Je m'appelle Ange
- Non, vraiment les mecs, c’est chaud là, ma mère est furax.
- A qui tu parles, Baptiste ?
- Vous entendez ? Elle me laissera jamais sortir.
Je soupire et donne un coup de pied dans le bureau en bois de Lucas, qui me lance un regard réprobateur.
- Et si on te fait sortir en douce par la fenêtre ? propose-t-il.
- Elle est carrément sur mon dos, elle va venir vérifier si je suis là toutes les demi-heures.
- Bah on te ramènera toutes les demi-heures, tranquille.
- Ah ah, souffle-t-il ironiquement. Non, c’est mort, allez-y sans moi, tant pis. Mais, Jules ?
- Oui ? je demande.
- Envoie-moi une vidéo quand Lucas sera pété et qu’il commencera à chanter comme une meuf. D’ailleurs, dites à Sarah-Gros-Seins que j’aurais ki-ffé être là.
Je lève les yeux au ciel avant de répondre :
- Ca marche.
- Bon, je vous laisse, ou ma mère va péter un câble.
Il raccroche, et Lucas lève les yeux vers moi, l’air résigné. Cette soirée, c’est lui qui y a été invité, pas moi, ni Baptiste, et je comptais sur ce dernier pour y aller sans me sentir comme un touriste. Maintenant qu’il nous a abandonné, je suis plus vraiment chaud pour…
- Non, non, non, Jules, intervient Lucas. Je sais à quoi tu penses, et c’est mort. Tu ne vas pas m’abandonner, toi aussi.
- Mais mec, je connais personne à cette soirée, toi si, ça te changera rien que je vienne ou pas !
- Je connais pas tant de monde que ça, et j’ai envie que tu viennes, ça va être cool.
Je plisse le nez alors qu’il ouvre de grands yeux d’enfants pour me convaincre, et je pousse un grognement.
- Bon. De toute façon, il est trop tard pour que je rentre chez moi.
- Ouais, carrément, donc c’est plié.
- Mais bon, il est un peu tard pour se ramener là-bas aussi, non ? Et si on se matait juste un film en mangeant une pizza ?
- Nooooon, Jules, je t’en supplie. En plus, ça sera plus simple pour toi de te faire des potes, comme tout le monde sera déjà bourré ! Et au pire des cas, si tu te fais trop chier, je te passe mes clés et tu reviens ici, c’est à deux rues.
Je pèse le pour et le contre alors qu’il me regarde, l’air à deux doigts de se mettre à genoux.
- Vas-y, OK. Mais tu me le revaudras.
- Oui, tout ce que tu voudras. Je te le promets, mon Jules chéri.
Il m’adresse un clin d’œil coquin alors que je mets ma veste en riant. On avait prévu d’arriver assez tard à cette soirée, pour être direct dans l’ambiance, mais comme Baptiste nous à fait garder espoir jusqu’à la dernière minute, on ne part que maintenant.
Le trajet est rapide, et la maison de la fille est direct reconnaissable : la seule qui ait l’air d’une boîte de nuit au milieu d’une rue de petits vieux. Des filles éméchées sont assises sur le trottoir d’en face, l’une d’entre elle pleure en parlant d’un mec, et je regrette aussitôt d’avoir cédé à Lucas. Mais c’est trop tard, et il se dirige déjà vers la porte d’entrée entrouverte.
- Lucas, mon pote ! On a cru que t’arriverais jamais !
Le mec qui l’accueille, un de ses potes du basket, se désintéresse vite de nous quand il aperçoit la bouteille qu’on a ramené. La maison n’est pas petite, mais il est difficile d’avancer avec tout le monde qui y est.
- Elle a invité tout le lycée, ou quoi ? je demande malgré la musique.
- Quoi ? crie Lucas.
Je secoue la tête pour qu’il laisse tomber, et continue à le suivre dans la maison.
- Et si t’allais nous chercher des bières ? Ou autre chose, tant que c’est alcoolisé. Je vais aller mettre nos affaires dans une chambre.
Je lis la phrase sur ses lèvres plus que je ne l’entends, et hoche la tête en lui passant ma veste et mon sac. Il me sourit et fais demi-tour, m’abandonnant dans cette foule d’ados bourrés surexcités. J’en bouscule quelques-uns pour me frayer un chemin jusqu’à la cuisine et y prendre deux bières avant de revenir sur mes pas en essayant de pas les renverser. Un groupe de filles chante sur une musique que je connais pas, et l’une d’entre elle me lance un grand sourire en s’approchant de moi. Oh non. Me faire draguer par des filles mignonnes, OK. Mais me faire draguer par des filles complètement bourrées, je passe mon tour.
- C’est pour moi, le deuxième verre ? me demande-elle d’une voix pâteuse.
- Je crois que t’en as déjà un.
Elle rigole comme si j’avais sorti la blague de l’année, avant de plonger le nez dans son gobelet pour s’approcher un peu plus du coma éthylique. Je la rattrape par le coude alors qu’elle tangue dangereusement sur le côté.
- Dis, t’aurais pas vu Lucas ?
Je prie en silence pour qu’elle le connaisse et que je n’ai pas à m’attarder plus longtemps, mais elle me lance un regard confus.
- Grand avec une casquette, noir, un style douteux, je précise.
Ses yeux s’illuminent alors qu’elle pointe le doigt derrière moi en répondant :
- Oh ! Mais oui, l’ex de Juliette. Il est parti en haut avec elle y a genre… cinq minutes.
- Sa phrase annonce la suite de la soirée mille fois plus ennuyeuse. Evidemment, Lucas savait que Juliette serait là, ce qui explique son extrême envie de venir. Comme après chacune de leurs ruptures (la cinquième, je crois), ils vont se revoir, s’embrouiller, et faire d’autres trucs que je veux pas trop imaginer, et tout ça en l’espace de quelques heures.
Les gobelets toujours en mains, je me retourne en remerciant la fille pour rejoindre l’escalier qu’elle vient de me désigner. Alors que je traverse le couloir, quelqu’un me percute de plein fouet, et ma jauge de désespoir se remplit considérablement alors que le contenu d’un des verres se répand sur mon t-shirt.
- Merde, je suis vraiment désolé, je…
Je pose le verre vide sur une marche de l’escalier avant de lever les yeux pour les poser sur mon agresseur, mais il disparaît presque aussitôt dans les toilettes, juste en face, en tenant les cheveux d’une fille qui vide son estomac dans la cuvette.
La tête du garçon qui l’aide réapparaît, des cheveux châtains en bataille cachant presque des yeux bleus très clairs ; il regarde mon t-shirt avant de lever les yeux vers moi.
- Je t’avais pas vu, désolé… Elle est malade.
Il caresse le dos de celle que je pense être sa petite-amie alors que je secoue la tête.
- T’en fais pas, c’est qu’un t-shirt et de la bière.
- Je parlais plus de son vomi.
Je baisse brusquement la tête et remarque avec dégoût la substance visqueuse et blanchâtre qui tâche le tissu.
- Oh.
- J’ai sûrement un autre t-shirt dans mon sac.
Il désigne la fille avant d’ajouter :
- Si tu m’aides à la monter, je te le passerai.
- Elle m’asperge de vomi et je dois t’aider à la border ?
Il ouvre la bouche, mais ne trouve rien à redire, alors il hausse les épaules, l’air amusé.
- Je rigole, je vais vous aider.
Je m’approche d’eux pour mettre le bras de la fille sur mon épaule et la soulever, alors que l’inconnu fait la même chose de l’autre coté. Il est beaucoup plus grand que moi et la fille, et cette dernière tient à peine debout, son poids reposant presque totalement sur nous deux, ce qui rend la tâche compliquée. Arrivés en haut, nous l’allongeons sur le premier lit que nous trouvons, et elle pousse un soupir satisfait, avant de se saisir de la main du garçon et de marmonner :
- Merci, Ange. Tu es le meilleur meilleur ami de l’Univers. Tu es mon Ange gardien.
Elle tourne la tête pour me regarder, avant de lancer d’une voix alcoolisée :
- Et toi aussi, l’inconnu. Désolée de t’avoir vomi dessus.
Elle soupire, et ferme les yeux.
- C’est pas ta petite-amie ? je demande.
- Oula, non. J’y survivrais pas. C’est Axelle, ma meilleure amie, je la connais depuis toujours.
- Ah, la meilleure de l’Univers ?
- Non, ça c’est juste moi, elle ne sera jamais à mon niveau, dit-il avec un petit sourire.
- Oh, je vois, je dis en riant.
Ile me regarde fixement, un sourire aux lèvres, et je me sens soudain gêné. Pris de panique, j’essaie de relancer la conversation :
- Et, euh… C’est quoi ton nom ?
- Je m’appelle Ange.
- Ange ?
- Ange.
Il a toujours un sourire aux lèvres, je me doute qu’il doit souvent faire face à ce genre de réactions en se présentant. Je panique à nouveau, de peur qu’il soit agacé, et je bégaye :
- Je… Je pensais que c’était un surnom, tu sais… quand elle t’a appelé comme ça tout à l’heure, c’est original. C’est… C’est joli.
Ses yeux sont rieurs alors qu’il me remercie. Il n’est pas agacé, il est juste amusé, et c’est tant mieux.
- Et toi, comment tu t’appelles ?
- Jules.
- Jules ? demande-t-il en ouvrant de grands yeux étonnés, comme s’il n’avait jamais entendu ce prénom de toute sa vie.
Je rigole à sa moquerie et réponds sur le même ton que lui il y a quelques secondes :
- Jules.
- Tu es au lycée, Jules ?
Il appuie sur mon prénom, ce qui rend sa phrase presque intime, alors qu’il ne demande rien d’indiscret, et je réponds confusément :
- Je… Oui. Je t’ai jamais vu, je crois.
- Moi non plus, mais on est beaucoup, c’est normal.
Je hoche la tête et baisse les yeux, les siens toujours posés sur mon visage. Axelle, à côté de nous, émet un grognement fatigué en posant un bras sur ses yeux fermés.
- Bon, je crois que je t’ai promis un t-shirt, lance-t-il en désignant le mien, couvert de bière et de vomi. Tu me suis ?
J’acquiesce et me lève pour le suivre dans une sorte de bureau fourre-tout, où de nombreux sacs – probablement ceux des gens de la soirée – sont entassés. Ange s’accroupit, et fouille parmi les affaires en me demandant :
- Par qui tu as été invité ?
- Euh, Lucas, Le pote d’un pote de celle qui fait la soirée.
Il se retourne et me regarde en fronçant les sourcils :
- Tu connais personne ?
- Pas vraiment, Lucas m’a abandonné pour reconquérir son ex-copine pour la énième fois. Tu connais du monde, toi ?
- Ouais, quand même, Axelle a tendance à devenir super amie avec chaque personne qu’elle rencontre.
Il marque une pause en sortant un t-shirt noir d’un sac à dos noir, et me le tend avec un sourire. Comme les autres fois, ce n’est pas que sa bouche qui me sourit, mais tout son visage, les yeux pétillants.
- Merci.
- Tu devrais aller rincer le tien, si tu ne veux pas garder cette soirée en souvenir pour toujours. Je vais aller voir si Axelle est toujours en vie.
J’acquiesce, sans savoir quoi dire. Je suis de nature bavarde quand je suis gêné, habituellement, mais c’est sûrement son air confiant et imposant qui me rend muet. Ange se relève après avoir fermé son sac, et nous nous éparons pour que j’aille me changer dans la salle de bain. J’enfile le t-shirt d’Ange, qui me va assez bien malgré qu’il soit trop grand, et je rince mon t-shirt avec un peu de savon. Quand il est assez propre, je l’étends sur la baignoire avant de m’assoir à terre et de sortir mon téléphone, pas très chaud à l’idée de retourner en bas. Baptiste a envoyé quelques messages sur notre groupe, et je les ouvre pour y répondre, content d’avoir une occupation pour quelques minutes.
Baptiste : Alors, la soirée ?
Baptiste : Je vous manque pas trop ?
Baptiste : hé, répondez ! Vous m’avez remplacé ? :’(
Je souris en découvrant le selfie qu’il a joint à son dernier message, une moue triste sur le visage, et lui réponds.
Jules : Je vendrais ma mère pour que tu sois là. Lucas est avec Juliette, je veux pas savoir ce qu’ils font.
Il répond quasiment instantanément, par une série d’émojis aubergine et abricot.
Baptiste : Rejoins-les, ça peut être marrant à trois.
Jules : Je trouve que tu proposes ça trop souvent pour que ça soit une blague.
- Tu vas passer le reste de la soirée ici ?
Je lève les yeux de mon écran pour les poser sur Ange, appuyé sur le mur de la salle de bain, un verre à la main.
- Je trouve que le carrelage est super confortable, tu devrais essayer.
- C’est une invitation ?
- Euh, bah… je réponds, l’air idiot.
Il rigole et lève le verre qu’il tient dans sa main dans ma direction :
- Tu as oublié ça dans la chambre d’Axelle.
- Oh, merci, dis-je en l’attrapant, avant de boire une gorgée.
- Toujours pas de trace de Lucas ?
Je suis étonné qu’il se souvienne de son prénom, et je secoue la tête, ce qui semble le déterminer à me dire :
- Je crois que t’as besoin de quelqu’un avec qui passer la soirée, Jules. Et je crois aussi que t’as besoin de te bourrer la gueule.
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