Chapitre 46 : Le départ des rois

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Christina

C’était un jour de pluie mais enfin mes éclaireurs me rapportèrent que l’armée ennemie était en vue. L’affrontement tant attendu était pour bientôt !

Visiblement le duc avait préféré quitter notre royaume avant que l’hiver ne vienne. Toute notre armée se tenait prête ! Des palissades avaient été dressées au travers de la route ainsi que des tranchées. Des catapultes avaient même été fabriquées !

Le comte d’Or était sûr de la victoire et m’assurait que « même cent-mille hommes ne passeraient pas ». Le temps nous avantageait, la route menant à nos lignes étant boueuse, l’armée nous attaquant serait plus lente et donc plus longtemps exposée à nos projectiles. Bientôt, une ligne nous fit face sous la pluie battante Les nombreux étendards d’Orania eux-mêmes étaient en berne, alourdis par la pluie, comme pour annoncer leur défaite !

Les nôtres étaient certes dans le même état mais il aurait fallu faire bien des erreurs pour perdre pareille bataille. Craignant malgré tout le duc, tous les hommes et vampires disponibles furent rappelés pour participer à l’affrontement.

Après quelques heures d’attente, le cor ennemi retentit. C’est dans un hurlement de fureur que toute l’armée adverse nous chargea. Se mêlèrent alors à la pluie les flèches de nos arcs et les pierres de nos catapultes, déchainant ainsi la mort sur eux. Nombreux furent ceux nous attaquant, peu furent ceux parvenant à nos lignes. Il ne resta bien vite plus aucun guerrier en état de combattre… Trop rapidement. Une fois la situation sous contrôle, il s’avéra que ce n’était pas vingt mille hommes qui nous avaient attaqués, mais à peine cinq-mille… accompagnés de seulement dix vampires. Deux étaient morts en combattant, les autres furent capturés.

J’ordonnai qu’on les fasse parler, j’exigeai des explications sur cette parodie de bataille. L’un d’eux, visiblement le plus bravache, me fixa fièrement et me répondit :

« Madame, le duc vous passe ses salutations et me charge de vous dire que la prochaine fois qu’il vous verra, il ne vous ratera pas ! En attendant, notre général a profité de la pluie pour échapper à vos éclaireurs et s’est contenté d’envoyer un petit détachement pour faire diversion. Nous avons attendu des heures devant vous avec tous nos étendards pour vous convaincre que vous aviez bien face à vous la totalité de notre armée alors que nous étions moins d’un quart ! A l’heure qu’il est les forces du duc doivent être fort loin en bon chemin pour rejoindre leur base. D’ailleurs si vous recherchez la vôtre, à savoir Joltourmar, vous trouverez simplement un mur protégeant des cendres. Pas un humain n’a survécu, ni un vampire d’ailleurs… Je suis curieux de voir jusqu’à quand les grands seigneurs de ce royaume soutiendront une femme incapable d’empêcher un général ennemi de venir rayer de la carte une si grande ville… »

J’enrageai… le duc s’était échappé et avait sacrifié une infime partie de ses forces pour en sauver l’essentiel… La pluie et cette fausse armée bardée d’étendards nous avaient fait perdre de vue le gros des effectifs ennemis alors qu’il aurait été si facile de les vaincre en les harcelant ou en coupant leur retraite tandis qu’il parcouraient cette région escarpée… Désormais nous n’avions plus la moindre idée de leur localisation précise… Et bouger notre propre ost dans cette boue allait prendre un temps fou… J’ordonnai donc à nos éclaireurs de repartir à la recherche de l’armée du duc pendant que nos hommes se démenaient pour lever le camp au plus vite !

Quand à ce misérable seigneur prétentieux qui avait visiblement voulu jouer aux héros en menant cette attaque suicide… et bien il m’avait l’air fort appétissant.

Albert

L’hiver approche à grands pas. Les victoires de ces deux dernières années ont considérablement accru tant notre territoire que notre population. Le gros défi est actuellement de pouvoir supporter une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Nombre de bœufs et chevaux sont désormais utilisés pour tirer des charrettes, de telle sorte que la cavalerie n’a pas pu autant grossir que l’infanterie. De huit-cents cavaliers nous en avons désormais à peine mille deux cents alors que de neuf mille fantassins Renaud souhaite en avoir vingt mille l’année prochaine.

La croissance de l'armée commence à être trop effrénée selon moi. Nombre de soldats expérimentés sont réquisitionnés pour les entrainements. La production d’armes et d’armures peine à décoller et les manœuvres encore relativement fluides à quelques milliers deviennent bien plus confuses au fur et à mesure que les effectifs augmentent. J’ai beau avertir Renaud que cette augmentation extrêmement rapide des effectifs risque de nuire tant à la qualité qu’à l’efficacité globale de l’armée, il tient absolument à enrôler tout ce beau monde…

Une fois qu’ils seront entrainés ce sera une bonne chose mais actuellement plus de la moitié de nos troupes est novice… Force est de reconnaître qu'elles sont motivées mais lorsqu’elles se feront charger par la cavalerie vampirique, il y a de grandes chances qu’elles se débandent et qu’elles entrainent le reste de l’armée dans leur panique…

Enfin bon… Personne ne remet plus en doute les choix de Renaud… Il pourrait demander à presque n’importe qui de se suicider que ce dernier le ferait avec le sourire. Certes il ne s’est jamais trompé jusqu’ici et est objectivement le mieux placé pour mener cette guerre… Je crains néanmoins qu’enrôler tant de monde si vite dans l’armée ne soit risqué… J’ai eu beau lui proposer de n’enrôler que cinq-mille hommes cet hiver afin d’augmenter les effectifs sans nuire à la qualité et de placer les autres dans la logistique ou les forges ; Renaud a refusé tout net. Qui plus est le seul fait que je propose cela m’a attiré la foudre de bien des officiers présents lors de cette réunion.

Charles, qui n’est pas le plus futé des officiers mais sans nul doute le plus fanatique m’a même hurlé dessus :

« Comment oses-tu remettre en cause les instructions de notre roi ? Plus d’hommes c’est nécessairement plus de chances de gagner les batailles et donc plus de chances de gagner la guerre ! Sois tu es stupide, sois tu es un traître ! »

Bien qu’il fut courageux, il ne connaissait rien à la façon de mener une guerre, pourtant même Renaud qui de toute évidence ne pouvait être d’accord avec des affirmations aussi simplistes ne répondit quoi que ce soit à cela.

J’imagine que se faire encenser toute la journée pour le moindre de ses actes finit par obstruer son esprit… Après tout qu’importe, je ne tiens pas à finir tué pour hérésie ou je ne sais quel prétexte qu’ils pourraient inventer pour avoir osé remettre en doute la parole du grand forgeron Renaud…

J’abdiquai donc et continuai à former la cavalerie qui, par nécessité logistique, n’avait pas trop grossi… Et puis, peut-être Renaud a-t-il un plan… J’ai beau considérer cette idée d’enrôler tant de monde comme insensée, Renaud n’est pas idiot… De toute façon je n’ai plus le choix, je dois lui obéir… J’espère qu’il ne tombera pas dans cet orgueil démesuré qui fait chuter les plus grands stratèges. Je suis au fond de moi persuadé que c’est ce qui a causé la perte du duc de Sartov… Trop certain qu’il allait gagner la bataille il n’a pris que peu de précautions… Enfin, ce n’est qu’une hypothèse. Renaud n’a plus qu’à prouver qu’il est meilleur stratège que le duc…

Irina

30 août de l’an 5006 après la guerre des sangs.

La compagnie des semblables est enfin arrivée. Comme la première fois l’accueil ne fut pas des plus chaleureux mais cela ne semblait pas déranger les vampires. Question d’habitude sans doute. Je pris toutefois soin de ne pas leur parler cette fois-ci afin de ne pas attirer de soupçons à mon égard. La seule chose que j’appris à leur sujet fut que lors de leur campagne contre Aartov ils étaient systématiquement envoyés aux endroits les plus dangereux et parfois même sans raison valable. Il s’agissait apparemment d’une pratique courante avec les mercenaires. Si on pouvait les envoyer s’entretuer pour rien contre des ennemis c’était avantageux, étant donné que les mercenaires coûtent bien plus chers que des soldats réguliers. Ainsi on s’enlève une épine du pied tout en infligeant des pertes à l’ennemi.

Cette propension à envoyer ces soldats semer la mort en espérant à moitié qu’ils la trouvent eux-mêmes était renforcée par la haine qu’éprouvaient tous les vampires, dont le comte de Gamar, à leur égard. Mais cela n’avait visiblement pas fonctionné. En effet la compagnie était la seule à entrainer ses humains correctement et, comme ils proposaient leur service à chaque fois qu’un conflit éclatait, ils avaient acquis une grande expérience du combat de telle sorte qu’ils avaient subi bien peu de pertes durant toute la campagne tout en en infligeant bien davantage à l’adversaire.

Il était donc acté que les troupes d’Ishka, dont cette compagnie, irait combattre les humains l’an prochain avec le soutien de la flotte de guerre. J’étais assez curieuse de savoir ce que pensait le comte Drago, le chef de ces preux idéalistes, à l’idée d’aller affronter des hommes. D’aussi loin que je me tienne il ne semblait pas plus dérangé que cela. Toutefois, malgré le renfort de notre nouvel allié, la situation n’était pas bonne. Le duc de Cracvonia avait dû fuir Isgar et sur les trente mille hommes dont il disposait en début d’année, seuls treize mille parvinrent à rentrer, du fait du siège, d’une bataille de diversion qu’il mena et du terrain rocailleux qu’il traversa à marche forcée poursuivi par les troupes d’Isgar. De plus son idée de brûler Joltourmar, loin d’avoir provoqué une aversion des nobles pour Vassilissa, les avait au contraire scandalisés au plus haut point. Les derniers partisans de la paix s’étaient rangés derrière leur reine pour venger cet affront. Cette erreur fit s’arracher les cheveux au seigneur Dobroslaw qui pensait pouvoir provoquer une révolte avant la naissance de l’enfant de Vassilissa… Du moins c’est ce que Nikolaj me rapportait d’une réunion du conseil qui fut pour le moins houleuse.

En effet, si la révolte en Isgar n’était plus qu’une chimère, celle qui se profilait chez nous en Orania risquait bien d’arriver. Nikolaj m’expliquait lors d’une brève entrevue en tête à tête que nombre de petits seigneurs ne payaient plus l’impôt, ne fournissaient plus de levées et s’étaient même réunis en ligue afin de pouvoir s’opposer aux éventuels grands seigneurs que la couronne enverrait pour les mater. Miroslaw était d’avis de les massacrer mais étant donné l’état de la situation, Nikolaj lui avait plutôt proposé de regagner le respect et l’attache de ses sujets en menant lui-même l’armée qui irait mater la révolte des hommes. Les prisonniers ainsi faits pourraient être enrôlés de force afin de rétablir les effectifs, les seigneurs verraient que le roi mène lui-même ses troupes et les nombreuses baronnies occupées par les humains et dont les propriétaires sont morts à la guerre pourraient être redistribuées, calmants ainsi certains seigneurs mécontents.

Cette idée fut appuyée par l’ensemble du conseil, qui craignait également que ce refus de payer l’impôt ne se transforme en révolte, s’ajoutant ainsi à celle des humains et à la guerre sur les frontières. Le roi finit donc par obtempérer. C’est bien lui qui commandera, avec la bénédiction de Piotr IV, l’armée d’Ishka qui ira rejoindre les troupes qui ont commencé à s’amasser à Vanov. Pour la deuxième fois en tant que roi Miroslaw allait participer à une campagne ! Les effets de cette décision ne tardèrent d’ailleurs pas à se faire sentir : au moment même où il annonça son départ, une immense acclamation retentit dans la cour et les rares chevaliers qui étaient encore là se bousculèrent pour l’accompagner.

Ainsi en ce trente août, une fois la cérémonie et les sacrifices en l’honneur de Valass accomplis, les rois Piotr IV et Miroslaw sont partis avec huit-cents chevaliers ainsi que presque seize mille hommes pour rejoindre Vanov et affronter Renaud. La cour était dépeuplée à l’extrême et, en dehors des femmes, des prêtres et des gardes, on ne croisait plus que les membres du conseil dans les couloirs du château. Cette situation me permettra sans doute de passer un peu plus de temps avec Nikolaj, si ce dernier daigne se séparer plus de quelques instants de sa princesse qui le suit partout … Nul doute qu’une dame au physique si disgracieux n’avait jamais imaginé finir sa vie avec un si beau vampire et en profite donc pour rester à ses côtés de peur qu’il ne s’échappe si elle venait à le perdre de vue.

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