#30
Je coupe peu à peu le robinet des nouvelles. Le flux constant d’informations me paralyse et m’angoisse. Pour l’heure, le monde n’est que tumulte et chaos. L’ancien monde convulse dans des râles absurdes. Tout cela n’est que du bruit. Et ce bruit se perd dans l’écho de ma vie, arrêtée depuis quatre semaines. Plus le temps passe, plus je creuse en-dedans moi. Les jours passent et je redécouvre des émotions qui ne me touchaient plus.
Plus jeune, mes sentiments avaient été réprimés, pour correspondre à l’image que l’on attendait de moi. Maintenant que je suis enfermé, je me retrouve pour la première fois de ma vie à l’abri du monde. C’est aussi l’occasion pour moi de lentement détricoter tout ce qui m’habillait encore. Les mailles du système sont lâches et se défont au fil de ma réflexion.
Je me demande : quel est l’intérêt d’écrire ? À l’heure où la méditation et la pleine conscience deviennent une mode, je me rends compte que l’écriture est un moyen pour moi de réfléchir et d’amplifier ma réflexion. Ce que vous avez sous les yeux, c’est ma pensée que se déroule comme le fil d’une bobine, sans cohérence particulière. C’est simplement le fruit non encore abouti de ma lente maturation. Pourtant, malgré cela, elle m’est une ivresse.
Lorsque je sors lors de balades qui me font du bien, je remarque que la nature n’a que faire de nos ratés. Ce que nous avons à apprendre, en ces temps étranges, c’est l’humilité. Nous ne sommes rien et il est plus que probable que l’espèce humaine s’éteigne un jour sans susciter la moindre émotion. Ce que cette pandémie nous rappelle, c’est que nous faisons partie intégrante de cette nature que nous nous employons chaque jour à détruire. Pourtant, il est plus que temps de remettre tout cela en perspective. Il n’y a pas de distinction à faire entre la nature et l’humain. Il n’y a pas de distinction à faire entre l’animal et l’humain.
Je sais que si je me sens mal, parfois, c’est aussi parce que je fais l’exercice de ressentir ce que vivent d’autres êtres humains. Il y a en ce moment tant de souffrances et de douleurs qu’elle se diffuse en moi, malgré moi. Je lis aux fenêtres de mes concitoyens des mots disant « tout ira bien ». Ces mantras ne me convainquent pas. Cette phrase n’est là que pour rassurer les enfants qui veulent y croire. Nous ferons au mieux, mais il est peu probable que tout aille bien.
Néanmoins, ce n’est pas parce que cette douleur est présente partout qu’il faut que je la laisse s’insinuer en moi et la laisse me submerger. C’est ce qu’il me reste encore à apprendre : ressentir le monde tout en ne me confondant pas avec lui.
Il me reste du temps pour apprendre cela.
Annotations
Versions