Deuxième chapitre
Claudio Luciano
J’avais un de ces maux de tête ce matin au réveil,les Grenoblois disent avoir mal à la Tronche*, ça les fait rire ! Les tambours du Bronx ou de l’enfer jouaient une folle sarabande dans ma caboche, bien fait pour ma pomme, je n’avais aucun besoin de boire autant.
Cela faisait un an qu’elle m’avait quittée, c’est ce que j’avais fêté hier soir, il y avait des dates qu’il valait mieux oublier. La bouteille de Tsarine je l’avais bue seul, en pleurant ! Et le fond de Jack Daniel’s également, fort heureusement, je n’avais rien d’autre à boire, sinon ça aurait été consommé également.
Du fond du canapé où j’étais avachi, j’admirais le désastre, l’appartement que je louais devenait un cloaque, un gourbi sans nom. Depuis combien de temps n’avais-je pas fait le ménage et la vaisselle ? Avec des ruses de chat, je m’approchais de l’évier, des monstres aquatiques pouvaient sortir de l’eau croupie où baignaient verres et assiettes à tout moment, je fus contraint de battre en retraite. Je voulais me préparer un café, je ne savais pas encore comment procéder, tout homme normalement constitué aurait refusé tout contact avec une cafetière dans un pareil état. J’avais trop besoin de caféine pour faire le difficile. Je trouvais un fond de café, des filtres,dans un placard , je rinçais brièvement le vase de la machine, il ne changea pas de couleur, tant pis, il me fallait ma dose.
Pendant que le breuvage que j’avais dosé en aveugle glougloutait, je me précipitais vers la douche, l’eau chaude me fit du bien, je shampouinais allègrement ma crinière hirsute, elle aurait mérité elle aussi une bonne coupe. Une chanson de vieux me vint à l’esprit, du Aznavour, il me semblait :
- Tu te laisses aller, tu te laisses aller !
Aujourd’hui, je ne travaillais pas, il me faudrait remplir le frigo qui était désespérément vide, j’avais une certaine propension à ne me nourrir que de Burgers et de pizzas, depuis quelque temps.
- Tu te laisses aller, tu laisses aller !
Ça fait un an que je pense à elle, jour et nuit, nuit et jour et ça fait toujours aussi mal. Avoir changé de ville, n’avait rien changé, comme disait Jacques Hoareau, l’ancien syndicaliste des chantiers naveaux de La Ciotat.
Un âne, tu lui coupes la queue, tu n’en fais pas un cheval de course .
Elle était éternellement là, à chaque coin de rue, dans chaque bar ou restaurants. J’avais même vu son sourire dans un nuage et son ombre dans une flaque d’eau.
Mais aujourd’hui, il était temps de dire stop à toutes ces folies ! qu’une nouvelle vie renaisse enfin de ce cloaque qu’était ma vie actuelle.
C’était pourtant ce que je m’étais promis en arrivant dans cette ville.
Il y avait bien des jolies filles au travail à qui je plaisais, mais je passais pour un timide, un névrosé ou un sauvage au bureau. Je fuyais les soirées entre collègues, les vamps trop maquillées qui oubliaient de boutonner les derniers boutons de leur chemisier, celles qui vous lèchent des yeux comme si j’étais le dessert !
Mais, aujourd’hui, ça devait changer, la première qui me souriait, chiche, je lui disais oui !
Je bois mon litre de café, noir, sans sucre , je me suis débrouillé pour trouver un mug à peu près propre ( j'ai vidé celui qui contenait stylos et trombones dans le coin téléphone )
Je me prépare, j’ai encore un jean propre, dans le placard, la chemise ne va pas vraiment avec, mais c’est la seule potable, j’opte pour un polo qui traine sur une chaise plutôt, le couleur Parme, il me porte bonheur, c’est celui que j’avais quand j’ai rencontré…
Zut, j’ai dit que je ne pensais plus à elle, je l’enfile tout de même, c’est le seul qui soit non taché.
- Tu te laisses aller, tu te laisses aller !
D’un air sévère, je regarde l’état de mon appartement. Il est dans un état pitoyable, mais, je crois, l’avoir déjà dit, il me faudra retrousser les manches et jouer de l’huile de coude, tout simplement. Pour l’instant les bras me tombent devant ce triste spectacle, il me faudrait Achille nettoyant les écuries d’Augias au minimum.
Mais d’abord faire les courses, remplir le frigo, ne pas oublier un seau une serpillère et des produits. Changer la cafetière aussi. Et acheter quelques fringues ne serait pas du luxe.
Mais comment ai-je pu en arriver là,vraiment, il serait temps de faire du ménage, et pas que dans ma piaule !
*
Liste en main, j'arpentais toutes les allées au pas de charge, évitant le rayon alcool, mon mal de tête, ( à la Tronche comme disaient les Grenoblois ), me rappelait ma cuite d'hier soir. Les guitares d’ AC/DC tournaient en boucle sous ma boite crânienne, ils étaient accompagnés par la basse de Deep Purple et la batterie de Mettalicca. Ne me demandez pas qui s’était collé au son, je ne reconnaissais aucune parole !
J'avais fait le plein de fruits et légumes, de fromage et de produit frais, bien décidé que j'étais à reprendre ma vie en main.
Je fis un dernier tour du magasin et décidais d'aller faire un saut au rayon librairie, j’adorais les livres, je ne pouvais pas vivre sans eux. .
En tête de gondole régnait les best-sellers, le dernier Musso, le nouveau Larousse, un guide du vin et du fromage et le dernier polar à la mode !
Je garais mon bolide dans l'allée centrale et m'aventurai dans cette librairie de grandes surfaces, feuilletant des livres au hasard. Oh, je le savais bien, ici, ce n’était pas la Mecque de la grande littérature, mais l'écrivain en herbe que j'étais aimait découvrir les tendances du moment. Il n'était pas rare que je sorte d'ici avec trois ou quatre bouquins.
Non, aujourd'hui aucun auteur ne m'inspirait, il me faudra tout de même dévaliser une librairie, je n'avais plus rien de décent à lire ! J'entamais un dernier tour des lieux , prenais des livres au hasard, que je ne lirais peut-être.
Une maison d’édition que je ne connaissais pas avait réédité toute une ribambelle d’auteurs classiques, cela sentait la rentrée des classes. Tous mes chouchous y étaient, Zola, Maupassant, Hugo, Tourgueniev, Tolstoï, Troyat...
J'avais en main la dernière édition du célèbre chef d'oeuvre de Stendhal, non, pas le Rouge et le Noir comme aurait dit mon ancienne compagne, mais la Chartreuse de Parme que je connaissais presque par coeur. Je savourais enfin ma revanche, je criais haut et fort :
- Non, ce n'est pas le rouge et le noir, le meilleur livre de Stendhal !
Une jeune brune me sourit et demanda, les yeux pleins de malice :
- Ah oui, lequel est-ce alors ?
Je brandissais victorieusement l'exemplaire que j'avais en main et crie, presque !
- Mais c'est la chartreuse, la chartreuse de Parme.Le personnage de Fabrice est bien plus abouti que celui de Julien ! Vous ne trouvez pas ?
- Ça se discute ! Me répondit-elle, mais pas ici !
- Bien sûr, autour d'un café ?
Elle me sourit, me tendit une petite main fine et ne se présenta pas !
- Jeune Deldongo, je range mes courses dans ma calèche et je vous attends en terrasse.
Elle se moquait de moi, j’en étais à peu près certain, mais, le sourire qu’elle m’offrit n’était pas qu’un sourire moqueur, j’en mettrais ma main au feu, ou plutôt devrais-je dire la main à son feu. Je rougissais déjà à ces pensées impudiques qui tournaient dans ma tête et avaient enfin remplacé le tumulte du hard rock. Elle n’était pas belle elle était, une fleur d’été dans un grand champ de foin odorant, un coucher de soleil sur la mer Adriatique au mois de mai, un lac de montagne balayé par les premiers frimas de l’automne.
Parvenant a surmonter mon trouble, qui, je l’espérais, n’était pas perceptible, j’osais lui demander :
- Votre prénom, puis-je connaître votre prénom :
tout en continuant de se moquer de moi, elle répondit
- Clélia, bien entendu, jeune Deldongo, vous êtes Fabrice, je suppose, je n’aime pas cette histoire elle se termine mal fuyez, jeune homme, le coeur de Clélia n’est plus à prendre dans cette
version.
Je choisis la même caisse qu'elle et attendit sagement derrière ! Mon esprit dansait une farandole mâtinée de tarentelle, j’avais un mal de chien à contrôler mes mains qui tremblaient comme des feuilles bercées par un petit vent marin, alors que je n’y croyais plus, que le benêt que j’étais la laissait filer...
Elle adressa un gentil sourire à l'hôte de caisse, sortit de son sac à main grenat un post it, griffonna rapidement quelques mots et le colla sur mon exemplaire de Stendhal !
Vous avez tort ! 06-08 ... dans une heure, 14 rue Jean-Jaques Rousseau*...je prendrai tout de même un espresso...
Notes :
Avoir mal à la Tronche :
La Tronche est une commune de l'agglomération Grenobloise, c' est là où naissent la plupart des Grenoblois . Avoir mal à La Tronche, ce n'est qu'une blague de potache !
14 rue Jean Jacques Rousseau :
La maison Gagnon, le Grand-Pére de Stendhal, ce lieu est devenu le musée Stendhal !
( pour la petite histoire, J J Rousseau aussi a vécu à Grenoble en Juillet et aout 1768 )
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