Chapitre 24 : L'évasion
Albert
Après des mois de marche j’étais enfin arrivé ! Je m’empressai de cacher ma cage à oiseaux avec suffisamment de nourriture, puis je m’en allai rejoindre la ville d’Altmar. Il s’agissait d’une cité fortifiée avec un port peu reluisant mais des maisons bien mieux aménagées que partout où je suis allé… Enfin, j’y vois là la pâte des humains, les vampires n’ont pas pour habitude de tolérer un grand confort matériel chez leurs esclaves.
A peine étais-je arrivé qu’une sorte de prêtre vint me voir pour me demander à qui il avait à faire et ce qui m’amenait là. Je lui expliquai donc que j’étais un ancien soldat de l’armée vaincue du duc de Sartov, poursuivi par les vampires et que je tenais à rejoindre l’armée des rebelles. Le clerc me répondit alors :
« Que notre seigneur soit satisfait, voilà un nouveau servant du grand protecteur ! Mais je ne me suis pas présenté, je me nomme Henri et suis un prêtre servant l’humanité et, à travers elle, le grand protecteur. C’est donc au nom de cette humanité libérée que je vous souhaite la bienvenue ! Veuillez me suivre, de ce que vous me dites, vous feriez un excellent soldat ! »
Durant tout le trajet jusqu’au camp ce jeunot n’arrêta pas de me bassiner les oreilles avec sa foi et ses histoires de grand protecteur ou de plan divin. Faire mine de m’y intéresser fut plus difficile que n’importe quelle bataille. Après un peu de marche nous arrivâmes finalement dans un camp d’entraînement de l’autre côté de la ville. Je voyais quelques fantassins s’exercer au maniement de la lance et de l’épée, tandis que certains essayaient péniblement de monter des chevaux.
Un instructeur vint me voir et me donna une épée sans même me questionner pour que je rejoigne l’entraînement de l’infanterie. Je l’informai alors de ma situation en tant qu’ancien officier de cavalerie de Sartov. A ces mots ses yeux s’illuminèrent et il s’écria :
« Vraiment ? C’est formidable, c’est une bénédiction ! Cela fait presqu’un an que nous essayons de dompter ces animaux mais si on arrive désormais à peu près à les monter, pour ce qui est de se battre avec ce n’est pas encore cela, pensez-vous pouvoir nous former rapidement ? »
Ce petit bonhomme qui passa si soudainement de l’autorité la plus ferme à la sollicitude la plus mielleuse me fit rire. Je lui répondis donc :
« Cela dépend, il sera assez rapide de vous apprendre à vous battre seul sur un cheval de façon disons… décente, ce sera plus long pour vous apprendre à vous battre en groupe et encore plus long pour vous apprendre à charger en armure lourde et en formation mais plus tôt nous commencerons, plus tôt nous pourrons servir le grand protecteur n’est-ce pas ? »
Le prêtre et l’instructeur semblèrent grandement satisfaits… La méfiance n’était visiblement pas de mise chez eux… En même temps qui trahirait sa race pour les vampires ?
Suite à cela je reçus une extrêmement belle maison, juste en face de l'église de la grande destinée, qui était de façon manifeste un ancien temple de Valass. Ici la nourriture ne manque jamais et aucun risque de servir de repas à un seigneur mal luné… Quel dommage que cette rébellion n’ait aucune chance, je me serais bien vu y écouler des jours paisibles.
Voilà donc presque un mois que je forme ces gens, ils ne sont pas tous très doués mais ils sont extrêmement motivés et croient tous à ces histoires de grande destinée et je ne sais quoi… Enfin qu’importe pour le moment je me contente de faire des rapports de temps à autre à Vassili, d’entrainer ces novices et de profiter de cette situation tant qu’il en est encore temps.
Ivan
Mon exceptionnelle carrière militaire continuait. Nous avions été rejoints dans notre captivité par deux autres vampires. Cela portait notre nombre à quatre. Il y avait le seigneur Gagarine, le vampire capturé avec moi, qui venait du centre du royaume. Les deux autres se sont avérés être des jumeaux qui se nommaient Alexander et Volodia. Pour éviter des querelles de succession, ils étaient chacun co-baron de Mokmar, une baronnie ravagée par les rebelles du nord. Ces deux frères avaient été réquisitionnés contre leur gré dans cette guerre et ne purent pas se battre pour reconquérir leur terre.
Nous n’avions comme information sur les opérations que ce que nous pouvions déduire par nous-même. Visiblement ici aussi les hommes souffraient de la faim, certaines cargaisons arrivant bien, d’autres non. Leur situation était en fait semblable à la nôtre mais la grande inconnue demeurait la situation de Zandor ; les soldats étaient-ils à court de vivres ? Allaient-ils se rendre demain ? Ou bien leur restait-il moult victuailles ? Impossible de savoir, du moins pour nous.
Cette situation bien qu’inconfortable n’était pas si terrible, nous mangions à peu près correctement, étions bien traités, avions une tente pour nous et surtout les risques de se faire tuer avaient drastiquement chuté. Malgré cela je repensais à ce chevalier qui avait préféré se battre et mourir plutôt que de finir capturé. Bien que mon statut d’observateur ne me prédisposait pas à l’aspect meurtrier de la guerre, au fond mon orgueil et mon honneur ne me permettait pas de me satisfaire de ma condition présente. Aussi, après quelques semaines, je soumis à Gagarine et aux jumeaux l’idée d’une évasion.
Gagarine pensait comme moi mais les deux autres chevaliers n’étaient pas de mon avis. Ils se moquaient de cette guerre et l’idée de rester captif encore longtemps n’était pas un problème pour eux. Mon premier camarade d’infortune et moi-même décidâmes donc de réfléchir à un plan. Ces semaines sans tentative et sans comportement suspect de notre part avaient conforté les gardes dans l’idée que nous ne tenterions rien et leur surveillance à notre égard se faisait moindre au fil du temps. Toutefois je ne voulais pas m’enfuir ainsi, étant donné que nous avions la chance d’être dans le camp de l’ennemi, je proposai donc que nous en profitions pour voler quelques documents.
Une fois l’idée acceptée, nous étudiâmes la tente du roi où se déroulait manifestement les réunions stratégiques. Elle était constamment gardée par deux chevaliers du mythique ordre de la lance d’or, la garde personnelle des rois d’Aartov. Les chances de passer inaperçu étaient donc très faibles. Après quelques jours d’observation je découvris que l’un des généraux avait pour habitude d’emporter quelques notes après chaque réunion et sa tente n’était pas particulièrement surveillée.
Gagarine quant à lui avait trouvé un endroit où le mur d’enceinte était un peu moins haut qu’ailleurs, du fait qu’il donnait sur un petit bois, moins propice à un assaut. Après tout, les fortifications avaient été érigées pour éviter une attaque de l’extérieur, pas une évasion. Il fut donc décidé que nous nous évaderions par là dès le lendemain vers minuit.
Lorsque la nuit tomba, elle fut accompagnée par de lourds nuages qui firent s’abattre une pluie torrentielle. Après quelques questionnements il fut décidé que nous ne changerions pas nos plans. Je commençai par me diriger vers la tente de l’officier ciblé le plus discrètement possible. Comme prévu, les seuls gardes présents sur les murs avaient tous leur regard tourné vers l’extérieur pour prévenir un assaut. La confiance que nos geôliers avaient acquise après des semaines de calme captivité, en plus du sens de la chevalerie du roi Boris II, étaient également là pour nous aider puisque nous n’étions de fait plus du tout surveillés ; nous faisions presque partis du décor après tout ce temps.
Une fois rentré dans la tente, je vis la table sur laquelle était disposé de façon tout à fait désordonnée l’ensemble des notes de ces deux dernières semaines. Je décidai de prendre quelques instants pour chercher les plus pertinentes et je remarquai alors que l’une d’entre elles datant de la semaine dernière faisait mention d’un immense convoi rempli de victuailles devant arriver dans six jours. Ce dernier ne devait en aucun cas être perdu. Aussi il serait non seulement très bien escorté mais les assiégeants devraient également envoyer de nombreuses troupes afin de le sécuriser encore davantage.
Pour que l’officier ne remarque rien à son réveil j’arrachai une page de mon carnet et notai le lieu, le jour et le dispositif ennemi, avant de repartir aussi discrètement qu’à mon arrivée.
Une fois cette action effectuée, j’allai rejoindre Gagarine qui m’attendait et, après que je lui eus fait part de mes découvertes, nous marchâmes à pas de loup vers l’endroit convenu. Seul un garde se tenait là, grelotant sous la pluie, avec seulement une torche pour l’aider tant à voir qu'à se réchauffer. Nous nous avançâmes donc confiants. Mais à cet instant j’entendis un bruit de pas dans la boue qui n’était ni le mien, ni celui de Gagarine. En me retournant j’aperçus un vampire, visiblement sorti pour uriner et ce dernier nous regardait d’un air fatigué. Cependant à chaque instant qui passait son regard se faisait un peu plus lucide et, après une dizaine de secondes qui me parurent une éternité, il hurla : « Les prisonniers s’évadent ! »
Immédiatement le garde qui nous tournait le dos se retourna, tandis que le camp entier commença à s’éveiller. Nous courûmes alors vers le muret et, après l’avoir promptement escaladé, j’esquivai le coup d’épée du garde et Gagarine le fit aisément tomber dans la boue de l’autre côté du mur. Nous sautâmes à notre tour tandis que les cors et les cloches d’alertes du camp retentissaient.
Nous commençâmes à courir à travers bois mais la fange provoquée par la pluie ralentissait grandement notre course. Après quelques minutes passées à patauger dans la gadoue, nous entendîmes le bruit caractéristique des cavaliers ainsi que de leur monture. Ils étaient à nos trousses. Il fut rapidement évident que nous serions rattrapés. Je me rappelai alors de nouveau ce chevalier n’ayant pas hésité à se sacrifier par honneur et, après un instant d’hésitation, je fis arrêter Gagarine et lui dit :
« Ecoute, prends ce papier et amène-le au camp ! Ce document est de la plus haute importance ! Sauve-toi maintenant, je vais partir dans une autre direction pour les retenir. »
Et sans lui laisser le temps de répondre je m’éloignai de lui en m’assurant que nos poursuivants m’aperçoivent. Je pensais à ce que je venais de faire, au fond je n’étais pas comme le chevalier, lui s’était sacrifié par honneur, moi c‘était différent, je l’avais fait pour ma patrie, pour transmettre à mon royaume les informations permettant de défaire Aartov !
Une fois rattrapé je voulus me battre, je ne voulais plus vivre dans la honte et une mort honorable réglerait ces deux problèmes. Sans laisser le temps au chevalier qui me faisait face de dire un mot je lui sautai dessus mais ce dernier réagit avec une extrême célérité et m’asséna un rapide et violent coup de bouclier qui me fit perdre connaissance.
Je me réveillai peu avant l'aube, allongé dans la boue, le roi Boris II devant moi. Ce dernier affichait un air grave et fâché. Après avoir attendu que je reprenne totalement mes esprits et que je me relève péniblement, le monarque entouré de sa garde déclama :
« Voilà donc les chevaliers d’Orania, nous les nourrissons alors qu’ils sont nos ennemis, nous leur laissons la possibilité d’aller et venir par respect pour leur rang et en échange voici ce qu’ils font : ils trahissent notre confiance et notre bienveillance en s’enfuyant ! Messire, sachez que je ne referai pas la même erreur cette fois-ci. Je ne puis certes pas vous laisser enfermé comme un chien alors que vous êtes de la race des vampires ; cependant, afin d’éviter les désagréments de cette nuit, je vous trancherai la jambe! »
Immédiatement quatre lances d’or me saisirent et me plaquèrent au sol. Je me débattis un instant mais le nombre de vampires me tenant rendait toute résistance inutile. Aussi je décidai de faire face avec honneur : je pris un air digne, apaisai mon corps et me promis à moi-même de ne pas hurler. Ma seule consolation en cet instant fut de ne pas voir Gagarine à mes côtés. Il s’était sans doute enfui avec succès, du moins je l’espérais.
Boris II sortit alors la légendaire hache d’Aartov : Tranche-vie. Il la leva et récita comme une incantation :
« Ne pouvant vous enchainer, ni vous tuer de par les règles de l’honneur ; mais ne pouvant vous laisser la possibilité de vous enfuir de nouveau de par les impératifs de la guerre, je vous condamne, moi Boris II comte de Klink, grand-duc d’Aartovmar et roi d’Aartov, à perdre cette jambe, en ce jour et pour toujours ! »
A ces mots l'arme s’abattit sur ma jambe droite et me la trancha nette. Une immense douleur m’envahit. Je parvins à retenir mes cris mais en aucun cas l’expression de douleur qui s’afficha sur mon visage. Une fois ceci fait Boris parti en laissant là ma jambe. « Après tout, elle vous appartient » me dit-il avec cet air grave et fier qui le caractérisait.
Je fus ensuite raccompagné dans ma tente où les deux jumeaux me regardaient, visiblement satisfaits de na pas avoir tenté l’aventure. Pour ma part ma satisfaction venait de mon carnet qui n’avait pas bougé de ma poche. Après tout il s’agit là de ma principale source de distraction en captivité mais après avoir écrit ces lignes il ne faudra pas que je le garde sur moi si je ne veux pas que toute cette escapade n’ait servi qu’à me faire perdre une jambe. Le voilà donc entre quelques pierres, recouvert de boue jusqu’à ce que je revienne y écrire quelque chose.
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