Avoir un jardin
Quand la mort frappe à la porte du jardin, blanches sont les roses et noires les tulipes. Le vent se couvre de plaintes, rampe sous les ifs à la recherche d’un terrier où déposer son fardeau. Rien n’y fait. L’enfer n’est pas ouvert aux jérémiades.
La mort insiste. Pas un délice ne la prie d’entrer. Pensez donc ! Comme s’il était possible qu’une Hespéride accepte que l’on vienne griller ses plates-bandes, jusque-là sauvagement protégées des Huns et autres Attila destructeurs.
La mort frappe et ouvre. Elle s’invite, au nom de l’éternel sens de l’hospitalité due aux errants. Le soleil ne rit plus, les oiseaux se taisent, roulant leurs yeux en billes joyauses vers des sorties imaginaires. Chaque arbre fait grise mine, les feuilles flasques et molles. Ce n’est pas le silence qui accueille l’indésirable, c’est le reproche lourd des conséquences. Elle s’en moque, elle est habituée à rouler à contresens.
Laisse-nous au moins l’amour, si jeune, si frais, si nécessaire à tout envol ! Qu’il soit le destin qu’aucune épine ne puisse égratigner. Laisse-nous l’amour…
Ou rien que l’élégance ! Les lignes pures, l’art indispensable aux créations et créatures, ces fulgurances sans quoi nulle bulle n’éclot à hauteur des couleurs. Un modèle, une perfection, un aboutissement, ce n’est rien, et pourtant…
Et le jardin de pleurer. Pas seulement les roses et les tulipes. Tout le jardin, ses papillons, ses pierres, ses racines et ses mousses, ses arbres bien sûr, et son âme, car un jardin a une âme et si les roses et les tulipes ont cru que la mort ne venait que pour elles, le jardin, lui, le sait bien, que la mort a faim de beaucoup plus.
La mort ne répond pas. Que pourrait-elle dire ? Elle a entendu ce refrain si souvent, rétorqué tant de fois les mêmes réponses insatisfaisantes, que l’inutile finit par l’ennuyer. Leur laisser quoi ? Le temps ? Mais le temps a déjà été offert à chacun, et chacun en a abusé sans l’employer de manière efficace. Quant à l’amour, l’art, ces idéaux dont la valeur s’est éteinte sous la marchandise… Non, ce serait tuer tout espoir de rencontrer un jour une vie où l’on ne pèserait plus à l’aune de la reconnaissance.
Alors la mort s’en retourne, lasse.
Elle sort du jardin, silencieux et soulagé. Elle a pris l’amour, l’art, la beauté et l’élégance, la musique, les parfums, les couleurs. Elle a laissé les roses et les tulipes. Les roses en cendres et les tulipes en poussières.
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