1. Terrible routine
Putain, il va se marier ! Je tiens entre mes mains le faire-part de son mariage, celui de Vayen et de Karl. J’ai le cœur qui se serre douloureusement, lorsqu’il m’a quitté il y a trois ans je me suis senti atrocement mal, je l’aimais, pour de vrai même si mon comportement disait tout le contraire. J’ai fait la plus grosse erreur de ma vie, j’ai été un vrai connard, j’aurais dû l’écouter et m’arrêter quand il m'a hurlé son safeword. Si seulement je n’avais pas voulu le pousser plus loin, pensant qu’il jouait la comédie.
Aujourd’hui je me retrouve à enchaîner les contrats d’un soir, ne dépassant jamais les trois jours avec une personne. Vayen a été ma plus longue relation, je l’aimais, à présent je prends des soumis et des esclaves comme des objets jetables. Je ne m’attache plus à personne et je ne le cherche pas non plus. Ma réputation dans les bars que je fréquente ? Un dominant dur et sadique qui ne sait pas garder ses soumis, qui les pousse dans leurs retranchements. Ce qui est arrivé il y a trois ans a fait le tour du milieu et depuis ceux qui s’approchent de moi ne cherchent que des sensations fortes. Finalement je ne suis qu’un défi pour eux, celui qui arrivera à tenir une soirée, ça fait bien dans leur CV pour les autres dominants. S’ils sont passés par moi ils sont capables de tout endurer.
Je ne sais pas si je vais aller à son mariage, cela me fait mal au cœur, mais je suis trop fier pour le montrer. Il est passé à autre chose depuis longtemps, je suis content pour lui tout de même, Karl est un garçon mignon qui lui convient parfaitement. Je lui ai même donné des conseils lorsqu’il s’est mis à douter de ses capacités dans la domination, après tout dans un couple tout ce qui compte c’est de faire plaisir à son partenaire. Ce que je n’ai absolument pas su faire avec lui, j’ai failli le tuer après tout.
Je suis donc planté dans mon salon avec ce faire-part dans les mains, tremblant légèrement. Avant de finalement le balancer sur la table du salon et de me ruer sur la cafetière. Il n’y a personne à part moi dans ce grand appartement, je ne fais plus entrer un seul soumis depuis l’accident. Soit c’est au bar soit ce n’est nulle part. Je suis donc désespérément seul avec mes propres démons, j’ai même foutu le peu d’équipement que j’avais dans la cave du sous-sol pour ne plus le voir. Au bout de longues minutes à regarder mon café dans le fond de ma tasse, je décide de la vider dans mon évier et d’enfiler un manteau pour aller directement au bar. Il y a trois bars bdsm dans la ville, celui où je croise le plus souvent Vayen et Karl, le Crimson, un autre qui vient d’ouvrir dans les quartiers chics et un qui se trouve en pleine campagne au milieu de nulle part. C’est à celui-ci que je décide d’aller, même s’il est à une heure de route.
Je me gare sur le petit parking privé du club, puis remonte l’allée bordée d’épicéas jusqu’à l’entrée où une armoire à glace en costume entièrement noir garde la porte comme un pitbull. Je sors ma carte de club et ma carte d’identité, pour entrer ici c’est bien plus strict que dans tous les autres bars. Après tout ce n’est pas réellement un bar comme tous les autres, très select et surtout très cher. Mille cinq cents euros pour avoir la carte d’entrée, les consommations à l’intérieur ne sont pas en dessous de vingt euros pour une limonade. Il faut impérativement fournir un dossier médical avec ses antécédents, une prise de sang chaque mois pour le VIH et être clean de toute MST possible. Si on a un rhume on n’entre pas, si on n’est pas bien habillé on n’entre pas, même les soumis doivent se présenter à l’entrée en costume et se changer une fois à l’intérieur.
Ce que j’aime par-dessus tout dans ce bar c’est l’anonymat, si l’on désire porter un masque pour que l’on ne sache pas qui on est c’est libre à nous. On doit seulement décliner notre identité au vigile. Ce soir-là j’ai donc pris un masque en velours noir et rouge comme ceux que l’on peut trouver à Venise. On ne voit que mes yeux d’un bleu foncé et ma bouche, ainsi la couleur de ma peau légèrement chocolat et des cheveux noirs très courts. J’ai mis un costume entièrement noir, en fait le même que j’avais au travail il y a quelques heures.
Une fois à l’intérieur je vais me placer au bar, m’asseyant sur l’un des tabourets libres en attendant que le barman, un homme d’un blond platine avec un épais collier en cuir autour du cou, vienne me demander ce que je désirais. Il baisse les yeux en me parlant et me donne le plus grand respect possible sans oublier le Monsieur à chaque fin de phrase. Il a deviné que je suis un dominant, après tout ce n’est pas très compliqué de différencier un dominant d’un soumis. Ici j’ai la même réputation qu’ailleurs, le masque rouge que l’on m’appelle, le dominant le plus dur du club. Ici aussi je suis un défi pour les soumis en quête de quelque chose de corsé pour connaître leurs véritable limites.
Le barman revient avec mon verre de vieux whisky, j’attrape mon verre et fais tourner la liqueur sombre dans le cristal. Je suis totalement absent, portant le liquide à mes lèvres, j’apprécie la brûlure que cela me procure au passage. Je sens alors une présence près de moi, un soumis est venu se mettre à genoux à côté de moi. Un homme avec les cheveux bruns, visage découvert, il a les yeux foncé et un gagball dans la bouche. Il ne porte qu’un caleçon en vinyle et un harnais sur le torse.
— J’aimerais qu’on ne m’importune pas !
Le soumis frissonne légèrement avant de se relever et de partir. Je n’ai pas la tête à vouloir faire une séance ce soir, je veux juste boire un verre dans une ambiance qui me plaît là où personne ne va venir me taper la causette pour me parler de ce foutu mariage. Dans ce bar règne une odeur de cuir, d’encens et un peu d’effluves sexuels. La décoration est très sombre, style baroque avec des rideaux pour qu’il y ait un peu d’intimité. Les salles sont à l’étage, toutes insonorisées pour la tranquillité des clients. Ici pas de salle de voyeurisme, pas de sexe dans la grande salle tout se fait en intimité. Au milieu se trouve un piano où un homme avec un masque blanc joue des reprises de musiques en tout genre. Il y a des tables où l’on peut dîner si on le désire, à vrai dire on pourrait plus parier qu’on se trouve dans un cabaret plutôt qu’un bar bdsm. Une scène se trouve dans le fond et justement des danseurs sont en pleine représentation dans un style burlesque. C’est un bar totalement gay et il n’y a pas la moindre présence d’une femme… sauf… la patronne.
Cette femme aux rondeurs imposantes, moulée dans une robe noire avec des froufrous partout, un éventail à plumes constamment à la main. Elle fait de l’œil a absolument tout le monde, ses cheveux d’un blond délavé lui donnent un faux air de Maryline Monroe version obèse. La seule chose qui peut nous choquer… c’est que lorsqu’elle vous parle, sa voix est bien plus grave que la voix du chanteur de Ramstein.
Je suis donc noyé dans mes pensées à ne même pas boire le verre que j’ai entre les mains. Je suis perdu à me remémorer le passé à me dire que moi je ne trouverai jamais chaussure à mon pied. Finalement Vayen avait été le seul à pouvoir réellement endurer mes traitements, si je n’avais pas abusé ce soir-là, si j’avais écouté son safeword, peut-être que ça serait avec moi qu’il s’apprêterait à se marier. Le barman s’approche de moi, il a encore les yeux baissés et se triture les mains de façon nerveuse.
— Monsieur ? Vous ne cherchez pas de contrat ce soir ?
— Non, je n’ai pas la tête à cela.
— Un soumis cherche un contrat d’une semaine… Monsieur.
— Il y a tellement d’autres dominants libres et prêts à passer des contrats ! Je te dis que je n’ai pas la tête à cela !
Je le vois reculer puis finalement s’excuser avant de disparaître à l’autre bout du bar. Je fronce des sourcils en l’observant aller voir une personne, avachie sur le comptoir, tout aussi déprimé que moi. Un garçon dans une tenue en vinyle bleu moulant tout son corps à la perfection, laissant deviner une fine musculation, un corps fin, mais endurant. Il porte un masque en dentelle bleue qui ne cache que ses yeux et de longs cheveux roux lui retombent de façon lâche jusqu’à sa poitrine et le milieu de son dos. Je peux alors voir à travers son masque de magnifiques yeux émeraude.
Si c’est lui qui désire un contrat, je suis plus qu’intrigué, ce garçon a une réputation dans ce bar. Un soumis qu’aucun dominant n’a réussi à combler totalement, un indomptable et comme on le dit si bien, un brat. Un soumis très rebelle qui n’obéit pas à son maître si facilement. Il serait friand du edgeplay tout comme moi, il n’aurait cependant jamais atteint ses limites, car aucun dominant n’a voulu aller au bout avec lui. Je soupire, je sais très bien qu’il ne comblera pas mes attentes, car il a aussi la réputation de ne faire que des contrats d’une soirée.
Alors que le barman revient vers moi pour servir un client qui ne se trouve pas loin, je l’interpelle, finalement intrigué.
— Qui a voulu faire un contrat avec moi en particulier ?
— Ce n’était pas vous en particulier, Monsieur, il y a juste un client très difficile à combler qui cherche un contrat long.
— Est-ce le brat à l’autre bout du bar ?
Il se retourne et pose les yeux sur le rouquin qui semble toujours au bout de sa vie, avachi à côté de son verre.
— Oui c’est lui, mais je suis dans le regret de vous annoncer qu’il a changé d’avis et qu’il ne veut pas faire de contrat ce soir, Monsieur !
— Je n’ai jamais dit que je voulais en faire un non plus, j’étais juste intrigué de savoir qui voulait un contrat.
Il s’excuse de façon tremblante et retourne servir un client plus loin, moi j’ai mes yeux plantés sur le brat qui m’intrigue réellement. Si sa réputation est bien ce qu’on dit, il serait capable d’endurer les pires tortures. Je me demande comment la couleur de son sang peut rendre sur sa peau qui paraît si blanche. Quelle est la tonalité de ses cris, et si je suis capable de lui faire hurler son safeword. Je secoue vivement la tête histoire de faire disparaître ce genre de fantasme. Je ne suis pas venu ici pour me trouver un soumis, je suis juste venu ici pour boire un verre et penser à toute autre chose que le mariage de mon ex.
Je décide finalement de terminer mon verre et de me lever, je vais sur la terrasse pour prendre l’air quelques instants et m’allumer une cigarette. Au bout de longues minutes de solitude, finalement je vois un homme venir sur la grande terrasse, le fameux rouquin. Il s’allume une cigarette et je peux alors sentir une légère odeur de menthe. Je le vois s’accouder à la rambarde de sécurité, fixant l’horizon sans vraiment le voir. Finalement il termine sa clope rapidement avant de tourner sur lui-même, nos yeux se croisent une fraction de seconde. Je sens alors une espèce de feu m’envahir et je le suis du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse de ma vue.
Putain, il m’intrigue beaucoup trop, mais ce soir je ne veux vraiment rien faire. Alors finalement je termine ma clope et sors du bar pour rentrer chez moi, avec quelque chose de nouveau en tête, cette chevelure de feu et ces yeux plus verts qu’une prairie au printemps.
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