Chapitre 2 : Le soulèvement d'Antamar
Arthur
Hier a été une journée incroyable, déjà vers minuit nous avons rencontré le traître, il s’agissait de Jean, un garde moins bien gradé que moi, assez maigre, âgé d’une quarantaine d’années mais que les autres gars appréciaient… Comme je n’aime pas beaucoup parler aux gens je ne le connaissais pas bien mais de loin il avait l’air d’un brave type. Jean paraissait tout à fait surpris de nous voir. Au début j’ai voulu le tuer rapidement toutefois Renaud m’a retenu. Puis il a commencé à lui poser des questions, notamment comment il était devenu espion pour les vampires…
Après avoir tenté de nier quelques instants, jean s’est effondré en larmes et a expliqué que sa famille était prise en otage, comme celle de son père avant lui et que si le moindre imprévu se passait sa famille serait sélectionnée pour la prochaine démonstration. Ainsi de père en fils le même chantage s’exerçait. Il nous a suppliés de l’épargner en disant que nous aussi on aurait fait pareil à sa place, que si on ne se rebellait pas c’était pour les mêmes raisons, la peur de souffrir, ou de voir des proches mourir et que de toute façon ça ne servait à rien de se soulever, les vampires étant beaucoup trop forts. Je vis alors durant un instant un tic de colère sur le visage de Renaud se dessiner. Puis il m’ordonna d’un geste de tuer le traître. Ce fut facile et plaisant, un coup d’épée bien placé et voilà tout… Chose plus étonnante, il m’ordonna ensuite de mutiler le cadavre, je lui demandai pourquoi ne pas l’avoir fait avant de le tuer ; il me répondit un brin agacé qu’il aurait hurlé, que cela aurait alerté les vampires et que je n’étais pas très intelligent… Soit, il n’avait tort sur aucun de ces points. Je m’empressai de peaufiner le travail en m’efforçant de l’imaginer encore en vie. Je me rendis aussi compte que grâce à Miroslaw j’avais acquis un certain talent pour le découpage de corps.
Enfin Renaud m’ordonna d’écrire avec mon épée sur le torse encore à peu près immaculé du félon « Miroslaw, voici ton futur ». Je n’ai pas compris l’intérêt de provoquer ainsi le baron, qui, je dois le reconnaître, me terrifie mais je ne posai pas la question de peur de me faire rabrouer. Je ne comprends d’ailleurs pas comment moi, un homme ayant peur de se faire réprimander peut participer à une rébellion.
Le jour levé le cadavre fut retrouvé, et cela ne surprit pas davantage les gens que cela. Ne sachant pas lire, ils ne comprenaient pas ce qui était marqué sur son buste et puis… il s’agissait d’un garde. Ma profession n’était pas très bien vue de la population puisque c’était nous qui faisions le sale boulot des vampires. Il arrivait régulièrement qu’un garde meurt ainsi assassiné sans que cela n’émeuve grand monde.
A la fin de la journée, lorsque tous les miliciens furent réunis avant de repartir chez eux, je remarquai Renaud qui me faisait des signes de l’extérieur de la caserne afin de le laisser entrer. Après un bref instant d’hésitation je lui ouvris la porte, une vingtaine d’années passées avec lui comme seul ami m’avait appris que lui obéir était toujours la meilleure chose à faire. Je finissais même par penser que c’est lui qui me choisirait ma femme.
Une fois entrés, les autres gardes le regardèrent bizarrement : que faisait un nettoyeur dans le baraquement, surtout à cette heure ? Renaud me fit signe qu’il voulait de l’attention. Je fis alors jouer mon grade afin d’obtenir un silence à peu près complet, la carrure aidant. Renaud expliqua alors à tout le monde ce qui s’était passé, comment lui et moi avions tué Jean, qui il était et comment il avait provoqué le baron. Il leur dit alors :
« Avec ce meurtre, je vous ai mis devant le fait accompli ! Dans son château, Miroslaw hurle de rage ! Dorénavant deux choix s’offrent à vous : la soumission, avec une autre journée de massacres touchant vos femmes et vos enfants, avec pour seul espoir qu’après avoir tué votre épouse et trois de vos fils Miroslaw épargnera le quatrième. Et je vous le dis, cet espoir est vain. Ou bien la vengeance, nous sommes une centaine de gardes pour au plus une dizaine de vampires, nous pouvons les faire payer ! Vous pouvez venger vos fils vos femmes et même vos aïeux en choisissant, ici et maintenant de faire comprendre aux vampires que la race des hommes prévaut. Unis, nous sommes les plus forts ! »
Ce simple discours de quelques secondes fit bouillir mon sang et je levai mon épée en criant « Vengeance » ! Je fus suivi par l’ensemble de la caserne ! Sur l’instant nous serions partis comme un seul homme si Renaud ne nous avait pas retenus.
« Calmez-vous, dit-il d’un ton amusé, que se passera-t-il lorsque vous serez en bas du château du baron ? Les herses seront fermées, nous aurons le contrôle du village pendant quelques jours… Jusqu’à ce qu’un pigeon voyageur prévienne le seigneur d’à côté qui enverra ses propres troupes nous massacrer. Je vous l’ai dit Miroslaw est en colère, profitons-en. Demain, comme avant chaque exécution, il vous enverra accompagnés de vampires capturer quelques civils pour l’exemple, il faudra les tuer à ce moment-là, si on attend votre haine retombera et un autre espion aura remplacé Jean, si on y va trop tôt on sera devant un château imprenable ; il faut que ce soit au moment des arrestations, lorsque chaque vampire est isolé et encerclé des nôtres ! »
Il me montra ensuite une sorte de cor qu’il avait confectionné et qui servirait de signal pour l’assaut
J’ai hâte d’être à demain… mais si ça tourne mal, il faudra que je meure pour éviter le pire.
Irinia
20 mars de l’an 5002 après la guerre des sangs
Aujourd’hui fut pour moi une fin et un commencement. L’achèvement d’une vie, le début d’une nouvelle. Mon père réunit les quelques vampires de sa cour et les envoya arrêter qui bon leur semblerait pour une exécution le lendemain afin, comme à son habitude, de retrouver un semblant de paix intérieure après une période de rage. Pourtant, le fait qu’un message écrit lui ait été adressé le laissait supposer qu’un de ses vassaux était derrière tout ça, il resta donc dans le château afin de chercher lequel de ses hôtes l’avait trahi.
Vers midi, comme c’est d’usage, les gardes furent réunis sur la grand place pour procéder aux arrestations. Comme j’aime à le faire, non par plaisir mais pour entretenir ma haine de cette coutume, je restai sur la muraille afin de ne rien rater de ce sinistre rite. Huit groupes se constituèrent et lorsque le tocsin sonna, ils se séparèrent. Les paysans se terraient alors dans leur chaumière faisant tout leur possible pour éviter d’être remarqués, leur sort dépendant alors uniquement du bon vouloir et de l’humeur des vampires dirigeant les groupes de soldats.
Rapidement les têtes de colonnes enfoncèrent les portes de quelques maisons arrachant de ses dernières un enfant par-ci, un vieillard par-là. A chaque fois un hurlement de dépit ou de supplication sortait de la demeure, sans que cela n’eut jamais le moindre effet.
Ainsi se passait cette journée jusqu’à ce qu’au bout de quelques minutes un son semblable à celui d’un cor de chasse retentit. Je restai interloquée un bref instant avant d’entendre un hurlement de douleur s’échapper d'une colonne de gardes, je vis alors des combats se déclencher ici et là. Les miliciens semblaient se rebeller et prendre d’assaut les vampires qui les commandaient. Mon amie d’enfance Veronika qui m’accompagnait, voyant la même chose que moi, appela les quelques chevaliers restés au château. Ivan et Igor accoururent et, découvrant la situation, s’armèrent et descendirent au plus vite afin de prêter main forte à leurs semblables. Ma mère vint nous chercher et nous tira de force pour nous faire rentrer. J’avais beau vouloir rester pour observer le dénouement de cet affrontement ma mère ne me laissa guère le choix et nous fûmes rapidement conduites dans la salle du banquet que mon père avait aussi rejoint précipitamment. Une fois avisé de la situation une rage dont même lui n’avait pas l’habitude l’envahit. Il prit son épée et en vociférant les pires insultes sortit en nous ordonnant de rester ici !
Une heure, peut-être deux s’écoulèrent jusqu’à ce que des bruits de pas, trop nombreux pour être ceux de notre race, se fassent entendre. Ils s’approchaient de la pièce principale où une dizaine de femmes avaient été réunie. La porte fut alors promptement enfoncée et, tout en poussant des hurlements sauvages et haineux, les gardes et les paysans s’engouffrèrent dans la brèche, vite suivis par Renaud, dont la présence effaça immédiatement la peur qui m’avait envahie. Renaud se précipita vers moi et m’écarta du centre de la pièce. Au même moment tous les autres humains se jetèrent sur les femmes dans un déchainement de fureur et de sauvagerie que je n’avais jamais vu même chez les vampires, même chez mon père. Sans une explication, sans une semonce, les épouses et les filles furent violées, embrochées, dépecées ; et ni leurs cris, ni leurs supplications ne parvenaient à apaiser la situation. Quelques dames se défendirent, ma mère arriva ainsi à désarmer un garde et à le blesser grièvement avant qu’un autre ne lui transperce le dos. Je pleurais et suppliais Renaud de faire arrêter ce massacre, il ne fit que me regarder d’un air désolé, en me disant qu’il ne pouvait rien faire et qu’il avait tout juste réussi à me sauver moi.
Il avait beau me raconter cela, je voyais dans ses yeux que ce spectacle le réjouissait, Chaque coup qui était porté contre ces pauvres femmes, chaque pénétration était pour lui une extase sans nom. Et malgré cela, malgré le fait que ma bonne amie Veronika se faisait violer sous mes yeux, me suppliant de l’aider, malgré le fait que ma mère gisait à terre, malgré le fait qu’en tant que femme vampire, j’avais la force d’au moins deux de ces hommes, je ne fis rien.
Je m’étais au fond préparée à la déchéance des miens, mais je ne pensais pas que cela serait aussi sale. Renaud voulut me faire sortir. Je refusai net, ayant provoqué ce massacre je devais au moins en être témoin. Après quelques temps, lorsque les dernières vampires furent achevées, je vis mon père ligoté entrer dans la pièce. Visiblement nullement affecté par ce carnage il ne faisait que vociférer des menaces et son visage était déformé par la haine et couvert de sang. Même ainsi il arrivait encore à impressionner quelques villageois.
Pendant ce temps les humains ayant achevé leur carnage commencèrent à se livrer à la rapine. Tandis que les hommes pillaient le garde-manger et commençaient déjà à s’enivrer avec le vin qui n’avait pas été renversé, Renaud demanda à un garde d’imposer le silence. Ce dernier s’exécuta et grâce à sa forte carrure ainsi qu’à sa voix grave il réussit à faire cesser pour quelques instants le vacarme ambiant.
Mais à peine Renaud se fut-il avancé qu’il se vit ovationné par tous les gens présents :
« Hourra ! Vive Renaud ! », Pouvais-je entendre. Sans perdre son sérieux il s’exclama alors :
« Messieurs, messieurs… Il nous reste une dernière chose à déterminer avant de fêter notre victoire ! Qu’allons-nous faire de notre bon baron Miroslaw ? »
« Tuons-le ! », « Ecartelons le ! », « Rouons-le !» furent les réponses qui sortirent spontanément. Je vis alors un sourire digne de mon père lors de ses plus grands élans de cruauté se dessiner sur le visage de Renaud.
« Voyons, voyons, tout cela est bien trop doux… Mes amis, je vais vous faire part du châtiment qu’il convient d’infliger à ce genre de créature : Le supplice du tronc. »
Il se tourna alors vers mon père avec la même expression et s’exclama :
« - Vous autres vampires êtes immortels n’est-ce pas ?
- Sale petit humain, je dévorerai tes entrailles alors que tu seras encore en vie ! Vociféra mon père en retour.
- C’est cela, c’est cela, à mon tour de te dire ce qui va t’arriver : bien que vous ne puissiez mourir sans être tués vous ressentez la souffrance, la faim ou la soif, je vais donc tout simplement te trancher les bras et les jambes, puis t’arracher les crocs, pour enfin… te laisser pourrir jusqu’à la fin des temps dans une obscure salle de ce château… Oui cela me semble correct. »
J’observai alors une chose que je n’avais jamais vu. Je distinguai sur le visage de ce vampire que je méprisais, toujours déformé par la haine, un brin de peur se dessiner et, tandis que je décelai cela, une immense acclamation s’éleva de la salle. Rapidement chacun voulu participer au démembrement de mon père et, bien que je le détestasse, l’ampleur de son châtiment me fit ressentir de la pitié à son égard.
Tandis qu’il hurlait à chaque entaille les hommes et les femmes riaient aux éclats et, après ce qui me sembla une éternité, leur ouvrage fut fini.
Je perdis en une journée ma famille et mes amies… Et pourtant je n’étais pas complétement triste car Renaud était là avec moi et, pour la première fois, sans avoir usé de subterfuge mais à la vue de tous.
Alors que tous les humains festoyaient, tout en me lançant quelques regards noirs dès qu’ils en avaient l’occasion, Renaud restait avec moi. En effet dans cette effusion de joie il était le seul à voir loin, à savoir que tôt ou tard d’autres vampires viendraient pour rétablir l’ordre. Il me raconta en premier la journée ; comment ils avaient tué tous les vampires présents malgré des pertes importantes, comment il avait expliqué aux autres que non seulement je n’étais pas un danger, mais que c’était grâce à moi que la journée avait pu être un succès et, enfin, que ce serait grâce à moi que plus jamais ils ne seraient asservis. En effet, si j’acceptais de l’aider, il pourrait avec tout ce que je lui ai raconté sur notre monde depuis des années renverser le règne tyrannique des vampires et créer un monde où chacun, quel que soit sa race, pourrait vivre en paix.
Enfin il me laissa aller dans ma chambre sans m’y accompagner et partit se joindre aux autres pour fêter lui aussi la victoire. Et quand j’écris ces lignes… Je me rends compte que je hais les humains autant que les vampires… Au fond c’est vrai que nous nous ressemblons… Ce sont en fait des sauvages tout comme nous… Des barbares qui étaient enchainés et que j’ai libérés… Seul Renaud est civilisé… Après tout, il n’a fait aucun mal aux femmes… Et il n’aurait pas pu l’empêcher… Et mon père le méritait… Oui, seul Renaud en ce bas monde échappe à cette sauvagerie… Il est mon réconfort dans mon infinie tristesse…
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