Volodia

Après plus de deux mois de campagne des plus monotones, enfin une nouvelle réjouissante ! Il semble que les humains aient fini par prendre Urnia ! Là n’est pas la nouvelle réjouissante mais grâce à cela une grosse armée se réunit enfin pour mettre un terme définitif à cette peste qui s’étend. Lorsqu’une baronnie est occupée, personne ne bouge, il faut attendre que ce soit l’une des plus grandes villes du royaume aux mains de l’un des plus grands comtes pour qu’enfin le roi se décide à agir !

Enfin mieux vaut tard que jamais et grâce à cela deux mille hommes de l’armée accompagnés par des vampires volontaires vont marcher sur Vanov pour reconquérir les territoires perdus. Mon frère et moi avons évidemment sauté sur l’occasion. Je vais donc devoir supporter cet imbécile mais si c’est tout ce qu’il faut endurer pour récupérer son fief, je n’y vois pas d’inconvénient.

Des rumeurs que j’ai entendues, notre armée comportera plus de dix-mille hommes accompagnés par six-cents vampires ! En cinq-mille ans d’existence, jamais une révolte n’avait pris tant d’ampleur. Une telle armée pour s’occuper de simples humains… C’est tout de même gênant, surtout lorsque la guerre continue sur nos frontières. Enfin j’imagine qu’une fois ce problème réglé cette armée se redirigera à l’ouest pour en finir avec Isgar et Aartov.

La question va être de savoir comment repeupler tous les territoires reconquis une fois qu’on aura exécuté cette vermine… Mais bon, quelle importance ? Mon frère et moi n’avions pas beaucoup d’humains de toute façon, tout juste cinq-cents. Cela ne devrait pas être trop long nous concernant, nous devrions même demander à Isgar et Aartov de nous en livrer dans le traité de paix !

Allez, plus que quelques semaines de marche et nous serons enfin arrivés à Vanov et cette fois-ci j’espère qu’on ne fera pas une guerre de siège mais qu’on écrasera ces humains dans une belle bataille en bonne et due forme.

Christina

Devant les difficultés actuelles à reconstituer notre armée je me suis rendue en personne avec le duc de Kulmar à Sussmar afin de motiver mes ministres et mes seigneurs à faire davantage d’efforts. Sur place je laissai le commandement de mes troupes au conte d’Or.

Retrouver la capitale après tant de temps me réconfortait et me donnait du courage, avec tous ces arbres et tous ces beaux jardins. Toutefois l’absence de Vassilissa m’attristait d‘autant plus… Nous aurions été si heureuses ici ensemble… Enfin... Je suis justement là pour la venger !

Je fus reçue en grande pompe et tous les seigneurs se précipitaient à ma rencontre tandis que, comme le veut la tradition en ce qui concerne le retour du souverain, tous les humains furent forcés de se regrouper devant le palais afin que je puisse choisir mon repas du soir. Je sélectionnai pour l’occasion un jeune homme des plus gras qui avait attiré mon attention en cherchant à se cacher, sans y parvenir, derrière deux autres hommes de corpulence plus standard Une fois cela fait je restai un instant dehors pour entendre les supplications de ce gros tas de chair, ainsi que celles de sa famille. Une fois ce plaisir coupable assouvi je rentrai et me retrouvai face à mes deux nouveaux frères, Dmitri et Valentyn, ainsi que face à tout mon conseil.

Je me devais d’être convaincante, en effet berner quelques seigneurs de loin et qui avaient tout intérêt à ce que je sois en vie pour continuer la guerre était facile. Mais berner les frères de Vassilissa allait être chose plus ardue. Dmitri aurait été assez satisfait de la savoir décédée ; il aurait pu faire la paix et passer des siècles à se vautrer dans le luxe et l’indécence impunément. Honnêtement je le comprends, il serait bête de s’en priver mais il ne faut pas pour autant négliger les affaires du royaume et d’autant plus avec un voisin comme Orania. Valentyn quant à lui était devenu prêtre de Valass il y a de cela tout juste vingt ans. Il ne ressent clairement pas le moindre attrait pour les choses royales. Le luxe ne l’intéresse pas non plus, il fait partie de ce genre de religieux pour qui rien n’a d’importance hormis la prière. Être de sang royal pour devenir prêtre… Quel gâchis.

A force de côtoyer Vassilissa je connaissais toutes ses habitudes et je lui ressemblais suffisamment pour que, bien maquillée, on puisse me prendre pour elle. Je saluai donc mes frères, puis le conseil et enfin les autres courtisans avec toute la désinvolture et le mépris dont elle aurait fait preuve, tendant ma main pour qu’elle soit baisée sans même daigner porter un regard sur tous ces arrivistes. Chacun prétendait être immensément rassuré de ma survie à la bataille de Rutor et désolé pour la mort de ma favorite.

Je savais bien qui le pensait réellement et qui rêvait de pouvoir me tuer ici et maintenant. Pour aucun de ceux-là il ne s’agissait de loyauté ou de haine mais seulement d’intérêt. Pour maintenir toute cette cour à son service, ma reine avait en effet fabriqué un habile système d’avantages et de privilèges ou au contraire de sanctions ; le tout reposant sur sa seule personne, de telle sorte que constamment une moitié des seigneurs luttait contre l’autre moitié afin de conserver ses dits avantages. Il fallait savamment choisir les seigneurs à choyer en fonction de leur degré d’obéissance et de puissance pour que ceux qui cherchent à défendre la souveraine soient systématiquement plus puissants que ceux cherchant à remettre en cause ses choix. Il fallait également effectuer des changements de manière régulière afin que les seigneurs désavantagés comprennent qu’il était possible de gagner en richesse à la seule condition de servir avec dévotion et que les seigneurs avantagés demeurent loyaux sans quoi tous ces bienfaits pourraient leur être retirés.

Cette alchimie était dangereuse mais bien maitrisée elle pouvait donner des résultats stupéfiants et c’est bien ce à quoi j’allais m’employer.

Je me dirigeai donc vers la salle du conseil suivie de mes seuls ministres puisque mes frères ne s’intéressaient absolument pas aux affaires du royaume.

Je demandai donc un rapide récapitulatif de la situation. Il y avait deux informations d’importance en ce jour : en premier lieu le ministre de la guerre d’Orania avait été exécuté pour trahison au profit des humains. Cette nouvelle me surprit. L'idée qu’un vampire trahisse les siens pour des humains m’était inconcevable mais après tout, c’était lui qui avait engagé la fameuse compagnie des semblables qui luttait en ce moment même contre Aartov donc pourquoi pas après tout. En second lieu un espion nous avait apparemment informé, il y a peu, qu’un pacte secret avait été signé entre Orania et Ishka, stipulant que ce dernier royaume accepterait de s’allier au premier si la princesse Youlia voyait son sang lié à l’héritier du royaume d’Orania. Or la reine Cathrina est actuellement enceinte…

Nous voilà donc avec une chance sur deux d’avoir un royaume en plus contre nous… Si la flotte d’Ishka, la seule véritable flotte militaire du monde, rentrait dans le conflit, il nous serait presque impossible de gagner cette guerre.

En somme la situation était loin d‘être excellente et je voyais le conseil commencer à discuter des conditions de paix qui pourraient être proposées à Orania. A ce seul mot je m’écriai alors :

« Messire Sviatoslav, vous n’êtes désormais plus ministre des affaires étrangères… Et en ce qui concerne vos impôts préférentiels… Et bien si vous doublez le nombre d’hommes que vous fournissez à l’armée je vous laisserai cela. Quant aux autres, le prochain qui ose ne serait-ce que prononcer le mot paix, je jure par Valass que plus jamais il ne sera accepté à ma cour ! Maintenant donnez-moi le registre des levées afin que je sache quel seigneur se bat pour le royaume et quel autre cherche à s’enrichir tandis que les précédents luttent et meurent pour eux ! »

Un vent glacial souffla sur le conseil et je sentis que les ultimes doutes sur mon identité s’étaient dissipés. Sviatoslav partit immédiatement sans un mot tandis que le ministre de la guerre, qui semblait sincèrement ravi de pouvoir continuer à guerroyer, me fournit les détails concernant chaque seigneur.

Une fois cette réunion de six heures achevée, je retournai dans la grande salle et sans laisser le temps à quiconque de dire un mot, j’exposai les mesures qui avaient été décidées : quel seigneur se verrait exonéré d’impôts, quel autre allait en payer davantage et qui risquait de voir ses privilèges annulés ou au contraire accordés s’il se dévouait suffisamment ou non à la guerre. A la première protestation que j’entendis j’ordonnai aux gardes de mettre l’impudent aux cachots pour une semaine afin qu’il puisse réfléchir sur la meilleure façon de récupérer ses privilèges : se plaindre ou s’impliquer davantage dans le conflit qui nous oppose à Orania.

Après cela, il y eut une absence notable de commentaire et même le duc de Kulmar, le seul au courant de mon identité, semblait impressionné par ma performance. Pour ma part je n'en était pas si surprise, tant la colère qui m’habitait estompait les dernières différences de caractères qui existaient entre Vassilissa et moi. Après une semaine de menaces, de récompenses et d’envois de lettres, je réussis à lever presque douze-mille hommes qui sont d’ores et déjà en chemin pour rejoindre le gros de l’armée.

Me voilà donc avec une partie d’entre eux sur la route de la guerre, plus certaine que jamais que j’aurai ma revanche !