Chapitre 14 : Alexandrov
Ivan
Alexandrov et le marquis de l'ouest nous ont rejoint à deux jours d’intervalle il y a de cela une semaine. Notre grande peur était que le nouveau souverain exige le commandement de l’armée, comme il l’avait fait dans le passé. Alexandrov était bien bel homme et avait « la peau blanche comme la neige, les cheveux noirs comme la nuit et les crocs semblables à des sabres » comme le dit le poème. Le marquis avait quant à lui la peau un peu plus mate et le crâne rasé.
La première réunion d’état-major eut lieu le soir même de l’arrivée de ce dernier. Le duc de Sartov commença par exposer la situation :
« Sire, monsieur le marquis, nous avons actuellement vingt-mille soldats répartis ainsi : cinq mille hommes vous appartiennent Serguei, deux-mille sont vôtres Sire et mille autres sont propriétés des barons nous ayant rejoint ces derniers jours. Ces dernières armées sont de qualité semblable et, il faut le reconnaître, plutôt médiocres. Toutefois nous disposons également de douze mille de mes soldats dont mille cavaliers bien entrainés et motivés. De plus environ cinq-cents chevaliers vampires se battront à nos côtés, dont les sanguinaires ! Concernant notre logistique nous disposons de nourriture en quantité grâce au marquis, ainsi que d’un réseau de forteresses en cours de rénovation assurant nos communications. Toutefois nos éclaireurs indiquent qu’une armée de plus de trente-mille hommes et accompagnée par au moins mille chevaliers vampires se dirige actuellement vers nous et est à deux semaines de marche, que suggérez-vous ? »
Tout le monde était suspendu à la décision d’Alexandrov. Ce dernier après un léger silence dit d’une voie basse mais distincte :
« Par deux fois j’ai mené des armées au combat et par deux fois ce fut un désastre, dont le dernier coûta la vie à mon frère ; je sais que votre fidélité va à mon sang et non à mes compétences mais il serait idiot de ne pas suivre les instructions du plus grand guerrier du royaume, monsieur le duc »
Alors que l’on m’avait décrit un jeune prince arrogant, sûr de lui et intrépide, je découvrais là un tout autre personnage. La mort de son frère l’avait visiblement beaucoup affecté et il semblait désormais prêt à écouter ses conseillers et à s'en remettre à leur jugement. Qui plus est, malgré cette humilité nouvelle, il possédait un charisme certain. Il n’était de toute évidence pas un foudre de guerre comme Boleslaw avait pu l’être mais, à sa façon, il pourrait faire un très bon roi tout compte fait. Quel dommage que nul ne l’ait aperçu ainsi avant ce jour, la question de la succession aurait été beaucoup plus simple si Alexandrov avait pu dévoiler au monde ses qualités acquises au fil des défaites.
Le duc de Sartov ainsi que le marquis semblèrent agréablement surpris et après un moment d’égarement le duc reprit la parole :
« Fort bien, voilà mon analyse de la situation : si Miroslaw est parti si tôt en campagne, c’est pour nous écraser au plus vite ; il doit craindre une invasion de la part des royaumes de l’ouest ; de plus pour faire avancer une si grosse armée, il n’a pas dû avoir le temps d’amasser beaucoup de vivres. Il doit donc se reposer en grande partie sur ceux qui m’étaient destinés en premier lieu… Toutefois nous ne pouvons pas vraiment nous permettre de refuser le combat non plus. Actuellement les seigneurs qui nous soutiennent sont pour la plupart assiégés, que ce soit à Mourminsk, Arah ou encore Imichk où se trouve le prince. Si nous attendons trop l’ennemi recevra des renforts et, s’il ne peut pas nous écraser cette année, il se repliera et reviendra l’année suivante avec une logistique suffisante et davantage de forces. De plus en cas d’attaque d’Isgar ou d’Aartov les terres du marquis seront en première ligne. Nous avons donc également tout intérêt à livrer bataille avec toutes nos forces et faire en sorte que le résultat soit décisif pour un camp… Ou pour l’autre. Plus la guerre dure, plus le danger à l’ouest sera grand ; sans parler de cette révolte au nord qui est ingérable tant que le conflit perdure »
Le marquis s’enquit alors :
« Pensez-vous qu’en si grande infériorité numérique nous ayons les moyens de l’emporter ? »
Le duc réfléchit un instant et répondit :
« Ce sera dur mais cela devrait être possible ; nous sommes moins nombreux et l’ennemi dispose d’au moins deux fois plus de chevaliers vampires ; toutefois s’il nous surpasse en cavalerie, mon infanterie lui est largement supérieur que ce soit individuellement ou en groupe. De plus l’ennemi doit s’attendre à ce que vous ayez pris le commandement Sire, je pense que si nous arrivons à jouer sur cette fausse supposition, nous devrions pouvoir les surprendre et les vaincre… Oui ça devrait être tout à fait possible ! »
Depuis cette réunion, nous avons préparé le terrain où devrait avoir lieu la bataille, dans une semaine, si l’armée ennemie continue d’avancer à ce rythme. Jamais depuis les guerres de Boleslaw tant de monde se sera affronté en un seul lieu. De cette bataille découlera le destin du royaume !
Irina
23 mai de l’an 5003 après la guerre des sangs
Depuis que le grand-duc a repris les rênes du pouvoir en l’absence du roi la cour a déjà beaucoup changé ; les nouveaux ministres ont été choisis uniquement en fonction de leur loyauté, sans regard aucun sur leurs compétences. La plupart sont en effet d’anciens nobles ayant combattu sous Boleslaw et tous sont connus personnellement de Stanislas. Lui-même me confia :
« Ce ne sont peut-être pas les meilleurs bureaucrates qui soient mais avec eux au conseil cela fait un front de moins à gérer pour le roi ».
En effet ce n’était pas des ennemis mais cela en faisait-il de bons alliés ? Rapidement l’on vit qu’ils étaient plus guerriers que diplomates. Il se chuchotait ainsi que Vladimir comte de Gamar avait répondu à une lettre venant du royaume d’Isgar et demandant une rencontre diplomatique « La diplomatie d’Orania ne se fait qu’à coups d’épée ».
Le nouveau trésorier, le baron d’Ulfmar, quant à lui, imposait de nouvelles taxes tous les jours aux petits nobles afin de soutenir l’effort de guerre. Il fut ainsi inventé hier « l’impôt sur les cheminées ». Je suis assez curieuse de voir la tête que feront les seigneurs lorsque les percepteurs viendront récolter leur dû sous ce prétexte-ci.
Toujours est-il que les ministres pouvaient se le permettre, puisque l’ensemble de la noblesse martiale du royaume, ou presque, était avec Miroslaw et bénéficiaient grandement de la politique actuelle. Mais cela ne devait pas durer car selon le grand-duc :
« Il faudra une campagne pour détruire le duc de Sartov, une autre pour les humains et je pourrai enfin me faire épurer l’esprit tranquille ! »
Le but était visiblement d’en finir au plus vite avec les troubles intérieurs en faisant feu de tout bois, et ainsi d’impressionner les royaumes de l’ouest afin d’éviter une guerre.
Aujourd’hui je déjeunai seule à seul avec Nikolaj pour la première fois depuis des mois. Il faut dire qu’on n’était que rarement seul à la cour et j'ai même eu l'occasion d'être courtisée par quelques nobles sans titre… Ils doivent être bien désespérés pour ainsi tenter de séduire la baronne d’un village occupé par des humains et perdu dans la région la plus pauvre du royaume. Nikolaj avait également du succès auprès des dames mais cela ne semblait guère l’intéresser. Il « cultivait ses amitiés » comme il aime à le dire mais jamais davantage. Il me fit part lors de notre repas du fait que le grand-duc lui avait promis quatre-mille hommes afin de rejoindre son frère l’été prochain mais qu’il n’aurait que vingt vampires pour l’accompagner. En réalité il ne semblait pas enthousiasmé par cette campagne :
« J’y vais par devoir mais, depuis la mort de Vanceslas II, la cour est devenue très intéressante… Ou plutôt amusante. La plupart des vampires d'ici ne font que se plaindre du nouveau conseil et rêvent du jour où d’honnêtes bureaucrates corrompus reprendront enfin les affaires. Hélas pour eux, lorsque vient le moment de négocier, ce n’est plus un courtisan en tenue de ville soucieux de s’en mettre plein les poches qui arrive pour discuter des prochaines mesures. A la place ils ont face à eux un général, se déplaçant toujours en cuirasse et bardé de ses armes, venu expressément pour imposer des lois toutes aussi stupides les unes que les autres à grands coups de menaces de décapitation. Le spectacle de ces « discussion » est toujours des plus réjouissants. On voit bien qu’ils ne sont pas aussi compétents que leur prédécesseur mais niveau intégrité et autorité ce n’est plus la même chose »
Nikolaj avait l’air ravi de la nouvelle ambiance, lui qui jurait qu’il n’existait rien de juste par nature, cette démonstration de force permanente lui allait à ravir.
Lorsque je lui demandai quel roi il soutenait il répondait simplement « Celui qui sera le plus fort ». Il n’y avait pour lui d’autre légitimité que la puissance. La naissance n’était au fond qu’un argument pour s’accaparer du soutien mais si demain le plus petit des paysans humains arrivait à avoir sous ses ordres la moitié des armées d’Orania et à défaire l’autre moitié cet humain serait roi d’Orania « par la grâce de Valass s’il le voulait ! » rajoutait-il d’un ton rieur.
La cour l’amusait terriblement, toutefois je ne parvenais pas à comprendre son manque d’envie d’aller aider son propre frère, lui qui avait eu l’air si inquiet à la nouvelle de la défaite du comte d’Altmar.
« Oh et bien, il fallait bien simuler de l’inquiétude, l’inverse eut paru étrange mais ne vous méprenez pas, j’apprécie beaucoup mon frère, j’ai tout simplement du mal à m’en faire et surtout pour rien. Piotr n’allait pas livrer bataille. Il m’a assuré par lettre qu’étant donné son infériorité numérique actuelle, il ne tenterait rien avant d’avoir des renforts et qu’au besoin il se laisserait assiégé. D’ailleurs si vous voulez tout savoir le comte d’Altmar est furieux de cette attitude, lui qui a été si lourdement défait, qui plus est après avoir refusé de joindre ses forces à celle de mon frère. »
Décidément j’ai bien du mal à comprendre Nikolaj mais je passe toujours de bons moments avec lui… Il n’empêche qu’une fois notre repas terminé j’informai Renaud des renforts qui allaient arriver l’année prochaine, ainsi que de l’attitude attentiste du comte d’Urnia… Et je lui demandai également par la même occasion d’épargner Nikolaj si cela lui était possible car « il pourrait être le pilier vampirique de la réconciliation tant souhaitée, par toi je l’espère, par moi j’en suis sûre ».
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