Chapitre 5 : Les espions

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Ivan

Après deux petites semaines de campagnes, le duc de Sartov revint triomphalement. Il avait sans difficulté écrasé un comte qui ne s’attendait pas à sa visite. Malgré cela la vitesse et l’efficacité dont il faisait preuve à chaque fois ne cessait pas de m’impressionner.

Au fond il s’agissait là encore d’une manœuvre d’un des ministres, qui devait penser pouvoir tirer quelque avantage de cette répression et qui a susurré au duc ces histoires de trahison. Ou bien ces rumeurs étaient fondées ou peut-être même les deux, rien n’est clair dans cette cour.

Toujours est-il que mon travail ici a fini par payer, puisqu’Antun est semble-t-il « par hasard » tombé sur mon journal. Il a dit trouver les observations que je fais tout à fait pertinentes et m’a proposé de rejoindre son équipe. Ce n’est pas le genre d’offre qui peut se refuser car il vaut mieux ne pas avoir le maître des ombres à dos.

J’acceptai donc. Il m’a donné comme première tâche de savoir qui était derrière cette répression vis-à-vis du comte d’Oma. Le fait que lui-même ne semblait pas au courant me parut étonnant, mais cela me permettra de discuter avec le duc de Sartov, ce qui va être une expérience des plus intéressantes à n’en pas douter.

J’aurai donc pour tâche d’en apprendre davantage là-dessus au banquet de ce soir donné en son honneur… Enfin il me fut conseillé de ranger mon carnet dans un coffre fermé à clef et pas simplement dans une armoire, sans quoi beaucoup de gens pourraient tomber dessus « par hasard » … Il semble qu’en fait il n’y ait pas un seul vampire de cette cour qui ne soit impliqué dans des complots, fut-ce à son insu. Et moi-même qui me rêvait grand chevalier me voilà espion.

Arthur

Hier tout a marché comme sur des roulettes, ces braves vampires nous ont tranquillement ouvert la grille, puis une fois de plus on les a massacrés, il restait surtout des femmes et même un enfant… Enfin tout ça, ça reste avant tout des vampires !

Puis après on a bu, on a chanté… J’ai même rencontré une fille, elle s’appelle Anna et m’a remercié d’avoir délivré le village d’une façon que je qualifierai de toute féminine !

Toutefois la fête n’a pas duré ; à peine remis de tout ça que l’entrainement reprit. Renaud ne veut pas laisser aux vampires le temps de se relever de ces défaites. Heureusement dans leur surprise, les vampires n’ont pas pu envoyer de messages, ce qui nous laisse tout le loisir de nous aguerrir et de profiter de cette nouvelle vie pleine d’avantages, à commencer par Anna !

Mais il ne faut pas oublier que la guerre n’est pas finie et Renaud me l’a déjà dit à demi-mots : lorsqu’il estimera que nos hommes seront prêts, cette fois-ci c’est nous qui attaquerons ! Avec lui comme chef, des capitaines comme nous et des hommes bien entraînés, rien ne nous résistera !

Je me vois déjà défiler à Valassmar, avec le roi et tous ses sbires enchaînés et agenouillés devant nous, la foule nous acclamant et Renaud triomphalement couronné !

Irinia

24 avril de l’an 5002 après la guerre des sangs

Le chagrin avait enfin fini par me quitter ou plutôt il se faisait plus discret. Je recommençai à sortir et, plus par habitude que par acceptation, les humains toléraient ma présence. Je les vois s’entraîner, cultiver leurs champs, manger dans une insouciance nouvelle.

Renaud supervisait l’organisation de la vie tel un noble et les anciennes inimités entre humains se faisaient de moins en moins fortes. Je voyais enfin la vie des humains et celle-ci ressemblait à celle des vampires, à ceci près que leurs loisirs étaient moins sanglants et qu’ils étaient une multitude. Il y avait régulièrement plus d’une centaine de soldats armés qui s’entrainaient dehors, tandis que quelques-uns labouraient les champs et que les femmes cuisinaient ou élevaient les enfants.

Renaud tint à ce que les capitaines apprennent à lire et lui-même dévora tous les traités militaires et historiques contenus dans les deux bibliothèques qu’il avait conquises. Il me demandait souvent de l’aider à répondre aux quelques messages qui étaient envoyés aux barons déchus si bien que jusqu’ici il semblait que tout Orania croyait Antamar reconquis.

Mon dégout pour les hommes s’estompait peu à peu, peut-être parce que je ne vois plus qu’eux ou peut-être parce que Renaud les rachète tous à mes yeux. Pourtant je n’arrive pas à le percer à jour. Bien que mon cœur se soit épris de lui, ma raison ne lui est pas tout à fait acquise. Il est certes proche de moi mais davantage par nécessité que par affinité.

Hier, alors qu’il venait me voir afin de me rappeler, encore, son affection et me demander quelques informations sur le monde des vampires je me décidai à le confronter. A peine fut-il rentré que je me levais et m’approchais jusqu’à être face à lui. Il faisait à peu près la même taille que moi, je ne l’avais jamais remarqué. Je lui demandai alors, en y mettant le plus de conviction qu’il m’était donné d’en mettre :

« Renaud, ta perspicacité a déjà dû te dire ce que je ressentais à ton égard, toutefois la mienne ne me permet pas d’en faire autant te concernant. Je veux que sinon par honnêteté, au moins par gratitude envers moi, tu me dises si je ne suis pour toi qu’un outil de destruction des miens ou bien si, en plus de ton esprit, ton cœur se soucie également de moi »

Il me regarda avec un air nouveau, comme s’il n’avait pas anticipé quelque chose et ceci avait l’air de le troubler. Je remarquai un léger tremblement au niveau de sa lèvre inférieure tandis que ses yeux étaient comme plongés dans le doute au lieu de l’être dans les miens.

Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre je lui dis d’un ton malicieux :

« Ne t’en fais pas, je ne veux pas te forcer la main, réponds-moi demain, réponds-moi dans une semaine, ne me réponds jamais si tu le souhaites mais sache que mon cœur saura toujours faire preuve d’une grande affection envers toi ! En ce qui me concerne j’accepte ta proposition d’aller à Valassmar mais n’oublie pas une chose ! Je ne te laisserai pas éradiquer ma race. Comme tu me l’as assuré, je me bats pour créer un avenir paisible pour nos deux espèces. Je ne tolérerai pas, même venant de toi, que l’asservissement de l’une d’entre elles soit remplacé par l’éradication de l’autre ! »

Il sembla reprendre ses esprits et acquiesça. Nous mîmes au point quelques codes afin de pouvoir communiquer librement quand bien même nos messages seraient lus. Je pars ce soir même pour Valassmar ! Renaud s’est dit prêt à continuer son offensive, je pourrai donc révéler la réussite de la révolte des hommes tout en espionnant les vampires. D’ici à ce que j’arrive à Urnia, l’étape entre Nozalmar et Valassmar, Renaud devrait être passé à l’attaque. Je prierai bien pour son succès mais Valass, le seul dieu que je connais, ne soutient que les vampires…

Arthur

Ce matin Renaud nous a informé que sa protégée était partie en mission. Ce qui n’a pas plu à bon nombre de gars qui étaient convaincus qu’elle nous trahirait. Mais Renaud nous assura du contraire, et sans s’attarder sur ce sujet qu’il sentait sensible, il nous mit au courant de la suite des opérations. La prochaine cible n’était plus un simple village, mais une cité bien plus importante : Altmar.

Il s’agissait apparemment d’une ville côtière avec pour principale source de richesse un port de pêche. Renaud nous mit en garde :

« La prise de cette ville n’a rien à voir avec ce que nous avons déjà accompli, cette dernière est bien plus grande que nos deux villages réunis, et elle contient à elle seule au moins trois mille habitants, vivant sous le joug tyrannique de quelques centaines de vampires ! Toutefois j’ai un plan, notre ennemi ne sait pas encore que nous existons, nous lui avons envoyé quelques messages comme quoi tout était sous contrôle, et que nous allions même lui apporter quelques récoltes, comme c’est apparemment d’usage »

Renaud afficha alors son sourire des grands jours et se tourna vers moi :

« Arthur, tu vas devoir te faire passer pour un paysan, rentrer dans la ville incognito et rallier la population ! Tu partiras dès demain avec Laurent, Louis et Charles ! Vous devriez arriver avec votre charrette dans huit jours ! La troupe vous suivra avec deux jours de retard, ne trainez donc pas ! Irina devrait être arrivée à Urnia en même temps que vous à Altmar. Cette situation sera à la fois un danger et une opportunité ! Les vampires d’Altmar vous rechercheront quand ils réaliseront que vous étiez en faites des rebelles, ils devraient redoubler de violence pour vous trouver et ainsi ranger la population encore plus de votre côté ! Il faudra absolument que le cinq mai, les murs de la ville soient sous contrôle, nous lancerons alors une attaque surprise ! Si nous échouons, il en sera fini de notre révolte, je compte sur vous et tout particulièrement sur toi, Arthur, en qui j’ai toujours eu confiance ! »

J’étais au bord des larmes, et une multitude de conversations commencèrent à s’installer… Ce plan était incroyablement risqué, et pour la première fois il ne dépendait pas entièrement des capacités de Renaud, moi-même je ressentais une peur immense.

Louis prit alors la parole et hurla :

« Etes-vous lâches à ce point ? Que pensez-vous ? Que nous allions rester dans nos villages en paix jusqu’à la fin des temps ? Non ! Même si la vampire n’était pas partie, nous aurions été découverts tôt ou tard ! Nous n’avons pas le choix, nous devons écraser ces monstres qui nous massacrent depuis des générations ! Renaud nous a libéré, à notre tour de libérer d’autres de nos frères humains, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul homme enchainé ! Ne soyons pas effrayés, mais bien honorés par cette tâche ! Et pour ceux qui doutent de moi, venez, tâtez mon pouls et voyez si j’ai peur ! »

Et une fois encore, un discours tonitruant remporta l’adhésion de tous, la peur qui était en moi s’était effacée du fait de l’adrénaline, et je me sentais apte à défaire la terre entière ! Louis était tout engaillardi et promettait aux femmes qui l’entouraient qu’il serait bien capable de tuer à lui seul dix vampires, tandis que les autres capitaines affichaient une mine plus sereine.

Renaud nous prit à partie pour les derniers détails du plan. Il faudrait qu’on dresse un drapeau blanc sur les murs pour certifier que ces derniers nous appartiennent bien et faire attention aux éventuels espions. Je lui demandai alors pourquoi il ne venait pas avec nous. Il répondit qu’en cas d’échec il devait être là pour diriger la troupe et qu’une attaque ne serait lancée que si le drapeau était sur le mur.

Il nous dit que la victoire n’était pas assurée mais que si nous ne faisions rien la défaite, elle, l’était. Il nous répéta que, malgré nos quelques succès, nous étions toujours dans une situation critique et qu’un nouveau coup d’éclat était essentiel. Ce dernier dépendrait pour beaucoup de nous car, en réalité, il ignorait presque tout des caractéristiques d’Altmar et même Irina n’en savait presque rien.

Nous bûmes alors un verre ensemble avant de nous séparer pour passer notre dernière journée avec les autres. Au moment où j’écris ces lignes Anna pleure sur mon dos… M’arrache le crayon… Se met à rire… Bref je dois y aller !

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