouros ne comptait pas se laisser modifier.
Il resterait sourd aux désirs de justice divine, et indépendant de l'existence des mortels pouvant le vénérer. Si d'aventure, d'autres peuples devaient surgir, quelques continents restaient libres.
An 500 410 du quatrième calendrier dragonien après l'Unification et le couronnement de leur premier roi :
Ourobouros contemplait, comme toujours, son monde. Les quatre populations elfiques, les deux civilisations humaines, les peuples dragonien, licornien et dragocornien existaient toujours. Les jeux d'alliances se poursuivaient. Hayonéis restait convaincue de la duplicité de Vouivria.
Le Créateur venait d'avoir une vision, et cherchait à en vérifier la probabilité de survenue. Un second Sionndéress, guidé par un esprit renégat. Après de longues recherches, il trouva un continent anormalement déserté par la vie. Cela témoignait de plusieurs choses. Une ou plusieurs Aberrations y résidaient depuis longtemps, et ils étaient parvenus à lui dissimuler cela. Non seulement à lui, mais aussi aux autres dieux et aux esprits, pourtant sur le qui-vive.
Heureux de voir cette source de distraction future, Ourobouros améliora encore les défenses de ce continent. Cela faisait longtemps qu'une Aberration n'avait pas menacé l'équilibre entre la vie et la mort. Il savait aussi que, comme d'autres mondes et d'autres types de divinités existaient, il fallait toujours que les mortels soient prêts à affronter tout type de danger. Alors, il laissa ce danger-ci croître. S'il devait intervenir, alors il laisserait d'autres Aberrations venir. Cela signifierait que les mortels ne sauraient plus y faire face.
L'esprit retourné dans son corps pétrifié, Ourobouros jubila. Il avait hâte de connaître cette Aberration, ses motivations et ses moyens. Il voulait voir la réaction des mortels face à cette menace. Il n'avait plus qu'à attendre, et admirer le spectacle.
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