Chapitre n°5 : L'équilibre
Je monte dans ma chambre, laissant ma mère derrière moi sur le canapé. Arthur m’avait aussi donné son numéro pour que je puisse le contacter, alors je compte bien en profiter.
Moi : Désolée pour tout à l’heure. Je ne sais pas pourquoi je t’ai repoussé.
Arthur : Il n’y a aucun souci, j’aurais dû te demander avant de tenter quoi que ce soit.
Moi : C’est vrai. On peut se voir un de ces quatre ?
Arthur : Au café, je pourrais t’en dire plus sur les propriétés de convergence des rayons lumineux à travers un prisme ;)
Moi : Je pensais à un petit truc sans physique…
Arthur : Tu ne serais pas en train de me proposer un rencard ?
Moi : C’est déjà assez gênant…
Arthur : J’en serais ravi. On n’a qu’à dire lundi soir ?
Moi : Ça me va !
Arthur : Bonne nuit Diane.
Moi : Bonne nuit.
Je pose mon téléphone à côté de moi, mon cœur bat la chamade. C’est la première fois que je demande à quelqu’un un rencard, je ne me suis pas trop mal débrouillée.
***
J’attends devant la maison qu’Arthur arrive. On est lundi et j’ai passé la nuit à parler avec Lucie de ce rendez-vous. Elle est encore plus impatiente que moi, elle a hâte qu’on puisse se faire des repas de couple ou ce genre de truc. J’étais rentrée en quatrième vitesse pour avoir le temps de prendre une douche après les cours pour ce rendez-vous. Habillée d’une robe rouge chaude et d’un imperméable noir, je me suis assise sur le banc sous le perron de ma maison. La légère brise d’automne fait onduler mes cheveux dans mon dos en même temps qu’elle ramène une mèche rebelle devant mes yeux. Agacée, je la coince derrière mon oreille là où elle ne risque plus de bouger. Une voiture s’arrête devant la maison, mais ce n’est pas celle d’Arthur. La vitre passagère descend dans un bruit électrique, laissant un visage délicat et fin apparaître.
« Eliott ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Monte, dit-il sans détour.
-J’attends Arthur ! Tu as vraiment cru que j’allais monter avec toi ? »
Il me regarde avec insistance. Que suis-je censée faire ? Je ne sais pas comment comporter. C’est lui qui m’a porté sur plusieurs kilomètres pour me sortir d’une crevasse dans les bois, alors qu’Arthur m’a laissé tomber en dépit des consignes. D’ailleurs, que faisait-il seul dans les bois à ce moment-là ? Machinalement, je me mets à marcher vers la voiture, ouvre la portière et m’installe à l’intérieur. Eliott démarre sans attendre plus longtemps, peut-être de peur que je change d’avis. Je n’en sais rien, ses yeux ambrés ne trahissent pas ses intentions, seulement son charme sans équivoque. Alors, qu’il prend le tournant vers la grande route, une voiture blanche passe à côté de nous, je reconnais à l’intérieur Arthur, qui lui aussi me reconnaît, et je vois à quel point il est déçu. C’est une des différences entre les deux garçons, l’un est un véritable mystère pour moi alors que l’autre est un livre ouvert.
« Qu’est-ce que j’ai fait ? dis-je en me lamentant, en portant ma main là où la plaie de ma tête commence à cicatriser.
-Tu ne pouvais pas aller avec lui. Il est taré.
Eliott est concentré sur sa route. Pas une seule fois il ne m’a encore regardé dans les yeux.
-Moins taré que toi ? Tu viens de m’enlever là.
-C’est toi qui es montée dans la voiture, je ne t’ai pas obligé.
Un point pour lui, mais comment allais-je expliquer à Arthur que je me retrouve avec son demi-frère plutôt qu’avec lui.
-Lucie sait que tu es ici ?
-Qu’est-ce qu’on s’en fiche.
Surprise, je le lâche des yeux pour me fixer sur la route. J’aurais pu le dévorer des yeux pendant des heures. Ses traits fins, ses cheveux brun foncé en bataille, ses yeux d’ambre, la manière dont il fait bouger le bout de son nez lorsqu’il réfléchit.
-C’était toi au café avant-hier.
-Qu’est-ce que ça peut te faire.
Là, trop c’est trop.
-Oh ! Je te rappelle que c’est toi qui m’as demandé de monter dans ta voiture, toi qui es venu me chercher devant chez moi pour je ne sais quelle raison et qui actuellement m’emmène quelque part sans que je ne sache où, en traitant le gars avec qui je devais avoir un rencard de taré ! Si ça se trouve c’est toi le taré et tu vas aller me tuer dans un bois ! Alors parle-moi mieux ! »
Je croise les bras en m’enfonçant dans le siège de la voiture, énervée comme tout. Il n’a rien dit jusqu’à l’arrêt de la voiture devant une maison immense dans une ville voisine de la mienne. Il sort de la voiture et vient m’ouvrir la portière qu’il referme dès que je suis sortie. Prenant les devants, il va directement à la porte d’entrée qu’il ouvre puis s’engouffre à l’intérieur de la demeure. Je suppose que je dois le suivre. Je monte les quelques marches qui m’éloignent de l’entrée puis fait un pas à l’intérieur. Le bruit de mes chaussures à talons résonne sur le carrelage immaculé posé au sol. Le hall, où trône un grand escalier s’élargissant en haut et en bas et se rétrécissant au milieu, offre une disposition en cercle des salles du rez-de-chaussée de la maison. Je peux entrevoir une cuisine sur la droite suivie à sa gauche d’une salle à manger, puis d’un salon. J’entends Eliott m’appeler en haut des escaliers, j’abandonne mon exploration visuelle de la maison pour m’engager dans les escaliers, faisant attention de ne pas trébucher avec mes talons mais c’est un échec. Je loupe la dernière marche de l’escalier et tombe la tête la première devant Eliott. Mais ma chute est interceptée au dernier moment, je lève la tête et plonge dans les yeux adamantins du jeune homme.
« Décidément, je devrais te porter dès que tu dois lever les pieds, dit-il en me tenant dans ses bras »
Il me fait un sourire en coin et m’aide à me relever. Il m’avait rattrapé avant que je ne touche le sol. Main dans la main jusqu’à ce que je retrouve mon équilibre, Eliott ne cessait de me dévorer des yeux. Il se dirige vers le fond du couloir désormais, tenant toujours ma main. Mais qu’est-ce que je fais ? Il est avec Lucie. Soudain, je pense au fait qu’Arthur habite lui aussi ici. S’il n’a pas pu aller à son rendez-vous, qui était avec moi, il allait forcément revenir là où il habite. À son point de départ. Je ne dois pas m’attarder ici, comment pourrais-je m’expliquer sur ma présence ici ?
« Fais comme chez toi.
La voix grave et mélodieuse d’Eliott me tire de mes pensées. Je n’avais pas remarqué que nous étions entrés dans une salle qui semble être une bibliothèque ou un bureau. Ou une biblio-bureau. J’enlève mon imperméable et le pose sur le dossier d’un des fauteuils de la pièce, dévoilant ma robe rouge en laine ne couvrant pas mes épaules, mes longs cheveux blonds retombant en boucles sur ma poitrine.
-Qu’est-ce qu’on fait là Eliott ? Pourquoi m’avoir récupéré devant chez moi ?
-Tu peux pas rester avec Arthur, c’est pas un gars pour toi. Il a l’habitude de trouver une nana, de coucher avec et de la larguer ensuite. Ça ne doit pas t’arriver.
Je ne suis pas prête à tant de révélation. Si Arthur était vraiment comme Eliott me le décrivait, j’aurais pu énormément souffrir de ce rendez-vous. Pourtant, il me tenait à cœur.
-Qui te dit que je voulais sortir avec ?
Diane arrête de le provoquer ! Eliott s’approche de moi, le regard malicieux. Il commence à faire glisser ses doigts sur ma joue pour descendre sur mes épaules et jusqu’à mes doigts.
-Tu n’aurais pas mis une aussi jolie robe pour un ami.
Je veux reculer, alors pourquoi je reste tétanisée ? Son odeur envoutante, ses yeux hypnotisant, je suis incapable de reculer. Je sens l’attractivité monter entre nous, comme des aimants. Je le vois s’approcher de mon visage, dans une pulsion incontrôlable, quelques millimètres séparent nos lèvres. J’ai envie d’y goûter. Je veux goûter à ce que Lucie à goûter. Lucie.
-Lucie, dis-je dans un souffle.
-Pourquoi tu parles tout le temps d’elle ? demande-t-il en s’éloignant de moi.
Non, reste…
-Tu sors avec elle. Je ne peux pas.
-Qui t’a dit ça ? la surprise illumine ses yeux.
-Elle-même. Vous vous êtes mis ensemble à la fête chez Tess et vous vous parlez par message tout le temps.
J’ai la nette impression de lui apprendre l’existence de cette relation.
-Je n’ai jamais embrassé ta copine. Je l’ai emmené et ramené mais ça s’est arrêté là. Elle était bourrée et elle a embrassé un gars, oui. Je ne sais pas qui c’était, mais ce n’était pas moi. On est encore moins ensemble et si je réponds à ses messages c’est parce qu’elle me spam pire qu’une harceleuse.
-Lucie est convaincue d’être avec toi. Elle a des vues sur toi depuis ton arrivée.
Eliott comble la distance qui nous sépare dans un mouvement. Collant son front contre le mien, il m’observe, plongeant son regard dans le bleu givré de mes yeux.
-La seule personne que je regarde depuis le jour de mon arrivée, c’est toi. »
Dans un souffle chaud, il pose ses lèvres sur les miennes et m’embrasse comme personne ne l’avait fait auparavant. Nos cœurs battent la chamade, nos corps sont si proches que je sens le sien à travers sa chemise noire. Je me sens perdre l’équilibre, mon centre de gravité. Cet instant devait durer, mais un bruit de porte d’entrée coupa mon moment de bonheur.
« Arthur vient de rentrer. »
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