Pas de panique
Je n’ai pas paniqué quand Ange m’a embrassé. Ni quand moi, je l’ai embrassé. Je n’ai pas paniqué quand nous nous sommes tenus la main dans le bus, sur le trajet du retour, trempés, la même musique dans nos oreilles. Je n’ai pas paniqué quand il m’a invité à passer la fin de journée chez lui. Ni quand il a proposé de regarder un film. Je n’ai pas non plus paniqué pendant les une heure et cinquante-six minutes de Retour vers le Futur qui ont suivi, malgré ma tête sur son épaule et sa main caressant la mienne. Mais alors que je suis chez moi, après cette après-midi irréelle et ces moments que je n’avais jamais osé imaginer vivre, je panique.
Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Un baiser, rien de plus ? J’ai juste expérimenté quelque chose de nouveau, et je peux maintenant retourner à ma vie normale d’hétérosexuel ? Et, comme on ne s’est pas embrassé, pendant le film, est-ce que ça veut dire que lui ne voulait qu’expérimenter tout cela qu’une fois ? Non, j’avais compris bien avant qu’il m’embrasse qu’il n’aimait pas les filles. Ou pas uniquement les filles.
Je souffle, plombé par cette vague de panique qui commence à devenir bien trop familière à mon goût, et attrape mon téléphone, dans l’espoir de me changer les idées. Je remarque alors les dizaines de messages de Lucas et Baptiste sur notre groupe.
Baptiste : Alors, comment vont les vieux ?
Lucas : J’aurais préféré venir t’aider à laver les dentiers que supporter ce cours de physique.
Baptiste : Mec ?
Baptiste : Tu as mal pris la vanne ? Ils sont pas si vieux que ça, tes grands parents.
Lucas : Il doit être occupé.
Je lis les autres, similaires, ou ils s’étonnent de mon inhabituelle absence de réponse. Je n’ai pas touché à mon téléphone de l’après-midi, ni pensé à mes deux potes, à qui j’ai misérablement menti, et je m’en veux de les zapper autant en plus de ça. Après un soupir, je tape un nouveau mensonge :
Jules : Désolé les mecs, j’étais pas bien en rentrant, je me suis endormi.
Jules : Henri et Annette vont bien, je leur ai dit que vous pensiez fort à eux, j’espère que vous avez dit pareil au prof de physique ;)
Comme à leur habitude, ils répondent quasiment instantanément :
Lucas : Ah merde, ça va mieux ?
Baptiste : Tu viens quand même demain ? Sinon je peux venir veiller à ton chevet.
Un sentiment de culpabilité se répand partout en moi. Encore. Je déteste leur mentir, et les voir prendre de mes nouvelles pour une maladie inventée me met mal.
Jules : Ca va mieux, merci. Désolé Baptiste, tu vas pas pouvoir sécher.
Je souffle, essayant de me libérer de ce nouveau poids que je me suis mis tout seul sur les épaules. J’ai toujours eu Lucas et Baptiste dans ma vie, et je n’ai jamais rien eu à leur cacher, mais cette histoire là… Je ne sais pas. J’ai l’impression que si j’expliquais les choses telles qu’elles le sont, ils auraient l’impression que je leur ai toujours menti, et qu’ils me verraient différemment. Et je ne veux pas tenter de risquer de perdre cette amitié là, quitte à leur mentir quelques fois.
M’étendant sur mon lit, je pense aux autres changements. Parce qu’il n’y a pas que Baptiste et Lucas, dans ma vie, bien qu’ils fassent partie des acteurs principaux. Ce n’est pas la première fois que je me questionne sur mon orientation sexuelle. C’est un sujet qui revient souvent dans ma tête, depuis le collège environ, mais je n’avais jamais rencontré de garçon qui me plaisait vraiment, et avec qui j’avais un lien assez fort pour le qualifier comme autre chose que de l’amitié. J’en avais parlé furtivement avec ma sœur, après qu’elle m’ait fait regardé l’intégralité des Twilight et que j’avais défendu avec une grande ferveur la team Edward, sous prétexte qu’il était bien plus beau, séduisant et attirant que Jacob, et qu’elle (qui défendait évidemment ce dernier) m’avait demandé si j’étais gay. J’avais évidemment répondu non en devenant rouge pivoine.
Je n’ai jamais été vraiment attiré par une fille. Enfin, j’en ai trouvé certaines jolies, mais jamais autant que Robert Pattinson. Je suis sorti avec quelques filles, même au lycée, en me convaincant que je n’avais juste pas encore trouvé celle dont je tomberai vraiment amoureux. Mais à bien y réfléchir, je ne pense pas que le problème soit mes sentiments, mais plutôt les filles, tout simplement. Le souci, c’est qu’il est dur de s’y résoudre, parce que je ne peux pas m’enlever de la tête l’idée que l’avouer au monde changera tout dans ma vie. Le regard des gens (que j’ai déjà du mal à supporter). Ma relation avec mes deux seuls amis. La vision que ma famille a de moi. Ma manière d’être. J’aurais tellement aimé que ce soit plus simple. Je veux dire, personne n’a à avouer son hétérosexualité, alors pourquoi je devrais des compte à qui que ce soit ? Pourquoi en faire toute une histoire ?
En me redressant avec un nouveau soupir, je décide que ce n’est pas le moment d’en faire toute une histoire, et que je réfléchirai à mon coming-out plus tard. Je peux très bien attendre encore un peu avant de parler de moi et Ange à qui que ce soit, on ne se connait que depuis… moins d’une semaine. C’est étrange, mais j’ai l’impression de le connaître depuis bien plus longtemps.
Je déverrouille mon téléphone, ouvre la conversation avec Ange et fais ce qu’il y a de mieux à faire :
Jules : J’ai passé une superbe après-midi. Je ne sais pas trop ce que tu penses de tout ça, mais c’est tout nouveau pour moi, et j’ai vraiment besoin de prendre mon temps, d’aller à mon rythme. Je comprendrai si tu n’as pas envie de le suivre, même si je pense que ça vaut le coup.
Etrangement, une infime part de moi rêve qu’il réponde qu’il veut s’arrêter là, qu’il ne peut pas m’attendre et que je dois retourner à ma vie normale : la routine, sans cachotteries et panique excessive, parce que c’est ce à quoi je suis habitué. Être hétéro. Mais la seconde part de moi, bien plus grande, est heureuse de lire sa vraie réponse :
Ange : J’ai passé un super moment aussi, je suis content que tu n’aies pas fui :) Et évidemment, je comprends que tu aies besoin de temps, je suis passé par là aussi, et je suivrai ton rythme, en espérant que ça t’aidera.
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