Ce soir, je rouvre mon carnet pour la première fois depuis huit jours.

Pour écrire quoi ? Il ne se passe rien ici. Rien, sinon que chaque jour est pire que le précédent.

Il me reste quelques pages. J'imagine que je vais les remplir, comme les autres, de cette histoire vaine et vide, peuplée de fantômes à qui nous finissons par ressembler.

Et puis au bas de la dernière page, quand j'aurai posé le point final, un obus finira bien par percer ce tombeau qui nous sert d'abri. Ça fait une semaine exactement que les Russes nous pilonnent en continu. On dirait qu'ils cherchent à vider la ville pour ne plus avoir qu'à marcher en vainqueurs dans un cimetière.

Ou alors on va crever de faim avant. Il y a bien encore quelques provisions, mais elles s’épuisent vite. Ça prend combien de temps, en fait, de mourir comme ça ? Une chose est sûre : ce sera plus rapide pour Bamberger que pour moi. Sa blessure est de plus en plus moche, et elle pue. Il ne refuse plus de me la montrer, c'est mauvais signe. De toutes façons, pour ce que je peux y faire...

Ou les Russes vont débarquer et ils se chargeront de refermer le livre eux-mêmes. Les barbares sont à nos portes, comme dirait ce pauvre Gerhard. Oui, je l'appelle par son prénom, maintenant, au point où on en est... Lui qui s'imaginait sauver l'Allemagne… Je crois que même son échec, il l'imaginait plus glorieux !

Ou, enfin, on pourrait mourir d’ennui. Les heures se succèdent, toutes pareilles. Même les bombardements finissent par ressembler à une routine. Je dois parfois lutter contre l’envie de courir dehors, rien que pour voir. Pour tenir, je pense à Hannah. À côté de moi, Gerhard peste encore plus.

Allez, fin de l'histoire ! Je vais jeter ce morceau de cuir et de papier inutile. Je le retrouverai bien s'il se passe quelque chose d'intéressant.

Mais, franchement, j'en doute.