Chapitre 1
Bianca
Le soleil levant rougissait l’horizon et éclairait les proches montagnes, ces coquettes s’habillaient d’automne, elles paraient leurs atours d’or et de roux. Ça sentait le feu de bois, le champignon, le raisin et la châtaigne, ça sentait l'été qui filait en pente douce, ça sentait l'hiver qui lentement arrivait.
Un air frais et guilleret montait de la rivière en contrebas, il caressait doucement les courbes de mon corps et faisait danser les petits poils de mes bras. J’aimais ces moments hors du temps où la ville dormait encore. Les yeux pleins de sommeil, je sortais hiver comme été sur le minuscule balcon de notre appartement ,dans le plus simple appareil. Invariablement, le regard lubrique du premier passant me chassait de mon promontoire. Je filais alors sous la douche, laver cette souillure obscène.
Il parait que Dieu nous a créés nus avant de nous chasser du paradis terrestre, il parait qu'un sournois serpent manipulant l'homme et la femme aurait inventé la convoitise, le voyeurisme et le dégout de la nudité. En ton honneur serpent, je croque ma première pomme de la journée et je pense a ce soleil rasant qui a caressé ma peau. Le regard surpris et concupiscent du passant, je l'avais déjà jeté dans les oubliettes de mon inconscient.
Habillée, parfumée, je préparais le café, l’odeur de ce doux breuvage réveillait Mario, l’amour de ma vie. Je le trouvais fatigué aujourd’hui, je lui demandais s’il avait bien dormi, il me répondait d’un air espiègle :
— Serata perfetta per fuoco e rum caldo al burro !
Un ver qu’il avait lu sûrement, Mario était un fin lettré, pour chaque moment de la journée, de l’existence, en toute occasion il avait sa phrase. Oh ! Je n’étais pas dupe, cela lui permettait de ne jamais livrer sa pensée complètement. C’est comme cela que je l’aimais !
Mais ce matin, son sourire ne brillait pas de mille feux comme habituellement alors que j’insistais, il me prit la main et planta dans mon regard son œil de séducteur !
— Va bene ! va bene ! Mieux qu’hier et moins bien que demain !
Je lui ébouriffais les cheveux, je n’en tirerais rien de plus. Il était tout pour moi, Mario. Il était le père que je n’avais plus, le frère que je n’avais jamais eu, l’ami de toujours, le confident. Il était surtout, l’amour de ma vie, un amant vieillissant toujours vaillant, un mari attentionné tendre toujours présent. Il était parfait .
Alors que je n’avais que quinze ans, mes parents m’avaient abandonné avec sur les épaules un chagrin immense. J’aurais voulu les rejoindre et j’y serai sans doute parvenu sans lui.Il m’avait ramené de ce no man’s land qu’est la dépression morbide. L’amitié et la gratitude s’étaient lentement muées en amour, l’amour tendresse d’abord, l’amour passion ensuite. Dans ses bras de titan, sur son torse de géant, la chrysalide que j’étais alors s’était muée en papillon.
Il avait vingt-cinq ans de plus que moi, il était un ancrage dans ce monde, une boussole sur la mer de mes émotions, un sextant pour voir au-delà des apparences. Sans lui, je ne serais qu’une bouteille vide jetée dans l’océan : un S.O.S pathétique !
Dans un élan de pur bonheur, je l’embrassais, sa bouche avait le goût de l’arabica et de la brioche au beurre frais, sa barbe naissante me piquait. Il sentait l’homme, le mâle dominant, il posât ses immenses paluches rugueuses sur mes avant-bras j’étais déjà transie. J’avais chaud, j’avais froid, du fin fond de mes tripes une envie irrépressible montait ! Un tsunami de désir balayait tout sur son passage. Je l’ai entrainé sur le lit, ce fut intense, bref, explosif !
Tendrement, je l’embrassais derrière l’oreille, son corps sur mon corps, il reprenait son souffle péniblement. Je n’aurais pas été contre une autre cavalcade, je le lui dis, il rit en se dégageant.
— Tu es volcan, tu es lave et pouzzolanes, brulantes comme l’Etna, explosive tel le Stromboli. Je me voudrai Capri, je ne suis plus que Pompéi, un champ de ruines que tu finiras par fuir.
Je n’étais pas d’accord avec lui , quelle femme le serait après avoir encaissé un orgasme dès potron-minet. Quelle mise en jambe idéale pour commencer une journée merveilleuse. Toutes les journées étaient merveilleuses auprès de lui.
Pourtant, au fond de moi, je savais qu’il n'avait peut-être pas tort. C’était vrai, il m’arrivait de le penser, brièvement à ce qu’ aurait pu être la vie avec un garçon de mon âge, un connard de trente-cinq ans qui… Non, j’en avais fait mon deuil de mon désir d’enfants, j’étais à lui, il était à moi, notre vie était si riche, personne ne pourrait me comprendre et m’aimer si bien que Mario.
Ah non, je ne devais pas me gâcher la vie avec de vilaines idées, aussi fugaces soient-elles ! Quitter cet homme, quelle femme sensée pourrait commettre une idiotie pareille. Je voyais tant de collègues se déchirer pour des peccadilles, se quitter pour un « coup de canif » de rien du tout. Nous n’étions pas comme les autres, nous ne serons jamais comme les autres.
Je ne voulais pas y aller à ce foutu Hypermarché à l’autre bout de la ville, ce temple de la consommation qu’il fallait fréquenter de temps en temps, si l’on voulait remplir le frigorifero !
Je bousculais mon mari et lui intima gentiment l’ordre de se préparer :
— Allez Mario, tu dois aller au travail, tu ne peux pas partir avec une tache de café sur ta belle chemise blanche. Quel cochon tu fais ! Comment as-tu pu renverser ta tasse ?
C’est en riant que je l’accompagnais à la salle de bain. Moi aussi, il fallait que je me prépare, mon mascara avait coulé,
Le mardi, c’était le jour où je faisais les courses, dans cet affreux magasin, et il me fallait du courage pour m’y rendre .
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