Chapitre 29 : L'échange
Irina
10 avril de l’an 5005 après la guerre des sangs.
L’hiver aura été long cette année mais les beaux jours réapparaissent enfin et les troupes sont sur le départ. La nouvelle de la victoire du duc de Cracvonia à Rutor a été une véritable bouffée d’oxygène pour le royaume. Mener ainsi une attaque en plein blizzard avec sept-mille de ses meilleurs hommes et la quasi-totalité de ses vampires en profitant du sens du vent et des mauvaises conditions logistiques de l’adversaire, c’était un véritable coup de maître qui avait presque anéanti l’armée ennemie. La seule déception pour le roi fut la fausse joie lors de l’annonce de la mort de la reine mais il semble que seule une doublure fut tuée ce jour-là.
Toujours est-il que le duc se dit prêt à avancer et peut-être même à reprendre toutes les forteresses perdues, dont celles du marquis de l’ouest, dans l’année. Avec les renforts, ses effectifs sont désormais de trente-six-mille hommes mieux entrainés et équipés que l’année précédente, accompagnés par deux-mille vampires. On n’avait plus vu pareil ost depuis des décennies et l’on se serait cru de retour à l’époque de Boleslaw.
Au sud le comte de Gamar avait subi de lourdes pertes durant sa dernière campagne, c’est donc à lui que le gros des renforts, dont la compagnie des semblables, fut envoyé et c’est donc avec une armée de vingt-neuf mille hommes dont mille-cinq-cents chevaliers vampires qu’il attaquera l’ennemi.
La victoire surprise du duc de Cracvonia a également permis de dégager des forces pour attaquer au nord. En effet, bien que la forteresse d’Imichk tienne toujours, l’administrateur de Vanov, un certain seigneur Vassili, se dit prêt à marcher avec quatre-mille hommes sur Altmar. Trois-mille cinq-cents soldats ont également pu être rassemblés à Valassmar pour porter secours à Urnia dont les rapports inquiètent de plus en plus la cour. Alors que la plupart des seigneurs ne pensaient pas que l’armée humaine survivrait à l’hiver, il semble que Renaud leur ait donné tort une fois de plus.
La situation est donc des plus critiques pour la ville, qui est à court de vivre et en est réduite à manger les animaux domestiques pour tenir. Le surplus de troupes amassées pendant l’hiver, à savoir trois-mille cinq-cents hommes et deux-cents chevaliers marcheront donc sous les ordres d’Alexeï comte de Mourminsk, le beau-frère du dernier prétendant au trône Grigori toujours assiégé à Imichk. Ce choix fut motivé par son rang et afin qu’il prouve sa fidélité à Miroslaw. Il n’était pas un vétéran de Boleslaw mais avait correctement mené son armée lorsqu’il soutenait Alexandrov contre notre actuel monarque.
J’avais déjà parlé avec ce seigneur, il était assez imbu de sa personne du fait d’avoir épousé une comtesse de sang royal. Quand bien même il s’agissait là d’un véritable mariage d’amour, le comte détestait qu’on lui rappelle que son titre lui venait de son épouse. Sa femme quant à elle était plutôt timide et discrète et ne semblait à l’aise qu’en compagnie de son mari ; elle devenait alors tout à fait bavarde. Plus que tout il tenait à sa chère et tendre ainsi qu’à son titre et c’est ce qui motiva en grande partie son rapide ralliement à l’annonce de la mort d’Alexandrov.
Il semblait que les vampires méprisaient toujours les humains pour qu’ils envoient ainsi un général encore novice avec si peu d’hommes mais étant donné les nouvelles d’Urnia ils ne pouvaient pas non plus se permettre d’attendre sous peine de voir tomber l’une des villes les plus importantes du royaume : la « frontière entre le nord et le sud » comme ils disent. Nikolaj avait bien proposé de se joindre à l’armée mais Miroslaw avait catégoriquement refusé du fait de sa place au conseil.
C’est ainsi qu’une troupe de même pas quatre-mille âmes s’avance vers le nord et Renaud. D’ailleurs il m’est de plus en plus difficile de le tenir informé… Depuis cet hiver ou plutôt depuis ma rencontre avec cette compagnie de mercenaires, le nouveau maître des ombres, Dobroslaw, semble s’intéresser à moi.
Nikolaj me dit quelques jours après ma première discussion avec eux que « votre étrange comportement à leur contact, tant ce jour-là que ceux qui suivirent, a été remarquée par le clergé et de nombreux courtisans qui en ont informé le seigneur Dobroslaw. Pour le moment il semble davantage occupé à essayer de placer des espions dans les royaumes ennemis qu’à vous faire surveiller… Mais on ne sait jamais… Restez prudente ! »
Aussi je prends désormais mille précautions avant d’envoyer le moindre message, en plus de réduire leur nombre mais celui-ci étant de la plus haute importance, je n’ai guère le choix…
Volodia
Cet hiver a été tout à fait frais alors même que nous étions au sud mais l’armée s’est remise en route assez rapidement après que le temps s’est réchauffé et nous avec. Suite à un mois de marche et à la rapide prise d’une petite place forte nous avons enfin établi un campement un peu plus durable, non loin de l’armée d’Orania et à quelques lieues de Zandor qui semble de nouveau devoir être le centre névralgique de cette campagne.
Toutefois, alors que je me demandais une fois de plus comment j’allais bien pouvoir occuper ma journée, mon frère et moi fûmes informés que nous allions être échangés contre deux prisonniers qu’Orania avait fait. Pourquoi donc ? Cela ne m’allait pas du tout, j’avais fini par sympathiser avec quelques vampires, nous avions même un centre d’intérêt commun : nous moquer de mon frère. De plus la nourriture était loin d’être infecte et j’étais bien plus en sécurité ici qu’à crapahuter de ci de là ne sachant jamais quand est-ce qu’un ennemi viendrait essayer de m’étriper.
Mais non, j’allais rejoindre l’armée qui menait une guerre dont je me moquais éperdument. J’essayais bien de faire comprendre à l’armée d’Aartov que cet échange n’était pas vraiment dans leur intérêt mais mes arguments, tout censés qu’ils étaient, ne les convainquirent pas.
Mon frère était quant à lui ravi de cet échange, non pas que la perspective de se battre loin de notre fief le réjouisse, mais il allait enfin pouvoir s’éloigner de tous ceux qui se riaient de lui à longueur de journée. En tout cas il sera désormais bien plus motivé que moi à massacrer des chevaliers d’Aartov, je pense même que cette captivité aura été meilleure pour sa motivation et son efficacité que cent ans d’entraînement.
L’échange fut prévu à midi sur une prairie qui devait sans doute servir à quelque élevage en temps de paix. Nous fûmes chacun vêtu de nos armures mais sans le casque afin que l’on puisse être identifié et il en était de même pour ceux d’en face. Cinq chevaliers escortaient les prisonniers de part et d’autre. Lorsque nous arrivâmes face à face je ne pus m’empêcher de dire tout haut :
« Eh bien ! Vous osez nous échanger tout deux contre ces chétifs vampires, quelle belle affaire pour Orania ! »
Les vampires qui nous accompagnaient ne purent réprimer un petit rire étant donné qu’ils connaissaient ma réticence à être libéré et que la monnaie d’échange était clairement plus volumineuse que mon frère ou moi.
Toujours est-il qu’à mon grand désarroi la transaction fut opérée et qu’il nous fut presque immédiatement assuré que nous allions sans doute redécouvrir le goût du sang très bientôt. Mon frère semblait tout à fait satisfait, pour ma part je regrettais déjà ces douces nuits où d’autres se battaient à ma place tandis que je ne risquai rien et que mes seules préoccupations étaient de savoir ce que j’allais manger ou de quelle façon j’allais pouvoir ennuyer mon frère. Enfin, toutes les bonnes choses ont une fin et vu l’agitation qui règne dans le camp d’Orania, la paix ne semble pas pour tout de suite. Allez, avec un peu de chance et si Valass le veut bien, je serai vite recapturé !
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